: Témoignage "Il y a plus important dans la vie que le bac" : freiné par un cancer à 17 ans, Mathieu Thomas est aujourd'hui en lice pour les Jeux paralympiques de Paris
"Tout est possible", martèle le sportif de haut niveau Mathieu Thomas. Pourtant à 17 ans, sa vie a connu un accroc : un sarcome (une tumeur cancéreuse) l’a privé de l’usage normal de l’une de ses jambes. Ce handicap peu visible, cet homme d'aujourd'hui 39 ans le met de côté et avance dans sa vie, comme un forcené. À 30 ans, alors qu’il s'accorde un regard dans le rétroviseur, une question le taraude : "Qu’est-ce que je peux faire de plus grand ?". Pourquoi pas devenir champion paralympique ? Son rêve, il est à quelques semaines de le vivre. Alors qu’une personne sur cinq développera un cancer durant son existence, selon le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), il nous a livré à l’occasion de la Journée mondiale du cancer dimanche 5 février, un témoignage édifiant.
franceinfo : À 17 ans, vous mesurez 1m92. Vous êtes athlétique, vous faites du basket. De quoi rêvez-vous ?
Mathieu Thomas : Je faisais de la compétition par plaisir, pas pour en faire un métier. J'étais très curieux de tout. J'étais plutôt en observation de la vie, on va dire. J’hésitais entre des études d'architecte ou d'ingénieur. Voilà ce que j'avais en tête à 17 ans.
Et on vous diagnostique un cancer. Quelle est votre réaction à ce moment ?
J’avais une tumeur cancéreuse au niveau du bas-ventre. Le savoir, ce n'est pas un soulagement, mais presque. Ça faisait très longtemps que j'avais des douleurs. Les médecins disaient que c’était dû à la croissance mais au fond de moi, je savais. C'est vraiment parce qu'on a vu qu'il y avait une atrophie de la cuisse que mon médecin généraliste m'a fait passer le test du syndrome rotulien. Il voit que je n’ai vraiment pas de réflexe sur cette jambe-là et donc que le nerf est touché.
Vous a-t-on tout de suite informé des conséquences ?
Le jour où je rencontre le professeur Tomeno à Cochin, on n’a pas fait la biopsie qu’il me parle déjà de cancer. J’ai compris la gravité quand il m’a dit : "On programme la biopsie la semaine prochaine". Ma première réaction a été de dire : "Non, j’ai cours. On ne peut pas faire ça pendant les vacances ?", qui étaient dans trois semaines-un mois. Et lui me répond : "Jeune homme, il y a plus important dans la vie que le bac".
"Ça fait peur parce qu‘à 17 ans, la seule chose que tout le monde vous répète c’est : travaille à l'école parce qu’il y a le bac à la fin de l'année. C'est la seule personne adulte qui me dit l'inverse."
Mathieu Thomas, champion de parabadmintonà franceinfo
Ça a été un choc mais ça m'a permis de digérer la chose. Quand une semaine après, le cancer est confirmé, pour mes parents c’était un tsunami qui arrivait. Moi, j’en étais déjà à : c’est quoi la prochaine étape ? Ce que le professeur ne savait pas, c’était comment la tumeur comprimait le nerf. En ouvrant, il voit que le nerf passe littéralement dedans et il n’a pas d’autre choix que de le couper. Quand je me réveille, encore intubé, ma mère est à mon chevet. Elle avait demandé à m’annoncer elle-même la nouvelle. Je suis juste triste, je pleure.
Quand vous vous réveillez de l’opération, vous avez donc perdu le bon usage d'une jambe ?
Je suis hyper en colère parce que je n’étais pas préparé à être handicapé. Pour moi, c’est un échec. J’avais vraiment affronté le cancer en mode bataille. Je m’étais dit : on enlève la tumeur, ça va être derrière moi. Le médecin m’avait bien préparé pour l'annonce du cancer, mais pas du tout sur le handicap. Je pense que c'est encore plus tabou de parler de ça ou c'est moi qui ai fait un rejet.
"J’ai le sentiment qu’il a loupé son opération, qu’il n’a pas fait le maximum et lui me dit : 'Je t’ai sauvé la vie'."
Mathieu Thomasà franceinfo
Je vois tout ce que je ne peux plus faire et il en rajoute une couche : il me dit que je ne pourrai plus jamais courir et que je marcherai en boitant. Ça a été pour moi une source de révolte. Déjà, je n’ai pas envie qu’on me dise ce que je ne peux pas faire et je vais te montrer que tu te trompes totalement. Je ne veux pas être dans un fauteuil et je ne veux pas que ça se voie. J'avais l'image de quelqu'un de diminué et j'avais envie de montrer que j'étais quelqu'un de fort, que je pouvais remarcher normalement, même recourir, et avoir une vie tout à fait normale. Et j’ai réussi. J’étais dans le déni du handicap. Au final, ça m'a aidé à me dépasser. Mais par contre je n'étais pas du tout encore dans l'acceptation. Et ça, ça n’arrive qu'à l'âge de 30 ans. C'était vraiment quelque chose que je cachais. Je n'avais pas du tout envie d'avoir ce regard de pitié et pas du tout envie que ce soit ça qui me définisse. Je ne me considérais pas du tout comme un handicapé.
Vous avez construit votre vie, êtes devenu ingénieur. Et à 28 ans, vous commencez le badminton... Chez les valides ?
Je découvre le badminton par pur hasard. C’est le seul qui "entrait" dans mon emploi du temps, qui tombait bien, le mardi soir. Une belle rencontre amoureuse parce que j'ai tellement aimé ça que j'ai voulu faire de la compétition, et j’ai pris des cours. C'est très handicapant. Le terrain est trop grand pour moi. Mais on s'adapte. Je me suis rendu compte qu'il y avait quand même beaucoup de technique dans ce sport et que même des personnes en surpoids pouvaient me battre facilement. Il n'y a pas que le physique, il y a de la technique, de la tactique et ça fait la différence. Même en situation de handicap, j’arrive à battre beaucoup de valides aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a conduit à envisager le parabadminton alors ? Vous ne saviez pas encore qu’il allait devenir discipline olympique à Tokyo, en 2021 ?
À l'âge de 30 ans, j'ai une bonne crise de la trentaine. J’ai cette envie de redonner un peu plus de sens à ma vie. J'ai tellement avancé vite de mes 17 à mes 30 ans en me disant : "La vie peut s'arrêter, fonce, avance le plus vite possible dans tout ce que tu fais, entreprends au maximum", que je faisais beaucoup de choses, mais sans savoir vraiment pourquoi je les faisais. Je me suis demandé : "Moi, tout seul, qu’est-ce que je peux faire de grand ?" Et c’est au bout de ce cheminement qu’en grand défi, je me suis lancé les Jeux paralympiques. Je ne sais pas si les planètes étaient alignées à ce moment-là, mais au moment où je m'y intéresse, ils annoncent qu'il y a les premiers championnats de France de parabadminton. Je prends du coup contact avec la fédération.
Champion de France dès votre première participation, vous cumulez les médailles à l’internationale mais ratez d’un cheveu la qualification pour les premiers JO du parabadminton, à Tokyo, en 2020. Qu’à cela ne tienne, votre objectif est Paris 2024 ?
Je me suis dit que les plus beaux Jeux que je pourrais vivre, c’était ceux de Paris. D’une, parce que mes enfants seraient plus grands pour comprendre, et de deux il y avait ma famille, mes amis. J’avais envie de prouver que j’étais capable. Pour les Jeux, il faut être dans le top 6. Je suis 7e aujourd’hui, donc dans la même position où je m’étais retrouvé à Tokyo. À Paris, ils vont en prendre huit normalement. Il reste une échéance. Dans trois semaines, j’ai les championnats du monde en Thaïlande. J’ai encore cette chance de repasser 6e si je repasse devant le Thaïlandais qui m’est repassé devant à la dernière compétition. Sinon, je dois attendre le 16 mai pour avoir une officialisation. Il y a une commission qui définit s’ils en prennent six, sept ou huit.
Le rêve des JO, c’est pour quoi ? Voir plus grand ?
En fait, c'est une vraie découverte de soi, de tous ces possibles, de ce qui m'anime, de pourquoi je fais tout ça. J’ai vraiment besoin de me sentir vivant.
"Au final après cette ascension, je découvre que j’ai encore plein d’autres rêves derrière qui vont faire sens."
Mathieu Thomasà franceinfo
J’ai envie de monter une fondation autour du handicap invisible. J’ai envie de transmettre tout ce que j’ai vécu et tout ce qui est possible, cette libération qu’il y a aussi avec l’acceptation du handicap. Je vois le handicap comme une singularité et on est tous différents. On parle de situation de handicap mais au final, on va tous l’être en vieillissant. En étant âgé, il y a des choses qu’on pourra moins faire, on pourra moins se mouvoir. En voyant ma grand-mère, je me suis dit qu’il y avait beaucoup à faire à la fois sur l’accessibilité mais aussi sur l’acceptation de cette situation. La fondation qu’on veut monter avec ma compagne s’appellera "JeTeMeVois".
'Je te vois', tu existes, tu n’es plus tout seul, et 'je me vois', c’est j’accepte enfin cette situation aussi. La société a encore un regard déformé, très dans le pathos. Je me disais moi-même : "Je ne suis pas assez handicapé". Mais beaucoup de gens sont dans cette situation, seulement 20% des personnes handicapées ont un handicap lourd. Pour les autres, c’est invisible. On veut avec la Fondation libérer la parole et obtenir plus de bienveillance de la part de la société. Je suis beaucoup dans l'exemplarité. J’ai envie de dire : voilà ce que j'ai réussi à faire et voilà, surtout, ce que je fais. Tout est possible.
En mars, Mathieu Thomas publie Rêve de Jeux (collection Témoignages chez City Editions)
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