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Cannabis : pourquoi la décision du Conseil d'Etat sur les fleurs de CBD est très attendue

Les professionnels du secteur avaient obtenu en janvier la suspension temporaire d'un arrêté gouvernemental interdisant la commercialisation des fleurs de chanvre chargées en cannabidiol, la molécule non-psychotrope du cannabis.
Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des fleurs de cannabis chargées en cannabidiol, la molécule non-psychotrope du cannabis, exposées le 22 mai 2022 lors du premier salon du CBD organisé à Paris. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)

Le gouvernement va-t-il réussir à couper l'herbe sous le pied des vendeurs de CBD ? Le Conseil d'Etat se réunit, mercredi 14 décembre à 14 heures, pour décider du sort d'un arrêté gouvernemental interdisant aux milliers de boutiques spécialisées de commercialiser des fleurs de chanvre chargées en cannabidiol (CBD).  

Invoquant la "protection des consommateurs" et une "politique ambitieuse de lutte contre les trafics de stupéfiants", le gouvernement avait pris cet arrêté d'interdiction le 30 décembre 2021. Moins d'un mois plus tard, le texte avait été temporairement suspendu par le juge des référés du Conseil d'Etat, saisi par des commerçants du secteur. Franceinfo vous explique pourquoi la décision définitive, qui devrait intervenir dans les jours ou semaines qui suivent l'audience de mercredi, est très attendue. 

Parce qu'elle permettra de sortir d'un flou juridique 

Le cannabidiol (CBD), molécule non-psychotrope du cannabis, doit-il être traité comme le tétrahydrocannabinol (THC), molécule aux effets psychoactifs interdite par la loi en France ? Invoquant la réglementation du 22 août 1990, qui place le cannabis dans la catégorie des produits stupéfiants, les autorités ont multiplié ces dernières années les perquisitions dans les boutiques qui commercialisaient des produits à base de CBD. Mais elles ont dû revoir leurs pratiques depuis le 19 novembre 2020, date à laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a tranché en faveur du CBD.

Pour les juges européens, le cannabidiol ne peut pas être considéré comme un stupéfiant, n'ayant "aucun effet psychotrope ni effet nocif sur la santé humaine". La France, contrainte de respecter le principe de libre-circulation des biens et des services, ne pouvait donc pas en interdire la commercialisation. Cette décision a par la suite été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation rendu en juin 2021

Un message reçu en partie seulement par le gouvernement. Dans son arrêté du 30 décembre 2021, l'exécutif autorise "la production industrielle d'extraits de chanvre et la commercialisation de produits qui en intègrent", comme les huiles et les produits cosmétiques. Mais il interdit la vente, la détention et la consommation des fleurs séchées chargées en cannabidiol. Pour justifier ce choix, le gouvernement a notamment avancé l'argument de l'ordre public, assurant que l'autorisation de ces fleurs, similaires visuellement et olfactivement à l'herbe de cannabis illégale, aurait compliqué les contrôles de police. Conscient que ces fleurs de CBD étaient régulièrement fumées par des consommateurs à la recherche d'une alternative aux joints de THC, l'exécutif avait également mis en avant un impératif de santé publique, relevant que "les risques liés à la voie fumée (étaient) établis".  

Cette interdiction a été temporairement retoquée par le Conseil d'Etat le 24 janvier dernier. Celui-ci a considéré qu'il existait "un doute sérieux sur la légalité de cette mesure (…) en raison de son caractère disproportionné". Pour le juge des référés, il n'apparaissait pas que les fleurs "dont la teneur en THC est inférieure à [la limite légale de] 0,3% présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d'interdiction totale et absolue". La plus haute juridiction administrative avait également estimé que le gouvernement n'était pas en mesure de démontrer l'impossibilité technique pour les policiers de distinguer les fleurs de CBD de l'herbe au THC.

En tranchant définitivement ce dossier sur le fond, le Conseil d'Etat va ainsi permettre de dissiper un flou juridique qui a débuté en 2014, année où des poursuites avaient été engagées contre la vapoteuse au CBD Kanavape, présentée à l'époque par ses fondateurs comme "la première cigarette électronique au chanvre 100% légale".  

Parce qu'elle décidera de l'avenir de 2 000 commerçants 

L'interdiction ou l'autorisation de la commercialisation des fleurs de CBD aura un impact immédiat sur la santé économique de la filière française. "La vente de fleurs représente en général les trois quarts du chiffre d'affaires des professionnels du secteur", souligne auprès de franceinfo Charles Morel, président de l'Union des professionnels du CBD.  

"L'interdiction de sa commercialisation, prévue par l’arrêté du 30 décembre 2021, aurait liquidé purement et simplement la filière. On parle d'environ 2 000 boutiques spécialisées qui auraient dû mettre la clé sous la porte."

Charles Morel, président de l'Union des professionnels du CBD

à franceinfo

Ce scénario est loin d'être irréaliste. Dans les jours qui ont précédé la suspension temporaire de l'arrêté interdisant la vente des fleurs de CBD, de nombreux commerçants catastrophés avaient remisé leur stock de marchandises, soudainement considéré comme du produit stupéfiant. 

 

Convaincus du bien-fondé de leur démarche, les représentants du secteur dénoncent les arguments avancés par le gouvernement pour justifier l'interdiction de la vente des fleurs de CBD. "A défaut de pouvoir en dénoncer l'aspect psychotrope, le texte de l'arrêté pointe du doigt le côté 'psychoactif' du CBD", poursuit Charles Morel. "Mais la course à pied ou même le café ont un aspect psychoactif, tout comme le fait de consulter internet sur son téléphone. Et je ne crois pas qu'on ait tenté d'interdire le téléphone portable ! C'est un terme fourre-tout destiné à entraîner de la confusion dans l'esprit du grand public", dénonce ce représentant des commerçants du secteur.

Le président de l'Union des professionnels du CBD balaie également l'argument selon lequel une entrée définitive dans la légalité des fleurs chargées en cannabidiol compliquerait la tâche de contrôle des forces de l'ordre. "Des tests permettant de distinguer les fleurs légales de celles qui sont illégales fonctionnent et sont déjà utilisés en Suisse et en Italie. Il suffit d'utiliser un réactif sur le produit, qui change de couleur en fonction de la quantité de THC présente. Il suffit d'en équiper les forces de l'ordre, ce qui ne coûterait pas plus cher que des alcootests s'ils étaient produits à grande échelle", juge-t-il. 

Parce que les habitudes des consommateurs pourraient être bousculées 

Les professionnels du secteur du CBD redoutent enfin les conséquences de l'interdiction définitive de la commercialisation des fleurs pour les consommateurs. "Une grande majorité de nos clients ont eu une consommation importante de THC et cherchent une alternative, car leur consommation devenait un boulet. Certains souffraient de perte d'énergie ou de motivation, d'autres carrément d'un état anxio-dépressif", raconte à franceinfo Mohamed, propriétaire d'une boutique de CBD dans le nord-est parisien. 

Ces consommateurs ont trouvé dans le cannabidiol un moyen de s'affranchir des effets délétères du THC, tout en conservant la "béquille" que constitue le rituel de fumer un joint, rapporte ce professionnel. Pour certains, le CBD a été une étape transitoire avant d'arrêter complètement la consommation de cannabis, assure-t-il.

"Des clients disent avoir entamé un chemin de vie libérateur pour sortir de la dépendance au THC, et pensent que cette démarche devrait être encouragée par les pouvoirs publics. Au lieu de cela, ils ont le sentiment d'être poussés à la clandestinité."

Mohamed, propriétaire d'une boutique de CBD

à franceinfo

Les acteurs de la filière dénoncent une démarche "électoraliste" de la part de l'exécutif. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, est particulièrement visé par leurs critiques. Au micro de France Inter, le 25 janvier, le numéro 3 du gouvernement avait fustigé la suspension temporaire de l'arrêté gouvernemental : "Toutes les substances qui relèvent du cannabis, de la drogue, sont très mauvaises pour la santé. Et on n'a pas augmenté le prix du tabac à 10 euros pour qu'on accepte la légalisation ou la dépénalisation du cannabis".

"Le ministre brandit l'argument prohibitionniste, car il le croit efficace auprès d'un électorat conservateur qui peut être utile lors des prochaines élections. Il ne connaît pas grand-chose au sujet, sinon le profit politique qu'il peut tirer d'une assimilation abusive et mensongère entre le CBD et le THC", accuse Charles Morel, qui déplore un "calcul à la petite semaine".

Interrogée pour savoir si le gouvernement songeait à proposer une nouvelle interdiction de la vente de fleurs basée sur d'autres arguments juridiques en cas de victoire des professionnels du CBD, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) a fait savoir à franceinfo que l'exécutif ne communiquerait sur ce sujet "qu'une fois le jugement sur le fond rendu".

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