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Charlatan ou as du bistouri ? Charlie Teo, le dernier espoir des malades du cancer

Jugée inopérable par ses médecins français, la petite Kaëna, 9 ans, est morte un mois après l'intervention du neurochirurgien australien. Contesté par ses pairs, Charlie Teo est devenu un habitué des médias.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le neurochirurgien Charlie Teo à la une de l'édition australienne du "Reader's Digest", en juillet 2011. (BSIP / GETTY IMAGES / FRANCETV INFO)

Le miracle n'a finalement pas eu lieu, malgré l'infatigable combat de la famille de Kaëna. Atteinte d'un gliome infiltrant du tronc cérébral, une tumeur au cerveau, la petite fille de 9 ans est morte à l'hôpital Pellegrin de Bordeaux (Gironde), mercredi 19 novembre, rapporte Sud Ouest.

Son décès marque la fin de plusieurs mois de mobilisation pour la fillette, jugée inopérable en France. Les proches de l'enfant avaient réuni 35 000 euros pour une "opération de la dernière chance" menée mi-octobre en Allemagne par le neurochirurgien australien Charlie Teo. Superstar du corps médical dans son pays, l'homme n'en est pas moins décrié par certains de ses confrères, qui l'accusent de jouer avec l'espoir des familles. Génie du bistouri ou charlatan ? Francetv info s'est penché sur sa carrière.

Il opère "les cancers que les autres n'osent pas traiter"

Charlie Teo en a fait son "fonds de commerce". Le neurochirurgien s'est spécialisé dans les "tumeurs aux cerveaux inopérables", "ces cancers que les autres n'osent pas traiter", écrit la journaliste Susan Wyndham dans Life in his hands (en anglais), un livre qui lui est consacré. D'après l'ouvrage, publié en 2009, le bilan médical de Teo serait "incroyable" : "En plus de 5 000 interventions, il n'a jamais perdu un patient sur la table d'opération."

Sa première performance ultramédiatisée remonte à 2001. A l'époque, il opère le pianiste australien Aaron McMillan, dont on a diagnostiqué une "énorme" tumeur au cerveau, raconte le Sydney Morning Herald (en anglais). Sans cette opération, le jeune musicien (il avait alors 24 ans) n'aurait eu que quelques semaines à vivre, assure le journal. Deux jours après cette délicate intervention, l'artiste est déjà hors du lit et joue de son instrument dans les couloirs de l'hôpital. Le tout est filmé par les caméras de la télévision australienne, qui ont aussi immortalisé la performance du neurochirurgien. Le cancer finit cependant par rattraper le pianiste : Aaron McMillan meurt six ans plus tard, à l'âge de 30 ans, accompagné par son "grand ami" Charlie Teo.

L'Australien "le plus digne de confiance"

A des milliers de kilomètres de la France, la presse raffole des success stories du médecin "controversé et charismatique", habitué des courses de vitesse sur sa moto et accro au groupe Abba, qu'il dit écouter en salle d'opération. Couronné "personnalité la plus digne de confiance" par les Australiens dans un sondage de 2014, Charlie Teo s'exprime régulièrement pour évoquer sa fondation, Cure Brain Cancer. Et depuis 2011, l'homme est même membre de l'Ordre d'Australie, sorte de Légion d'honneur locale, en récompense de ses "services" dans le domaine médical.

"Il n'y a rien de mieux que de sauver la vie de quelqu'un", confiait-il en 2003 à la chaîne ABC (en anglais). La même année, dans les colonnes du Sydney Morning Herald (en anglais), il expliquait pourquoi il acceptait d'opérer des patients même dans les cas jugés incurables, où la quasi-totalité de ses confrères s'y refusent. "Quand il y a de la qualité de vie, il y a de l'espoir, arguait-il. Si les gens n'ont pas envie de mourir, je ne vais certainement pas les condamner. Les patients que j'ai opérés auraient dû mourir dans les six mois, nombre d'entre eux sont encore en vie et beaucoup ont survécu deux, trois ou quatre ans."

Un "mensonge" ou une "escroquerie" pour certains

Dans l'Hexagone, les praticiens sont réservés face à ses méthodes, notamment dans le cas de la petite Kaëna, atteinte d'un gliome infiltrant du tronc cérébral. Avec une telle pathologie, "impossible de dissocier la structure cérébrale normale de la tumeur", expliquait au Parisienavant une opération similaire, le docteur Jacques Grill, en charge d'une équipe de recherche sur le sujet à l'institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) : "Le chirurgien ne peut pas enlever une partie de la tumeur, car il retirerait aussi une partie du cerveau." Pour lui, promettre d'enlever 80 à 90% de la tumeur "serait un mensonge ou une escroquerie" : le docteur Teo a beau être "assez doué techniquement", "aujourd'hui, cette maladie reste incurable".

L'analyse est partagée par Patrick Delhemmes, ex-directeur du service de neurochirurgie pédiatrique du CHU de Lille (Nord). "Opérer une enfant qui est déjà en situation grave pour ne rien faire, c'est l'aggraver", prévenait même sur France Info le professeur avant l'intervention programmée sur Kaëna. S'il comprenait la démarche des parents, il avait des mots très durs face à l'attitude de son confrère australien. "Le comportement du chirurgien est manifestement une escroquerie", concluait-il.

Une "arrogance inégalable", selon une partie de ses confrères

Après des premiers résultats encourageants selon sa famille, Kaëna a finalement "fait une détresse respiratoire". "A ce moment-là, elle m'a fait part de son désir de mourir, qu'elle en avait marre de souffrir, écrit sa mère sur Facebook. J'ai écouté sa dernière volonté et je l'ai autorisée à partir au ciel."

Cette issue tragique ne décourage pas les proches de Nejma, 16 ans. Atteinte de la même maladie, l'adolescente du Val-d'Oise doit, elle aussi, être traitée par le docteur Teo, une intervention dont le coût est évalué à 90 000 euros. Dans Le Parisien (article payant), sa mère, Samira, se dit "prête à partir du jour au lendemain" à Singapour, où l'opération doit avoir lieu, malgré, là aussi, l'avis des médecins français. "La chirurgie n'est pas la solution" dans ce genre de cas, martèle le docteur Jacques Grill, qui a suivi la jeune fille.

En Australie aussi, son attitude agace le corps médical. Certains lui reprochent de ne pas consulter les autres médecins, de se comporter de façon irrespectueuse avec les infirmières ou d'être d'une "arrogance inégalable", écrit Susan Wyndham dans Life in his hands, citée par le Daily Telegraph (en anglais)Showman assumé d'après le Sydney Morning Herald (en anglais), Charlie Teo suscite notamment l'ire de la profession après un gala de charité fin 2010. Le neurochirurgien offre alors aux enchères la possibilité de passer une journée à ses côtés, y compris au bloc opératoire. "La chirurgie n'est pas un spectacle", lui rétorque un responsable du Collège royal des chirurgiens australiens.

Charlie Teo dénonce "la jalousie" de ses pairs

Charlie Teo a pris l'habitude de balayer les critiques de ses confrères d'un revers de la main. Sur la chaîne Nine Network (en anglais), en 2007, il évoquait déjà "la jalousie professionnelle" de certains de ses pairs. "Quand vous enlevez une tumeur et que quelqu'un a dit que cette tumeur était inopérable, cela donne l'impression que la première personne a dit quelque chose de faux au patient, confiait-il à ABC. Je ne vais pas refuser d'opérer des gens atteints de tumeurs au cerveau que je juge opérables juste pour ne pas faire de vagues, juste pour ne pas heurter les sentiments d'un autre." A en croire la presse australienne, il reste, quoi qu'il arrive, un "héros" pour ses patients.

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