: Reportage Dans le Lot, la lutte contre les déserts médicaux s'organise dès le lycée avec Parcoursup
En ce vendredi après-midi d'avril plane une quiétude inattendue dans la cour de récré du lycée Jean-Lurçat de Saint-Céré (Lot). La plupart des 300 élèves qui y étudient sont déjà en week-end, mais Amaëlle, Nicol et Anna, élèves de première, patientent sur un banc avec des beignets au chocolat avant leur cours de chimie, qui doit les préparer à la première année d'études de médecine, qu'elles espèrent intégrer à la rentrée 2025. "Je dois avouer que les cours en plus, le vendredi après-midi, ça a bien failli me décourager", confie Anna.
A ses côtés, Amaëlle ne semble pas de cet avis. "Je sais que je veux être chirurgienne depuis le collège. Mais pour y parvenir, je devrai mettre de l'argent de côté et carburer à l'école", affirme la lycéenne qui a troqué quatre jours de vacances scolaires pour un stage dans un service de cardiologie.
Les élèves de terminale, eux, ont les yeux rivés sur Parcoursup, dont la première phase d'admission débute vendredi 30 mai. Huit d'entre eux sauront enfin si la faculté de médecine a approuvé ou non leur demande d'inscription.
Des ruraux qui s'autocensurent
En attendant, tout est fait pour séduire ces aspirants étudiants en médecine. Tous les vendredis après-midi, ils sont une trentaine (19 élèves de première et 11 de terminale) à suivre une option de trois heures hebdomadaires, mêlant des cours de renfort en sciences de la vie et de la terre (SVT) ou en physique-chimie, mais aussi des cours moins conventionnels, comme des interventions de médecins, chirurgiens, infirmiers ou kinés du département. Des heures de coaching leur sont même proposées pour gérer leurs futures révisions, leur stress et leur alimentation, pendant cette première année d'étude anxiogène. Des visites d'universités sont aussi organisées régulièrement.
"Ce sont ces cours et les stages qui m'ont le plus aidé. Je savais à quoi m'attendre et mieux gérer mes révisions", analyse avec un peu plus de recul Enzo Maillot, en première année de médecine à Limoges (Haute-Vienne). "Au départ, je voulais être ostéopathe. Mais c'est en suivant une sage-femme de Saint-Céré que j'ai voulu intégrer médecine."
"Au début, j'avais peur de ne pas être pris, car je ne pensais pas avoir le niveau. Mais en rencontrant ceux qui avaient suivi l'option juste avant moi, j'ai vu que c'était possible."
Enzo Maillot, étudiant en première année de médecineà franceinfo
Intégrées au dispositif "cordées de la réussite" de l'Education nationale, ces heures de cours supplémentaires doivent susciter la vocation d'élèves qui ont grandi à la campagne et les rapprocher des études supérieures. Il faut rouler plus d'une heure et demie pour rallier la fac de Limoges et plus de deux pour rejoindre celle de Toulouse. "L'objectif, c'est de leur donner confiance en eux, de briser cette autocensure chez les jeunes ruraux qui pensent que les études ne sont pas faites pour eux", résume David Auffray, professeur de SVT, qui chapeaute le dispositif.
Une idée venue d'élus
Fait inédit, cette initiative n'a pas germé dans la tête des enseignants, mais au sein de la communauté de communes de Cauvaldor. C'est l'équipe municipale qui, encore secouée par la crise sanitaire, est allée en 2021 à la rencontre du proviseur et des enseignants avec une idée : créer une option santé pour que les lycéens lotois se lancent dans des études médicales ou paramédicales. Avec l'idée qu'une fois leur diplôme en poche, ces jeunes ruraux, qui ont grandi dans les environs, reviendront y exercer. Ce genre d'initiatives est d'ailleurs plébiscité par la Direction de la recherche, des études et de la statistique (Drees), qui, dans son rapport de décembre 2021 sur les déserts médicaux (PDF), conclut que "le levier principal" pour lutter contre le phénomène "est la sélection des étudiants admis en école de médecine, pour augmenter la part de ceux qui sont issus de communautés défavorisées en matière d'accès aux soins".
"On a pris le parti de ne pas intégrer des critères sociaux, que ce soit pour les bourses et les lycéens admis dans l'option santé", raconte Raphaël Daubet, le président de la communauté de communes de l'époque. "On voulait vite mettre en place cette option et l'élargir au plus grand nombre, avec cette idée que, plus on enverrait d'étudiants en études de santé, plus ils seraient nombreux à revenir s'installer ici", poursuit le chirurgien-dentiste de profession, aujourd'hui sénateur du Lot. Pour cela, Thierry Chartroux, vice-président de Cauvaldor en charge de la santé, n'hésite pas à mettre la main à la poche. La communauté de communes débourse 10 000 euros chaque année pour financer les intervenants extérieurs à l'Education nationale, comme les coachs et les professionnels de santé. Une dose homéopathique à l'échelle de la communauté de communes, dont le budget annuel s'élève à plus de 60 millions d'euros, selon l'élu.
Des bourses pour les aider ensuite
Quelque 50 000 euros annuels sont alloués aux étudiants inscrits en fac de médecine, à qui la ville octroie une bourse dont le montant varie en fonction des années. "On ne pouvait pas créer une option santé et les laisser se débrouiller ensuite. En première année, on leur donne 800 euros à la rentrée, avec pour seule contrepartie de s'inscrire à un tutorat [une association de soutien pédagogique gérée par des étudiants]", explique Thierry Chartroux, producteur de noix, formé sur le tard à ces questions mêlant attractivité médicale, sociologie et éducation.
"Pendant mes études de médecine, j'avais remarqué que mes camarades étaient tous des urbains issus de classes sociales favorisées", se souvient Raphaël Daubet, qui a consacré sa thèse aux origines sociales des dentistes. Ce qui était vrai en 1997 l'est toujours aujourd'hui. Selon l'Education nationale, en 2022, seuls 8,5% des étudiants en médecine sont des enfants d'agriculteurs, 5,1% d'ouvriers, alors qu'ils représentent 18,9% de la population française, d'après l'Insee. La moitié (50,4%) est issue de parents cadres ou exerçant une profession intellectuelle supérieure. Si les chiffres restent les mêmes en 2025, Amaëlle, qui se rêve chirurgienne, fera partie des 9% d'enfants d'employés (26% de la population active) à poursuivre ces études.
C'est pour inverser cette tendance que l'option a été créée. En 2024, huit élèves de terminale sur les onze qui ont suivi ces cours supplémentaires ont demandé une université de médecine en premier choix sur Parcoursup. L'année précédente, la moitié des élèves suivant cette option avaient formulé le même vœu. Tous ont été acceptés. Au moins une a réussi à se hisser en deuxième année. "C'est une grande fierté. Depuis vingt ans que j'enseigne ici, on n'envoyait qu'un ou deux élèves par an maximum en médecine", souligne David Auffray. Ces résultats ont attiré l'attention du rectorat de Toulouse, qui a décidé d'étendre ce dispositif aux sept départements de son académie à la rentrée 2023. Elle ne sera bientôt plus la seule : la loi votée en décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins, proposée par le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, vise à expérimenter le dispositif "pour une durée de cinq ans" dans "trois académies volontaires".
Pour l'heure, avec six médecins généralistes recrutés en 2020, la communauté de communes de Cauvaldor "n'est pas" un désert médical, assure Thierry Chartroux. Du moins, pas encore. "Ce terme est banni chez nous. Nous avons sept maisons de santé, avec 44 médecins généralistes à Cauvaldor pour 47 000 habitants", égrène l'élu. Avec 147 généralistes pour 100 000 habitants au 1er janvier 2023, selon les données de l'Insee, le Lot se place juste en dessous de la moyenne régionale (157 généralistes pour 100 000 habitants).
Une solution à long terme
Mais le département est aussi le deuxième plus âgé de France après la Creuse, avec la moitié de sa population âgée de plus de 51 ans (contre 41 ans en moyenne dans l'Hexagone) et un vieillissement plus rapide que dans le reste de la région Occitanie, d'après l'Insee. Quant aux médecins en exercice dans les environs, la moitié d'entre eux ont plus de 50 ans. C'est pourquoi les élus n'ont pas voulu attendre d'avoir le scalpel "sous la gorge pour agir", souligne Thierry Chartroux.
L'élu sait que cet équilibre demeure fragile et que la situation peut basculer à n'importe quel moment. Ainsi, outre l'option créée au lycée et les bourses octroyées aux jeunes lotois, lui et son équipe travaillent pour attirer des généralistes. "On ne leur fait pas de chèque, on leur parle de projet de vie. Quand un praticien veut s'installer, on décroche le téléphone, on leur trouve un logement, une place en crèche... On leur fait comprendre qu'ils sont attendus."
Au moins dix ans seront nécessaires avant que l'option santé et les bourses accordées aux futurs soignants produisent des effets sur le territoire. D'ici là, Thierry Chartroux et David Auffray doivent résoudre un problème plus urgent : faire entrer dans l'enceinte du lycée l'ambulance pédiatrique, trop haute pour passer par l'entrée principale. Venue du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) avec une flopée de matériel médical, sa sirène et ses gyrophares, elle pourrait susciter de nouvelles vocations.
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