Alcool : "Les dommages commencent bien avant la dépendance"
L’alcool serait responsable de 41 000 décès par an en France, ce qui représente 7% de la mortalité globale, selon un bulletin de Santé publique France publié le 19 février 2019. Que faut-il faire pour diminuer ces chiffres ? Pourquoi les campagnes de prévention ont du mal à voir le jour ? Le Magazine de la Santé a posé ses questions au professeur Michel Reynaud, psychiatre et Président du Fonds Actions Addictions.
- Qu’appelle-t-on un "gros buveur" et à partir de quand la consommation est-elle à risque ?
Pr Reynaud : "Le vin n’est pas bon pour la santé et les plus grandes études récentes ont montré que dans tous les cas, l’alcool est dangereux même à faible dose, c’est-à-dire à partir d’un verre par jour. Mais c’est un risque limité, considéré comme acceptable par Santé publique France et par la plupart des gens car l’alcool apporte énormément de plaisir : un plaisir psychique et un plaisir de convivialité, d’échange avec les autres donc il faut en tenir compte : on a le droit de prendre des risques. Mais il faut bien avoir en tête qu’à partir de trois ou quatre verres, tous les dommages augmentent : que ce soit le cancer, que ce soit la cirrhose, que ce soit les dommages à autrui comme les viols, les violences ou les accidents de voiture… c’est exponentiel. Les gros buveurs sont ceux qui ont le plus de danger."
- Mais cela ne veut pas dire forcément qu’ils sont alcoolo-dépendants, ce qu’on appelle communément alcooliques ?
Pr Reynaud : "Non, les dommages de l’alcool commencent bien avant la dépendance ! La dépendance est une maladie qu’on découvre tardivement, mais les drames familiaux et un certain nombre de pathologies commencent bien avant. Il y a des consommations faibles qui sont des consommations à risque, mais à risque acceptable, par contre il faut se battre contre les consommations exagérées, excessives, je dirai à partir de quatre verres par jour ou 30 verres par semaine ou des consommations en une fois de plus de six ou sept verres. Là on prend des risques. Le problème est que 10% des buveurs achètent 58% de l’alcool. Je le ramène à ce qu’on appelle le principe de Pareto : 20% des consommateurs achètent 80% de l’alcool. Le modèle économique de l’alcool, y compris du vin, repose sur les gros consommateurs et notre société est construite autour de ces gros consommateurs : ce sont eux qui ont les dommages, ce sont eux qui font courir des risques aux autres mais ce sont eux qui rapportent à toute la filière."
- Mais pourquoi le message "L’alcool tue" n’arrive pas à passer en France ?
Pr Reynaud : "La France est le pays du vin, du plaisir associé au vin, qui structure les territoires, qui fait la richesse de la France, qui fait son image. Et c’est derrière ce vin là que nous nous retranchons. Mais le problème n’est pas les grands vins et les bons vins, ce sont les vins à très bas prix qui sont déversés, achetés en vrac dans d’autres pays et l’essentiel de l’argent se fait sur des grosses consommations qui se font sur des vins de mauvaise qualité."
- Vous parlez beaucoup du vin mais dans toutes les boissons alcoolisées il y a de l’alcool et on a l’impression qu’il y a une sorte de complaisance : si je bois trois verres standards de 3 cl de whisky, les gens jugeront que cela fait beaucoup alors que si je bois trois verres de vin de 10 cl, soit la même quantité d’alcool, ça paraît normal. N’est-ce pas un piège ?
Pr Reynaud : "Si, parce que le vin faisait partie de la culture, mais des repas, nos anciens en buvaient midi et soir et cela ne fait pas si longtemps qu’on l’a retiré de l’école ou de l’hôpital. Jusqu’il y a très peu de temps, l’industrie alcoolière disait "le vin est bon pour la santé" et continue à vouloir faire passer ce message. Donc on a baigné dans l’idée que le vin était bon et quelque chose de bon peut faire un peu de mal mais uniquement à des gens très particuliers. Non, le problème n’est pas là : c’est un continuum franchement dangereux à partir de trois ou quatre verres par jour."
- Et le problème est que les alcooliers veulent maintenant attirer à eux ceux qui consomment peu de vin, en l’occurrence les jeunes, qui consomment d’autres alcools et de façon différente. On a notamment vu apparaître des mélanges avec du vin et différents jus de fruits ou sodas. Que faire contre cela ?
Pr Reynaud : "C’est profondément scandaleux pour un acteur de santé publique. Effectivement, ils ciblent les populations qu’ils n’ont pas à savoir les jeunes et les femmes, la consommation de vin étant plutôt une habitude d’hommes de 50 ans et plus. Ils ont donc ciblé les femmes avec du rosé et ils ciblent les jeunes avec d’abord des produits sucrés et toute une série de stratégies sur le web en utilisant des influenceurs. Ils ciblent très clairement les mineurs et il n’y a pas interdiction de vente contrairement à la loi dans les bars ou dans les grandes surfaces. En parallèle, ils pratiquent un apprentissage au goût en apprenant tôt à boire. Or toutes les études internationales montrent que quand on commence à faire boire tôt, statistiquement il y en aura plus qui vont accrocher. Et si on fait boire dix personnes régulièrement, une sur dix deviendra dépendante.
Il faut donc qu’on agisse contre les consommations excessives et dénormaliser l’ivresse, dénormaliser le fait de remplir systématiquement un verre et dénormaliser le fait que dans une soirée il n’y ait pas d’eau ou pas de jus de fruits et faire bouger les pouvoir publics."
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