Crack à Paris : l'évacuation du square Forceval a "réglé la situation d'urgence mais pas le problème des consommateurs"
Il y a un mois, la préfecture de police de Paris avait démantelé ce campement du 19e arrondissement où vivaient plusieurs centaines de fumeurs de crack. Franceinfo a recueilli le témoignage de riverains, d'élus et de médecins, qui tirent un bilan contrasté.
Le calme est revenu autour du square Forceval, dans le 19e arrondissement de Paris, dimanche 6 novembre. Les centaines de consommateurs de cracks qui y vivaient entassés les uns sur les autres ont définitivement quitté les lieux. Un mois après le démantèlement du camp par la police, les riverains et commerçants que nous croisons se disent soulagés. "On avait peur, il n'y avait pas de sécurité, donc ils attaquaient les gens. Ils étaient violents, affirme une habitante du quartier. Et puis, c'était sale". "Des gens complètement perdus qui étaient prêts à tout", ajoute un riverain.
Une quarantaine de personnes avaient été interpellées après l'évacuation de ce campement de consommateurs installé depuis près d'un an. En ce début novembre, la police est encore très présente dans ce secteur proche de la porte de la Villette afin d'éviter que le square ne soit à nouveau transformé en squat.
Des consommateurs mieux orientés
Pour autant, le problème du crack est encore loin d’être réglé, constate Séverine Guy, adjointe au maire du 19e arrondissement, en charge de la santé : "En réalité, les consommateurs ont été dispersés. C'est vrai dans le 19ᵉ, mais c'est aussi vrai dans le 18ᵉ arrondissement. Cette diffusion est quand même anxiogène pour les habitants parce que c'est des scènes de deal en plein air. Ça a réglé la situation d'urgence de ce campement qui était vraiment atroce, mais ça n'a pas réglé le problème des consommateurs".
Des consommateurs dispersés, par petits groupes, mais qui, faute de campement, se tournent plus facilement vers des structures d’accueil. C’est le point positif, souligné par José Matos, de l’association de réduction des risques Gaïa. Sa structure reçoit 30% de consommateurs en plus ces dernières semaines. Et puis la fin de Forceval, c’est aussi la fin d’une zone de non-droit où la consommation de crack était totalement débridée : "Ce qui s'est passé au square Forceval, c'est que c'était disponible en permanence, ce qui était beaucoup plus compliqué pour les gens à gérer. Tant qu'il y a du produit, ils vont consommer et on a vu des personnes s'enfoncer dans l'addiction."
"Cet endroit n'est plus là et c'est plutôt positif. Maintenant, rien n'a été mis en place au niveau médico-social, au niveau hébergement, au niveau espaces de repos. Parce que les personnes consomment la nuit, et la journée elles n'ont aucun endroit pour aller se poser."
José Matos (association Gaïa)à franceinfo
Depuis le démantèlement du camp, quelques dizaines de places d’hôtel ont été débloquées par les pouvoirs publics pour accueillir les consommateurs. Les associations en réclament beaucoup plus afin d’éviter la reconstruction d’un nouveau campement dans les mois à venir.
Vers une prise en charge psychosociale
Ces places d'hébergement sont capitales dans le parcours de soin des consommateurs de crack. Avoir un toit, c'est retrouver une forme de stabilité et c'est aussi l'une des étapes vers le sevrage. La prise en charge de ces patients doit être globale, défendent les addictologues. Dans l'immense majorité des cas, un consommateur de crack accumule les pathologies et vit dans une grande précarité, explique le professeur Amine Benyamina, chef du service psychiatrie et addictologie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif (Val-de-Marne) : "Le profil d'un consommateur de crack, c'est d'abord et avant tout la désinsertion sociale. La consommation du crack va organiser une vie de marginalité qui va être à l'origine de dommages physiques et psychologiques. On a très souvent ce qu'on appelle des comorbidités psychiatriques."
"On peut avoir des personnes très souvent anxieuses, dépressives, mais parfois on a des pathologies encore plus graves, au sens ou elles nécessitent une prise en charge très spécialisée, comme des pathologies psychotiques."
Professeur Amine Benyaminaà franceinfo
Le psychiatre évoque aussi "des problèmes infectieux, des problèmes de peau, des problèmes de dents, des problèmes de cheveux, des problèmes de métabolisme". Ces pathologies ne sont d'ailleurs pas toujours uniquement dûs à la seule consommation de crack, précise le professeur Benyamina : "On a affaire la plupart du temps à des polyconsommateurs. Souvent, ce sont des consommateurs d'alcool, d'opiacés, de médicaments pour pouvoir soulager le manque."
La motivation, "l'une des meilleures pistes" pour décrocher
Pour soigner ces polyconsommateurs, estime ce praticien, il faut "des sas" : "C'est toute la politique de la réduction des risques qui se décline sur le social, le psychologique et l'addictif. Le social, c'est un toit, de l'hygiène. Le psychologique, évidemment, c'est gérer la problématique psychiatrique. Et l'addictif, c'est les aider à consommer différemment, sans prendre de risques pour elles et pour l'environnement." Une fois ce cadre rassurant mis en place, poursuit le professeur Amine Benyamina, "on travaille la motivation. L'une des meilleures pistes, c'est le travail de motivation et le travail d'aide psychologique pour pouvoir décrocher."
Une telle prise en charge psychosociale des consommateurs de crack semble faire consensus au sein de la communauté médicale. D'autant qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, de traitement de substitution à cette drogue.
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