Royaume-Uni : quatre questions sur le projet d'interdire la vente de cigarettes aux générations nées à partir de 2009

L'adoption de cette mesure, unique au monde, est en bonne voie malgré l'opposition de certains conservateurs. Le gouvernement britannique espère réduire la mortalité et les dépenses publiques associées au tabagisme.
Article rédigé par franceinfo
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Une personne allumant une cigarette à Londres (Royaume-Uni), le 9 juin 2022. (JUSTIN TALLIS / AFP)

Le Royaume-Uni va-t-il devenir un pays non-fumeur ? C'est en tout cas l'ambition à long terme du gouvernement britannique, qui défend un projet de loi visant à interdire la vente de cigarettes à toute personne née après le 1er janvier 2009, y compris après sa majorité. Les élus de la Chambre des communes ont voté en faveur du texte, mardi 16 avril. En cas d'adoption définitive du texte, qui pourrait avoir lieu au mois de juin selon le Guardian, ces adolescents aujourd'hui âgés de 14 ou 15 ans deviendraient ainsi la première "génération sans tabac" au Royaume-Uni, où la cigarette est la première cause de mortalité évitable selon le gouvernement. Franceinfo revient, en quatre questions, sur les enjeux autour de ce texte très remarqué.

1 Que prévoit précisément ce projet de loi ?

Pour lutter contre le tabagisme, le gouvernement dirigé par le conservateur Rishi Sunak a décidé de s'attaquer à la vente de cigarettes. Le projet de loi voté mardi, qui pourra encore être amendé au fil de son examen au Parlement britannique, prévoit de rendre illégale toute vente de cigarettes aux personnes nées après le 1er janvier 2009. La vente de tabac est actuellement interdite aux moins de 18 ans au Royaume-Uni – cet âge minimum va donc, mathématiquement, augmenter progressivement à partir de 2027, quand les jeunes de la première "génération sans tabac" atteindront la majorité.

Le texte, qui s'appliquera en Angleterre et au pays de Galles, prévoit une amende de 100 livres sterling (117 euros) pour les magasins qui ne respecteront pas l'interdiction. Cette somme s'ajoute aux amendes de 2 500 livres (2 920 euros) que les tribunaux peuvent déjà infliger en cas de vente de tabac à des mineurs, précise l'exécutif britannique dans un communiqué.

Mais la lutte contre le tabagisme ne se limite plus aux cigarettes. C'est pourquoi le projet de loi pose également des restrictions sur les arômes des cigarettes électroniques, en vogue dans les cours de récréation. En 2023, un enfant sur cinq parmi les 11-17 ans avait déjà vapoté au Royaume-Uni, selon un sondage de YouGov pour l'organisation anti-tabac ASH. Le texte entend étendre l'interdiction de vente aux mineurs aux produits sans nicotine, et permettre de réglementer la façon dont les produits sont vendus et emballés, afin de les rendre moins attrayants.

2 Pourquoi le Royaume-Uni prend-il de telles mesures ?

"Il est de notre responsabilité, de notre devoir, de protéger la prochaine génération", a justifié la ministre de la Santé, Victoria Atkins, à l'ouverture des débats à Westminster, mardi. Car au total, 6,4 millions de Britanniques âgés de plus de 18 ans grillent encore des cigarettes en 2023, soit environ 12,9% de la population, selon ASH. Même si le nombre de fumeurs est deux fois moins élevé qu'en France, le tabac est la première cause de mortalité évitable au Royaume-Uni, responsable de 80 000 morts par an selon le gouvernement. La création d'une "génération sans tabac" pourrait permettre d'éviter plus de 470 000 cas de maladies cardiaques, d'accidents vasculaires cérébraux, de cancers du poumon et d'autres pathologies d'ici à la fin du siècle, plaide l'exécutif britannique.

Environ 12% des Anglais de 16 et 17 ans fument, et quatre fumeurs sur cinq ont commencé avant l'âge de 20 ans, avance également le gouvernement britannique. "Une grande majorité des fumeurs aimerait ne jamais avoir commencé", a souligné sur la BBC Chris Whitty, conseiller médical en chef du gouvernement britannique. Mais "une fois qu'ils sont devenus dépendants, ils n'ont plus le choix".

Le tabac a aussi de lourdes répercussions sur le système de santé britannique. L'organisation ASH estime que le tabagisme et ses conséquences coûtent 17 milliards de livres (près de 20 milliards d'euros) "à la société" britannique chaque année. Outre les frais liés à la santé, l'association anti-tabac intègre dans son calcul les coûts liés à la baisse de productivité, aux arrêts de travail et à la mortalité précoce des fumeurs en âge de travailler.

3 Pourquoi cette politique fait-elle débat outre-Manche ?

Ce projet de loi, bien que soutenu par la grande majorité des Britanniques, a suscité de nombreuses critiques, notamment dans le camp du Premier ministre, Rishi Sunak. Mardi, lors du vote à la Chambre des communes, la quasi-totalité des 67 voix contre le texte sont venues des conservateurs. L'éphémère cheffe du gouvernement Liz Truss voit dans le texte une atteinte aux principes de sa famille politique : "Nous sommes un pays libre. Nous ne devrions pas être ceux qui disent aux gens de ne pas fumer", a-t-elle estimé. "Il est très important de protéger les personnes jusqu'à ce qu'elles aient la capacité de prendre des décisions lorsqu'elles grandissent, mais je pense que l'idée même que nous pouvons protéger les adultes d'eux-mêmes est extrêmement problématique", a ajouté, à la Chambre des communes, celle à qui Rishi Sunak a succédé.

L'ancien ministre de l'Immigration Robert Jenrick, pressenti comme un candidat potentiel à la direction du Parti conservateur, s'est également opposé au texte sur X, affirmant son attachement à la "liberté individuelle", mais aussi "au principe de l'égalité devant la loi", auquel cette interdiction frappant certaines générations "serait un affront"

"Nous n'avons pas l'habitude d'interdire des choses, nous n'aimons pas ça", mais "nous sommes arrivés à la conclusion qu'il n'y avait pas de liberté dans l'addiction", a rétorqué la ministre de la Santé, Victoria Atkins, à la tribune, mardi. Une position partagée par le conseiller médical en chef du gouvernement, Chris Whitty, qui a rappelé qu'une fois que les gens deviennent dépendants du tabac, "ils étaient privés de leur choix".

4 Cette interdiction existe-t-elle ailleurs ?

Le projet du Royaume-Uni est très similaire à celui de la Nouvelle-Zélande, premier pays au monde à voter un texte de ce type en 2022. La loi devait interdire la vente de cigarettes à toute personne née à partir de 2008. Mais fin 2023, le nouveau gouvernement conservateur a annoncé l'abandon de ces mesures pionnières, invoquant les craintes de voir naître un vaste marché noir du tabac. Le Premier ministre fraichement élu, Christopher Luxon, a également reconnu que les recettes fiscales provenant des ventes de cigarettes généraient des revenus bienvenus pour le gouvernement, tout en soulignant que ce n’était "pas la motivation" de l'exécutif pour revenir sur cette interdiction.

Le Bhoutan et le Vatican ont totalement interdit la vente de cigarettes, tout âge confondu. D'autres pays ont toutefois mis en place des politiques pour venir à bout du tabac. L'Australie est l'un des pays les plus restrictifs, puisqu'il est interdit de fumer dans l'intégralité des lieux publics, à l'exception de la rue, explique La Croix. En Amérique latine, seul le Mexique propose une législation similaire, avec interdiction de fumer dans l'espace public, parcs et places inclus, depuis janvier 2023, selon Euronews.

L'idée d'empêcher la jeunesse de se mettre à la cigarette n'est, par ailleurs, pas totalement étrangère à la France : en 2021, Emmanuel Macron disait souhaiter une "génération sans tabac", évoquant les jeunes qui auront 20 ans en 2030. C'est-à-dire un an de moins seulement que la tranche d'âge concernée au Royaume-Uni. Mais le président de la République proposait d'agir sur les prix, les campagnes de prévention et l'extension des lieux non-fumeurs, sans envisager d'interdiction totale de la vente.

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