PFAS : le ministre Roland Lescure souhaite introduire "un peu de raison et beaucoup d'Europe" et prouver leur dangerosité avant de les interdire
Jeudi 4 avril, les députés ont adopté en première lecture une proposition de loi pour interdire la fabrication et la vente de produits contenant des Pfas, excluant toutefois les ustensiles de cuisine, après une forte mobilisation cette semaine des salariés de Seb, fabricant des poêles Tefal. Pour Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie invité de franceinfo jeudi 4 avril, interdire totalement l'usage de ces "polluants éternels" n'est pas souhaitable tant que la dangerosité des produits n'est pas prouvée.
Pourtant, plusieurs scientifiques ont récemment signé une tribune dans le journal Le Monde pour alerter sur les dangers des PFAS sur la santé, ce que réfute le ministre, tout en se disant "attaché à la santé des Français". Il assure avoir demandé "d'accélérer le mouvement en Europe", pour réguler ces produits. "Si l'autorité européenne reconnaît en 2027 que ce produit n'est pas dangereux, on aura interdit un produit non-dangereux en France, détruisant des centaines d'emplois", avance-t-il.
Franceinfo : Les députés ont approuvé en première lecture l'interdiction des polluants éternels, sauf pour les ustensiles de cuisine. Cela a été sorti du texte à votre demande. Pourquoi avoir cédé comme cela aux industriels, notamment à Seb ?
D'abord, je voudrais vraiment insister sur le fait que nous, le gouvernement, la majorité et je pense, tous les députés qui étaient présents à l'Assemblée nationale, sommes extrêmement attachés à la santé des Françaises et des Français. Et personne, en tout cas moi le premier, ne souhaite sacrifier la protection sanitaire des Françaises et des Français à des emplois industriels.
Alors pourquoi tergiverser ? Les écologistes voulaient 2027, vous vouliez 2030...
Non, non, non. Ce que je voulais et ce que je veux toujours, c'est que les interdictions de PFAS se fassent sur la base de principes clairs. Le premier : la science. On a aujourd'hui une autorité indépendante européenne, reconnue dans le monde entier, qui passe en revue, à la demande de la France notamment, l'ensemble de ces produits (il y en a des milliers) de manière à statuer si oui ou non, ils sont dangereux. S'ils sont dangereux, évidemment, on les interdit. On en a déjà interdit un certain nombre. Et s'ils ne le sont pas, on les autorise, avec un certain nombre de contraintes. Aujourd'hui, il n'y a pas d'études scientifiques qui montrent la dangerosité des PFAS inclus dans les poêles Tefal.
Roland Lescure, il y a pour le moins des alertes. C'est quand même étrange de pouvoir autoriser une molécule avant d'être sûr qu'elle soit bonne ou pas pour la santé. C'est dans l'autre sens que ça devrait se faire, non ?
Non, pardon, il y a aujourd'hui des dizaines de milliers de produits... Les PFAS, qu'est ce que c'est ? C'est un atome de carbone, un atome de fluor et un certain nombre d'atomes autour qui sont contenus dans des dizaines d'instruments qui sont pour certains extrêmement utiles. Je vais vous donner deux exemples très concrets. Aujourd'hui, les pompiers, quand ils vont au feu, ils ont des combinaisons ignifugées qui contiennent en partie des PFAS. Et évidemment, on s'est assuré que les pompiers n'allaient pas souffrir de la présence de ces produits dans leurs combinaisons ignifugées. Mais si vous interdisez tous les PFAS, il n'y aura plus de combinaisons ignifugées pour les pompiers français. On pourra toujours évidemment faire appel à des pompiers allemands, suisses ou italiens, vous reconnaîtrez que c'est un peu bizarre. Deuxième exemple important : les prothèses de hanche. Aujourd'hui, il y a des PFAS dans les prothèses de hanche. Ils ont évidemment été autorisés par des autorités sanitaires. Et donc le sujet de cette proposition de loi, c'était qu'on interdit tous les PFAS pour un certain nombre d'usages sans vraiment se demander s'ils sont dangereux ou pas. Nous, on a demandé - et on n'est pas les seuls, les Allemands, les Néerlandais, les Suédois, les Danois l'ont demandé - d'accélérer le mouvement en Européens. Parce que j'insiste, c'est en Européens qu'on arrivera à véritablement réguler ces produits de manière efficace sur tous ces produits-là. Et on a, au fur et à mesure que les autorités nous donnent leur avis sur la dangerosité, évidemment des décisions à prendre. Et on les prend.
C'est vraiment 3 000 emplois menacés, comme le dit Seb ? D'autres secteurs se sont engagés dans une transition, les cosmétiques, les emballages alimentaires. Et on sait comment ça marche : l'industrie a besoin d'échéances, de dates. Est-ce que ce n'est pas le moment d'inciter les industriels à trouver des alternatives avec des dates ?
Je ne suis pas l'avocat de défense de l'entreprise Seb. Mais ce que je peux vous dire, c'est que Seb est sorti d'un PFAS dangereux [l'acide perfluorooctanesulfonique, PFOS] en 2012, près de dix ans avant que la réglementation ne les interdise. Donc montrer du doigt une entreprise qui, en tout cas dans le passé, s'est montrée responsable, a trouvé une alternative [le téflon, ou polytétrafluoroéthène, PTFE] pour laquelle aujourd'hui, on a quand même beaucoup d'études qui montrent qu'elle ne semble pas dangereuse... Je comprends que ça ne suffise pas, de savoir qu'elle ne "semble" pas dangereuse. C'est pour ça qu'on a demandé d'accélérer la procédure européenne pour nous assurer effectivement que ce produit n'est pas dangereux. On aura ces résultats avant 2027. Les écologistes disaient : on interdit ça en 2027. Donc, soit d'ici 2027, l'autorité européenne nous dit que c'est dangereux et on l'aura interdit – et on le fera de toute façon – soit l'autorité européenne nous dit que ce n'est pas dangereux et on aura interdit en France un produit non-dangereux. Il y aura effectivement sans doute des centaines d'emplois qui auront été détruits et des poêles Tefal qui seront peut-être faites ailleurs, ou des poêles qui ne seront pas Tefal, qui seront faites ailleurs, et qu'on continuera à consommer. On essaye d'introduire un peu de raison dans un débat qui est passionné – et on l'entend qu'il soit passionné, on parle de notre santé. Un peu de raison et beaucoup d'Europe, parce que c'est comme ça qu'on le fera.
Avec une majorité qui est tiraillée. On l'a vu notamment quand le RN a voulu supprimer la taxe pollueur-payeur par un amendement que vous soutenez et auquel le président de votre groupe s'oppose. Et finalement, le groupe a voté contre. C'est compliqué pour eux aussi, les députés, d'assumer de laisser sur le marché des produits dangereux.
Ce sont des sujets qui ne sont pas simples effectivement, et pour lesquels la législation nationale n'est sans doute pas la plus adaptée. C'est pour ça que le gouvernement continue à pousser pour qu'on fasse en Européens. Sur le financement, je vais être très clair. Il va falloir financer ces nouvelles mesures et je me suis engagé à ce que, dans le cadre du projet de loi de finance, on ait ce débat. La seule chose que j'ai dite, c'est que la taxe pollueur-payeur qui était proposée supposait de financer la dépollution d'hier, celle qui est présente aujourd'hui dans les nappes phréatiques et qui ne vient sans doute pas des industriels de demain, qui vient même parfois de produits qui ne sont pas industriels. Quand vous éteignez un incendie, vous utilisez des mousses chargées en PFAS. Il s'avère qu'autour des aéroports, on fait souvent des exercices de protection contre l'incendie, on utilise des mousses et il y a des PFAS.
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