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Cinq mois après sa naissance, le plus petit bébé du monde est sorti de l'hôpital : "Derrière l'exploit technique, il y a quand même des êtres humains"

Jacques Sizun, pédiatre néonatalogiste, salue le travail des équipes médicales de l'hôpital californien, aux-États-Unis, où est né en décembre dernier ce grand prématuré, qui ne pesait alors que 245 grammes.

Article rédigé par franceinfo
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Aux États-Unis, un bébé est né en décembre après seulement 23 semaines de grossesse et pesait 245 grammes à la naissance. Jeudi 30 mai, il a pu sortir de l'hôpital. Photo d'illustration. (TINA STALLARD / HULTON ARCHIVE)

Le plus petit bébé du monde est né en décembre dernier en Californie à seulement 23 semaines et trois jours de grossesse. La fillette ne pesait pas plus qu'une grosse pomme, à peine 245 grammes. Après cinq mois de soins intensifs, la petite fille, surnomée Saybie par le personnel de santé a atteint 2,3 kg et a pu sortir de l'hôpital jeudi 30 mai, en bonne santé. "Mais derrière l'exploit technique, il y a quand même des êtres humains"a souligné sur franceinfo Jacques Sizun, pédiatre néonatalogiste, chef du service de néonatalogie et réanimation pédiatrique du CHU de Brest. 

franceinfo : la survie de ce bébé, est-ce un miracle, ou une prouesse médicale ?

Jacques Sizun : Ce n'est pas un miracle puisque, derrière cette survie, il y a beaucoup de technologie et beaucoup de pratique médicale avec des équipes forcément excellentes. Mais derrière l'exploit technique, il y a quand même des êtres humains, il y a ce bébé, des parents, une fratrie. Il est impossible de réduire le débat aux seuls aspects techniques. Il est absolument nécessaire d'avoir une réflexion éthique.

Un bébé aussi jeune en âge gestationnel ressemble plus à un fœtus qu'à un nouveau-né à terme de trois kilos. C'est un bébé qui a des organes insuffisamment préparés et donc chaque organe va défaillir sauf si on apporte un soutien pour la respiration, pour le cœur, pour la digestion. C'est de la médecine de haute précision pour laquelle on a besoin de technique et de matériel adaptés à ce tout petit poids, mais on a surtout besoin d'équipes médicales et d'infirmières qui soient très rodées à la prise en charge de ces enfants.

Avez-vous déjà eu des doutes sur l'opportunité de faire naître un tel bébé ?

Le doute est permanent dans le travail de néonatalogie, c'est-à-dire que devant chaque situation individuelle, il est absolument nécessaire d'avoir une discussion loyale et fréquente avec les parents pour que l'on ait une vision commune de ce que l'on va proposer à ce bébé particulier.

Il est très difficile de faire des généralités. C'est un travail un peu difficile puisqu'on veut d'un côté rassurer les parents en leur donnant des garanties sur ce que l'on va mettre en œuvre, sans être capable de préciser l'avenir de ce bébé. On est toujours dans une incertitude très difficile pour les parents qui rend nécessaire cette discussion permanente, quotidienne, pour mesurer les progrès du bébé mais aussi les dangers qui le guettent.

C'est quoi l'avenir d'un bébé prématuré ? Va-t-il souffrir toute sa vie ?

On ne peut pas parler de souffrance. Ce que l'on sait c'est que l'on a amélioré la survie des bébés prématurés, on a diminué les séquelles lourdes mais on se retrouve avec beaucoup d'enfants qui peuvent avoir des difficultés dans leur développement, en particulier au moment de l'intégration scolaire. On a beaucoup diminué les séquelles lourdes comme la paralysie cérébrale mais par contre, on a de plus en plus d'enfants qui atteignent l'âge scolaire, qui rentrent en CP et où on s'aperçoit à ce moment-là que des difficultés visuelles, auditives, de concentration, d'agitation, rendent difficiles leur intégration scolaire et donc forcément leur intégration dans la société. Il y a une disparité sociale importante. Il y a plus de prématurités dans les couches défavorisées de la population. Le développement des enfants y est moins bon.

Comment accompagne-t-on un enfant prématuré ?

Dans les facteurs de risques, il y a essentiellement le niveau socio-économique. Travailler sur la prématurité, sur la naissance c'est avoir une vision sociale, égalitaire de la population. Il est absolument indispensable d'aider les parents, pas simplement pendant la durée de l'hospitalisation mais après. On sait que ce suivi des enfants prématurés est très variable d'une région à l'autre. Il existe des programmes qui ont fait leurs preuves en efficacité, qui montrent un meilleur développement des bébés quand ils sont pris en charge après leur sortie du service. Le problème c'est que nous n'avons pas les moyens de diffuser ces programmes sur tous les territoires. Et c'est pour ça qu'un "plan prématurités" serait intéressant en France. Le concept de chambre familiale se développe en unité de néonatologie. La vision qu'on a de la prématurité, c'est le bébé dans un incubateur. La vision future c'est les parents dans la chambre et le bébé en peau à peau. On sait que scientifiquement, ça améliore la durée du séjour et le développement.

L'intérêt sur l'environnement précoce du bébé prématuré, c'est-à-dire l'impact que peut avoir la présence de ses parents au quotidien à son chevet, est un sujet sur lequel on s'est penchés depuis assez peu et l'architecture de nos hôpitaux ne permettent pas tout le temps d'accueillir les parents dans de bonnes conditions pendant des semaines et des semaines. Il faut vraiment envisager que ce traumatisme de la naissance pour les parents peut entraîner un stress post traumatique à distance, un an après la naissance, et l'une des façons de travailler sur ce stress c'est que les parents soient acteurs dès le départ et non pas spectateurs de quelque chose qui leur échappe.

Avec ce bébé californien, on a atteint le seuil minimal de prématurité ?

Il est probable que la limite de 22-23 semaines de gestation est une limite qu'on ne peut pas franchir avec les technologies que nous avons actuellement, puisque les poumons du bébé prématuré, du fœtus, ne sont pas développés suffisamment pour que le bébé puisse respirer même avec l'aide d'une machine. Il faudrait envisager d'autres stratégies mais qui sont pour l'instant de la science-fiction. Il faut bien concevoir que l'exploit médical que l'on va faire pour quelques cas très particuliers et qui sont assez rares, ne peut se concevoir que dans un système de santé qui est performant pour l'ensemble des nouveau-nés.

Le problème, c'est que nous savons qu'en France, nos indicateurs pour l'ensemble des nouveau-nés ne sont pas bons puisque, par exemple pour la mortalité néo-natale, la France est en 23e position sur 28 pays. Et ce qui est inquiétant c'est que cette mortalité est diminuée dans tous les autres pays européens mais pas en France. Si nous avons des progrès à faire, il faut surtout investir dans l'organisation de la prise en charge de l'ensemble des nouveau-nés et pour ça, on peut s'inspirer des pays scandinaves qui ont les meilleurs résultats pour l'ensemble des nouveau-nés et, ce n'est pas un hasard, de meilleurs résultats pour la prématurité.

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