Sanofi condamné dans l'affaire Dépakine : pourquoi ce jugement est particulièrement important, notamment pour les victimes

Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré lundi le groupe pharmaceutique "responsable d'un défaut d'information des risques malformatifs et neurodéveloppementaux" de cet antiépileptique prescrit aux femmes enceintes.
Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
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De nombreuses procédures visent, depuis 2015, le géant pharmaceutique Sanofi qui produit la Dépakine, basée sur une molécule, le valproate de sodium (photo d'illustration). (VOISIN / PHANIE / AFP)

C'est l'un des plus importants dossiers judiciaires liés à la santé publique ces dernières années en France. L'affaire de la Dépakine, cet antiépileptique responsable, selon les autorités sanitaires nationales, de malformations et de troubles neurodéveloppementaux chez des milliers d'enfants, a connu un nouveau rebondissement, lundi 9 septembre. Le groupe pharmaceutique Sanofi a été déclaré "responsable d'un défaut d'information des risques" par le tribunal judiciaire de Paris et condamné à verser près de 300 000 euros à Marine Martin, présidente de l'association d'Aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant (Apesac). Franceinfo vous explique pour  ce jugement est particulièrement important.

Ce jugement s'ajoute à d'autres revers pour Sanofi

De nombreuses procédures visent, depuis 2015, le géant pharmaceutique qui produit la Dépakine, basée sur une molécule, le valproate de sodium. Ce traitement antiépileptique est prescrit depuis la fin des années 1960, y compris à des femmes enceintes. Le laboratoire est principalement accusé d'avoir mal informé les patients sur les risques du médicament. Sanofi est à la fois poursuivi au pénal – il est mis en examen depuis 2020 pour "homicides involontaires" – et au civil, avec des actions individuelles comme celles de Marine Martin, et des actions de groupe, qui rassemblent un grand nombre de patients.

La décision rendue lundi n'est pas la première à impliquer la responsabilité du groupe. En 2022, le laboratoire a déjà été condamné à verser 450 000 euros à une patiente dont la fille, exposée à la Dépakine, est née avec des malformations. En janvier 2024, l'action de groupe lancée en 2017 a été jugée recevable par le tribunal de Paris, qui a estimé que Sanofi avait "commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d'information". Le laboratoire a annoncé faire appel. En août, le tribunal de Nanterre a déclaré 40 familles – représentant 170 personnes – recevables à demander une indemnisation liée à l'inquiétude de développer des troubles neurodéveloppementaux.

La décision de lundi "conforte les succès déjà obtenus par les victimes dans leurs différentes actions initiées contre Sanofi", a réagi auprès de franceinfo Charles Joseph-Oudin, l'avocat de Marine Martin et de nombreuses autres familles. "Il est urgent que la firme sorte de son attitude de déni méprisant vis-à-vis des victimes de la Dépakine et assume enfin sa responsabilité envers les familles impactées par ce médicament", a-t-il ajouté.

Ce jugement constitue une grande victoire pour la lanceuse d'alerte Marine Martin

Marine Martin est le principal visage des victimes de la Dépakine. En créant, en 2011, l'association, Apesac, elle a contribué à donner un écho médiatique et judiciaire à cette affaire. Cela fait douze ans que cette lanceuse d'alerte a engagé une procédure au civil contre le groupe pharmaceutique. "C'est un combat d'une rudesse extraordinaire", a confié mardi sur franceinfo la mère de deux enfants nés en 1999 et 2002. Ils souffrent de malformations et ont développé des troubles neurologiques.

"Très clairement, j'en ai bavé, Sanofi essaie par tous les moyens de faire arrêter mes procédures. Je suis devenue patiente experte à l'agence du médicament et ils ont tenté de me virer de ce poste", témoignait-elle en 2021 auprès de France 3 Occitanie

"Ils savent que je suis le fer de lance de toute cette action et que je motive les familles."

Marine Martin, lanceuse d'alerte dans le dossier de la Dépakine

à France 3 Occitanie en 2021

Comme le rappelle Le Monde, c'est Marine Martin qui a permis aux victimes de la Dépakine d'accéder, à partir de 2017, aux indemnisations de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Selon le quotidien, qui a consulté le rapport d’activité 2023 de l'organisme, près de 58 millions d'euros ont été versés aux 1 120 victimes qui ont accepté les propositions de l'Oniam, dont les enfants et l'époux de Marine Martin. Cette dernière a en revanche refusé l'offre et préféré continuer le combat judiciaire : "On me proposait 16 000 euros, à peine le prix d'une voiture", relève-t-elle auprès du journal.

Elle a obtenu près de 18 fois plus avec la condamnation de lundi (284 000 euros d'indemnités). Selon son avocat Charles Joseph-Oudin, "cette décision justifie et salue le combat de la lanceuse d'alerte Marine Martin depuis la création de l'association Apesac". Marine Martin savoure d'autant plus cette victoire que le laboratoire ne participe pas au fonds d'indemnisation des victimes géré par l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux). "C'est absolument scandaleux", a-t-elle commenté auprès de franceinfo mardi.

Toutefois, la lanceuse d'alerte reste vigilante et combative, estimant que Sanofi va faire appel. "C'est une guerre des nerfs. On rentre dans le dur. L'argent que j'ai gagné, il est bloqué. Ils ont les victimes à l'usure. C'est pour ça qu'il est important que d'autres victimes me rejoignent dans les procédures judiciaires."

Ce jugement élargit la période pour laquelle le laboratoire est susceptible d'être condamné

Les précédentes condamnations concernaient des enfants nés après ceux de Marine Martin. Cette victoire judiciaire "ouvre la porte à des milliers de victimes", en leur montrant que la prescription de dix ans, argument invoqué par Sanofi, n'est pas "infranchissable", assure Marine Martin. Ce nouveau jugement implique donc que la responsabilité du laboratoire était déjà engagée en l'état des connaissances scientifiques à l'époque. De quoi élargir, en matière de jurisprudence, la période pour laquelle Sanofi est susceptible d'être condamné à indemniser des patients.

Interrogé par l'AFP, le groupe a affirmé étudier "les suites à donner" à cette décision et, plus largement, réitéré sa position sur la Dépakine. Sanofi estime avoir assez tôt demandé aux autorités sanitaires françaises de modifier la notice du médicament, et leur renvoie la responsabilité de ne pas avoir donné suite à cette requête.

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