Grossesses très tardives : qui sont ces femmes qui accouchent à 45 ans ou plus ?
Etudes plus longues, progrès de la contraception, succession de fausses couches ou désir de maternité tardif… Malgré les risques, de nombreux facteurs incitent les femmes à tomber enceintes alors qu’elles sont âgées de 45 ans ou plus.
"En constatant mon retard de règles, j'ai sincèrement cru que c'était les signes d'une pré-ménopause. Et puis, un jour, j'ai compris que j'étais enceinte." En janvier dernier, Lynda, 45 ans, apprend qu'elle est enceinte de trois mois. Comme plus de 2 000 femmes chaque année, elle entame alors une grossesse dite "très tardive", c'est-à-dire survenue après 45 ans. Un phénomène qui n'est plus si rare et régulièrement mis en lumière par des cas médiatiques. Le dernier en date ? Adriana Karembeu, 46 ans, a présenté aux téléspectateurs, mercredi 5 septembre, sa fille Nina née le 17 août dernier, dans l'émission "Les pouvoirs extraordinaires du corps humain", sur France 2.
Mais qui sont ces femmes qui choisissent d'être mères à l'âge où d'autres deviennent grands-mères ? Comment se passent leurs grossesses et quels rapports entretiennent-elles avec leurs enfants ? Franceinfo a recueilli leurs témoignages.
Des grossesses "en nette augmentation"
"C'est un cadeau de la vie". Le 8 juillet, Lynda a finalement donné naissance à Elisa, après une grossesse aussi inattendue qu'inespérée. Déjà maman d'un petit garçon, cette enseignante parisienne avait depuis longtemps abandonné l'idée de retomber enceinte. "Il y a quelques mois, j'envisageais même de me faire poser un stérilet !", assure-t-elle, amusée. "J'ai rencontré mon mari tardivement, et je n'ai commencé à songer à la maternité que vers l'âge de 38 ans". Un souhait tardif, qui n'a "rien d'étonnant" pour Jean-Marc Ayoubi, chef du service gynécologie de l'hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine). "Les moyens de contraception sont bien mieux utilisés qu'il y a vingt ans, les femmes font des études plus longues, et prennent leur temps avant d'avoir leur premier enfant", analyse-t-il.
Au début, j'ai eu peur. Je me demandais si le bébé allait tenir ou non. Si, à mon âge, je n'allais pas faire une fausse couche. Si tout ça n'était pas complètement fou.
Lynda, mère à la suite d'une grossesse dite "très tardive"à franceinfo
Pourtant, Lynda est loin d'être la seule à tenter l'expérience d'une maternité à 45 ans ou plus. "Depuis le début des années 2000, cette patientèle est en nette augmentation", témoigne Jean-Marc Ayoubi. Depuis une dizaine d'années, son service mène une étude sur ces grossesses très tardives. Le constat est clair : en 1980, seulement 8 000 bébés naissaient d'une mère âgée de 40 ans ou plus. "En 2016, ce nombre a été multiplié par 5, avec environ 43 000 naissances", explique le professeur. De nombreuses femmes envisagent désormais ces grossesses avec sérénité, comme Sylvie, tombée enceinte naturellement à 48 ans, ou Michèle, qui a accouché de son troisième enfant à 45 ans. "Mais les conséquences peuvent être dangereuses, autant pour la mère que pour l'enfant", met en garde Jean-Marc Ayoubi.
Des risques bien réels
"Quand j'ai prévenu mon gynécologue, il m'a tout de suite avertie qu'il fallait que je me ménage, et que je serais surveillée de près", se souvient Lynda. Sa grossesse se déroule bien, malgré un suivi très soutenu. "J'ai subi des tests d'hémoglobine réguliers, mais on me prenait également la tension de manière hebdomadaire, et je faisais des analyses d'urine toutes les semaines..." Lynda comprend vite que les risques sont réels. "Les patientes de plus de 45 ans augmentent significativement leur risque de diabète, de tension artérielle et de césarienne", liste le docteur Ayoubi. Selon le gynécologue, 3,7% des femmes enceintes à plus de 45 ans sont victimes d'hypertension artérielle, contre 1,3% chez les 25-35 ans. Le diabète, lui, touche 20% des femmes en situation de grossesse très tardive, contre seulement 11% des femmes plus jeunes. Enfin, selon une étude menée à l'hôpital Foch depuis une dizaine d'années, la moitié de ces femmes subiront un accouchement par césarienne, contre 32% des femmes de moins de 40 ans. "Cela s'explique par le vieillissement du corps : l'âge des vaisseaux augmente, ils n'ont plus la même élasticité, ni la même physiopathologie", détaille Jean-Marc Ayoubi.
Le fœtus, lui aussi, peut être touché. Joëlle Belaïsch, cheffe du service de gynécologie de l'hôpital des Quatre-Villes, à Sèvres (Hauts-de-Seine), assure que ces grossesses à "haut risque" peuvent être "dangereuses" pour le bébé. "Les cas de prématurité et de fausses couches sont plus importants chez les femmes de plus de 45 ans. Les risques à l'accouchement sont également présents, avec des possibilités de mort in utero pour l'enfant, et un risque de mort maternelle plus fort." De son côté, Jean-Marc Ayoubi nuance : "Depuis 10 ans, nous avons accueilli à l'hôpital Foch 1 300 cas de grossesses tardives. Seules dix patientes ont été admises en réanimation".
Un suivi médical en demi-teinte
Sylvie, 55 ans, a accouché de son premier enfant il y a six ans. Si la naissance s'est bien passée, elle garde un souvenir en demi-teinte du suivi de sa grossesse. Alors âgée de 48 ans, elle consulte "le premier gynécologue venu". "Il m'a dit que je risquais de faire une fausse couche. Que ce n'était pas possible, qu'il n'avait jamais eu une patiente de cet âge-là". Le spécialiste accepte finalement de la suivre, mais Sylvie subit une certaine pression. "Il m'a dit que j'allais certainement faire une fausse couche", se remémore-t-elle, dépitée. Le gynécologue lui prédit une immense fatigue, mais Sylvie est en pleine forme, et continue de travailler. Il lui promet du diabète et de l'hypertension, elle continue de se rendre au travail à vélo pendant la majeure partie de sa grossesse. Il lui annonce un bébé prématuré, elle accouche après le terme. "Il n'était tout simplement pas à l'aise avec cette grossesse tardive, et m'a communiqué son stress."
Un comportement qui est loin d'être unique, selon les dizaines de témoignages reçus par franceinfo. "Les risques existent, mais l'attitude du gynécologue doit être de conseiller sa patiente sur son projet, pas de la décourager", commente Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof). "Il faut dire les choses en face, même si elles sont parfois dures à entendre. Il existe de vrais risques, mais toutes les grossesses tardives ne se terminent pas en drame, loin de là !"
Karine, elle, a pu bénéficier d'un suivi médical bien plus moderne. Actuellement enceinte de quatre mois, cette future maman de 45 ans ne ressent "aucun stress" lié à son futur accouchement. "Ni mon gynécologue, ni les soignants, ni les sages-femmes ne m'ont fait sentir qu'il y avait quelque chose d'étrange ou d'anormal à porter un enfant à 45 ans". Karine avoue ne pas avoir les mêmes symptômes que lors de ses premières grossesses, et assume même une plus grande fatigue et des nausées qu'elle n'avait jamais eues auparavant. "La seule chose qui change vraiment, c'est le suivi médical, qui est beaucoup plus complet", témoigne-t-elle.
De nos jours, les grossesses tardives sont presque devenues classiques, et on le ressent chez les médecins. La plupart d'entre eux vous traitent comme ce que vous êtes : une maman.
Karine, 45 ans, enceinte de 4 moisà franceinfo
Les médecins et personnels soignants interrogés se veulent donc rassurants. "Dans l'immense majorité des cas, ces grossesses se passent très bien", martèle le gynécologue Jean-Marc Ayoubi. Solange, sage-femme à la maternité de Montreuil (Seine-Saint-Denis), explique que la plupart des accouchements se déroulent "comme les autres". "On respecte les désirs de la mère, on est juste encore plus vigilants sur les risques d'hémorragies, qui peuvent survenir un peu plus facilement qu'à 25 ans". Le sérieux du suivi médical et la régularité des tests sanguins sont essentiels au bon déroulement de ces grossesses. "Si la mère est correctement surveillée, et avertie des risques, la grossesse et l'accouchement n'ont aucune raison de mal se passer", conclut la docteure Joëlle Belaïsch. "Ma grossesse à 45 ans s'est même mieux passée que celle à 41 !", assure, de son côté, Lynda.
"Il faut arrêter de culpabiliser les femmes"
Mais au-delà de la vision, purement scientifique, du corps médical, les grossesses tardives peuvent également être source de stress pour les femmes, forcées d'affronter le jugement de leur entourage. Sylvie est parfois rattrapée par cette différence d'âge. "Quand je vais chercher mon fils à l'école, je vois des mamans qui ont 23 ou 24 ans… Moi, j'en ai 55. Les gens hésitent dans les magasins, se demandent si je suis la mère ou la grand-mère." Lynda, qui a accouché il y a quelques mois, a dû elle aussi faire face à de multiples réactions de ses proches. "Très vite, mes sœurs m'ont dit que c'était irresponsable, qu'il fallait tenir le coup à cet âge-là… Pourtant, je ne me suis jamais sentie comme une femme âgée !", déplore-t-elle.
Parfois, vous avez le sentiment que la société vous voit comme un produit, avec une date de péremption.
Lynda, mère à la suite d'une grossesse très tardiveà franceinfo
Michèle, qui a connu une grossesse tardive il y a 25 ans, voit aujourd'hui la situation "avec le recul de ses 70 ans". "Pendant des années, je n'ai jamais ressenti le moindre décalage. Cet enfant m'a maintenue dans une certaine jeunesse", témoigne-t-elle, attendrie. "Bien sûr, je pense parfois que je ne connaîtrai peut-être pas longtemps mes petits-enfants, ou que je ne serai pas forcément capable de les emmener partout. Mais ça valait le coup." Cette septuagénaire admet avec fierté s'être remise, à l'époque, au ski et à la randonnée pour suivre son fils. "Je me suis toujours dit qu'il ne serait jamais un ‘enfant de vieux'. Je pense avoir tenu ma promesse."
Valérie, 54 ans aujourd'hui et tombée enceinte en 2010, renchérit : "Parfois, ma fille dit à son père qu'il a les cheveux blancs, et que ses copines pensent qu'il est son grand-père." Mais cette mère de quatre enfants assure "ne pas y faire attention". De son côté, Lynda juge que "le regard de la société doit impérativement changer sur cette problématique". "Il faut arrêter de dire aux femmes que tout est fichu parce qu'elles ont passé la barre des 45 ans, et de les culpabiliser parce qu'elles n'ont pas pu avoir d'enfants avant cette date. A 45 ans, on n'est pas encore une vieille dame !"
Gilles, Nordiste de 38 ans, ne les contredit pas. "Ma mère m'a eu alors qu'elle avait 44 ans, et j'ai eu une enfance très heureuse." Bien sûr, il se souvient des cheveux blancs de sa mère lorsqu'il n'était qu'au collège, de la réaction des copains quand ils apprenaient l'âge de cette dernière, de ses 20 ans "avec une maman déjà à la retraite"... Mais il efface ces souvenirs d'un éclat de rire. "Malgré notre grande différence d'âge, nous étions très complices. Nous passions outre le regard des gens. Notre relation était intime, facile et belle."
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