Cet article date de plus de sept ans.

"On touche à la liberté des femmes" : un collectif soutient une sage-femme après des accouchements à domicile

Convoquée vendredi devant le conseil de l'ordre, il lui est reproché d'avoir "mis en danger" la vie des mères. Elle risque la radiation. Franceinfo a interrogé des membres du collectif Les bébés d'Isabelle qui s'est créé pour la soutenir.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une sage-femme pratiquant des accouchements à domicile est convoquée devant le conseil de l'ordre, le 30 juin 2017. (CAIAIMAGE / GETTY IMAGES)

"En France, on veut faire disparaître l'accouchement à domicile mais cela ne disparaîtra jamais", lance à franceinfo Nathalie Donnez, sage-femme et membre du collectif Les bébés d'Isabelle. Cette structure a été créée en soutien d'Isabelle Koenig, une sage-femme libérale convoquée devant la chambre disciplinaire du conseil de l'ordre des sages-femmes, vendredi 30 juin. Il lui est reproché d'avoir "mis en danger" la vie des mères lors d'accouchements réalisés à domicile et d'avoir pratiqué son activité sans assurance. Elle risque la radiation. Les plaintes n'émanent pas des parents mais du conseil de l'ordre départemental d'Indre-et-Loire.

En cause : trois accouchements à domicile en Indre-et-Loire qui ont abouti à des transferts à la maternité. Ce fut le cas de celui de Mélina en juillet 2016. Pour son troisième enfant, elle a choisi d'accoucher chez elle. "J'ai une pathologie, l'agoraphobie. Etre à l'hôpital, ça représente pour moi une situation très stressante, raconte-t-elle à franceinfo. Je ne voulais pas être à l'hôpital, mon médecin l'a compris et m'a orienté vers Isabelle." Mélina dépeint une personne "bienveillante", "humaine", "qui a tout fait correctement". Installée en libérale depuis trois ans, Isabelle Koenig compte trente-deux années d'exercice à l'hôpital.

"Il faut qu'on puisse avoir le choix"

Mais après une complication, la sage-femme a dû appeler le 15 pour que Mélina soit conduite à la maternité de Chinon (Indre-et-Loire), à une vingtaine de kilomètres de son domicile. "Isabelle les a contactés à deux reprises et ils ont envoyé une ambulance privée avec des guignols qui n'y connaissaient rien du tout." Sur le trajet, Mélina a fait une hémorragie. Mais pour elle, le cauchemar commence en arrivant à l'hôpital. "Je n'ai rien à dire sur les sages-femmes hospitalières mais j'ai été maltraitée par le personnel d'urgence" affirme-t-elle.

L'anesthésiste m'a demandé si ça m'aurait plu de faire des orphelins. On m'a dit 'maintenant vous êtes à l'hôpital, vous ne décidez plus de rien'. Je suis passée de la bienveillance à ça, c'était très violent.

Mélina

à franceinfo

Quelques mois après, en février 2017, Mélina apprend que le conseil de l'ordre a porté plainte contre Isabelle, concernant son accouchement. "On ne m'a rien demandé, il n'y a aucune plainte de notre part, c'est ubuesque", explique Mélina. A partir de là, un collectif de parents s'est créé afin de soutenir Isabelle Koenig, seule sage-femme pratiquant l'accouchement à domicile dans le département. "On touche à la liberté des femmes, il faut qu'on puisse avoir le choix'", insiste Mélina. Par la suite, des sages-femmes ont également rejoint le collectif.

"Il y a des résistances énormes en France"

Nathalie Donnez en fait partie. Elle exerce en Suisse mais aussi en France. "J'ai choisi de travailler en Suisse, car la situation est beaucoup plus favorable à l'accouchement extrahospitalier", explique-t-elle à franceinfo. Même si elle rappelle que les accouchements à domicile se font dans le cadre de grossesses "normales", qui ne présentent pas de risques. Sur 800 000 naissances par an, on estime qu'entre 2 000 à 3 000 sont réalisées à domicile, relaie L'Express.

Certains estiment que l'accouchement à domicile, bien que légal, est risqué. "Aujourd’hui, on veut une sécurité absolue pour la mère et l’enfant à naître, et cela passe par une relative médicalisation. Or, à la maison, on est quand même très seul, on n’a pas beaucoup d’aide et pas beaucoup de moyens, explique à 20 minutes, Jacques Lansac, gynécologue obstétricien. Si l’enfant ne descend pas bien ou, comme cela s’est produit dans le cas concernant Isabelle Koenig, si une hémorragie survient, les risques sont trop importants."

Parmi les autres griefs adressés à Isabelle Koenig : celui d'exercer les accouchements à domicile sans assurance. "Mais c'est hypocrite, en France, aucune sage-femme n'est assurée pour les accouchements à domicile", s'agace Nathalie Donnez. En cause : le montant prohibitif de l'assurance. Obligatoire depuis 2002, elle s'élève à 22 000 euros par an, ce qui correspond environ au salaire annuel moyen d'une sage-femme, comme le relevait le sénateur Jean-Claude Leroy dans une question au ministère de la Santé en 2013.

"Il y a des résistances énormes en France par rapport à l'accouchement à domicile et il y a une ignorance de ce qui se fait à l'étranger", analyse Nathalie Donnez. 

Les sages-femmes à domicile sont en train de disparaître, mais il y a des couples qui sont prêts à aller très loin, à accoucher sans assistance et c'est très dangereux.

Nathalie Donnez

à franceinfo

Le collectif Les bébés d'Isabelle s'est rassemblé, vendredi, devant le conseil de l'ordre. "On espère que cela va pousser le conseil de l'ordre à se positionner sur l'accouchement à domicile, et arrêter de faire comme si ça n'existait pas", poursuit la sage-femme. En ce qui concerne le cas d'Isabelle Koenig, la décision est attendue dans plusieurs semaines. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.