Enquête franceinfo "J'hésite à abandonner" : comment les étudiants handicapés peinent à bénéficier d'aménagements auxquels ils ont droit

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Si 59 000 étudiants en situation de handicap sont scolarisés dans le public et le privé d'intérêt général, ce progrès quantitatif ne s'accompagne pas forcément d'une inclusion optimale. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
La rentrée universitaire s'apparente à un parcours du combattant pour de nombreux étudiants. Ils déploient de l'énergie à faire comprendre leur handicap et leurs besoins pour une année sereine.

"Le système universitaire ne peut pas s'adapter à ses contraintes." Pour Théo*, atteint d'un trouble du spectre autistique et agoraphobe, ce verdict est sans appel. Il a été émis en septembre dans un courriel, consulté par franceinfo, par le directeur de département universitaire dans lequel cet étudiant effectuait sa rentrée. Le jeune homme a brillamment décroché sa première année de licence, l'année dernière. Alors que son agoraphobie s'est accentuée durant l'été, ses parents ont demandé en septembre de nouveaux aménagements, notamment celui de délocaliser ses examens dans des locaux adaptés. Ce qui lui a été refusé, alors même que cette disposition est possible dans les textes pour les étudiants en situation de handicap"Notre fils a été profondément blessé et a connu une période très délicate", raconte, très ému, son père Christophe*. Depuis, Théo a renoncé au présentiel et s'est inscrit dans une licence à distance.

Un renoncement parmi d'autres à l'université où le nombre d'étudiants en situation de handicap n'a jamais été aussi élevé. A la rentrée 2022, ils étaient plus de 59 000 dans les établissements publics et privés d'intérêt général, selon le ministère des Solidarités. Les effectifs ont été multipliés par 7,7 ces vingt dernières années sans que ce progrès quantitatif s'accompagne d'une inclusion optimale. En septembre, Antoine, en fauteuil roulant, avait notamment dénoncé dans une vidéo des locaux inadaptés à la fac de Jussieu (Paris). Mais d'autres murs peuvent se dresser face aux étudiants en situation de handicap, visible comme invisible.

En théorie, chacun peut bénéficier, avec un avis médical favorable et l'aval de l'administration, d'aménagements de cours et d'examen. Parmi les dispositions les plus fréquentes : le temps majoré lors d'une épreuve, une salle particulière comme dans le cas de Théo, la mise à disposition d'un matériel adapté, ou encore une aide à la rédaction. D'après le ministère de l'Enseignement supérieur, 79,1 % des étudiants en situation de handicap bénéficient d'au moins un aménagement. Ceux qui s'attirent des refus déplorent la mise en péril de leur scolarité.

Des adaptations refusées

Le refus essuyé par Théo en septembre ponctuait en réalité une série de désaveux de l'université l'année dernière, selon son père. Il dénonce "une machine institutionnelle qui n'a jamais cherché à comprendre le handicap de [son] fils et qui n'a à offrir que des réponses simplistes et stéréotypées". Si le médecin du service de santé étudiant a bien effectué des préconisations pour Théo, elles n'ont pas été considérées par le service handicap et l'administration, relate le père de famille.

En conséquence, l'étudiant a dû composer au milieu d'un couloir, lors d'une épreuve, après qu'une salle adaptée à son handicap lui a été refusée. Parmi les autres demandes rejetées : une dispense pour les cours en étage élevé. "Il devait justifier chaque semaine son absence en envoyant un certificat médical", dénonce Christophe. L'étudiant aurait seulement pu bénéficier d'un étalement de ses études, avec une répartition des cours prévus au programme sur plusieurs années. A plusieurs reprises, cette "solution" a été évoquée par son université, alors même que l'option a été bannie par le médecin de Théo.

Selon Steve Xhihani, référent handicap de l'Union étudiante, la durée de la scolarité des étudiants en situation de handicap est plus longue que la moyenne. L'étalement, voire le redoublement, leur sont régulièrement proposés. Un aménagement de bon sens, mais aussi une solution de facilité, estime le représentant syndical.

D'après Hussein Mozahem, secrétaire général de l'organisation représentative des jeunes en situation de handicap 100% Handinamique, les aménagements sont parfois refusés le jour-même d'un examen par l'enseignant chargé de la surveillance. Par méconnaissance du handicap, certains peuvent y voir du favoritisme. "L'année dernière, un étudiant malvoyant devait passer une épreuve avec son ordinateur, qui disposait d'un contraste et d'une police de caractères adaptés à son handicap, rapporte Hussein Mozahem. Il n'a finalement pas pu passer l'examen et a entamé une démarche de recours."

Dans le monde étudiant, un cas a particulièrement marqué les esprits ces dernières années : celui de Julie*, qui souffre d'une polypathologie et est placée sous oxygène en permanence, en conflit avec l'université de Paris-Descartes. Selon une enquête de Mediapart, elle a fait face à plusieurs refus d'aménagements d'examens et subi du harcèlement moral, jusqu'à se voir refuser l'accès au campus. Un dossier remonté, à l'époque, jusqu'au Défenseur des droits, rapporte le média d'investigation. Dans une décision publiée en mars 2020, Claire Hédon faisait état "d'une discrimination en raison du handicap". "Il apparaît que la réclamante a été placée dans des situations aboutissant à créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant", écrit-elle également. L'université n'a pas souhaité commenter l'affaire auprès de Mediapart.

Un manque d'efficacité

Parmi les étudiants interrogés par franceinfo, certains déplorent aussi d'avoir à se justifier continuellement. "Les démarches pour renouveler mes aménagements [tiers temps lors des examens et autorisation d'absence aux cours] sont lourdes. Elles me prennent un temps précieux que je pourrais utiliser pour des rendez-vous médicaux ou pour étudier. J'hésite à abandonner, comme certains l'ont déjà fait, découragés", raconte Lola*, porteuse d'un handicap psychique et de maladies chroniques physiques.

Son établissement dispose, comme partout dans le public, d'un service handicap, censé l'aider dans son parcours. Mais selon Lola, il manque d'efficacité. Un constat appuyé par Martin*, scolarisé, lui, dans le privé. "Mon référent ne transmet pas toujours les informations. C'est à moi de communiquer à chaque fois, et c'est fatigant", rapporte l'étudiant en master, atteint d'une dysphasie expressive (des difficultés à s'exprimer) et une dyspraxie (difficultés à coordonner ses gestes).

Lorsqu'il était en licence à Rennes, Sébastien* affirme avoir peiné à obtenir un aménagement d'examen. Avec son trouble déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH), son médecin universitaire lui recommande d'éviter les journées à rallonge. "Mon traitement n'est efficace que six à sept heures par jour. Il n'était donc pas possible d'avoir un examen à 8 heures et l'autre à 17 heures. L'université a d'abord refusé, expliquant que c'était compliqué", rapporte l'étudiant.

Après des menaces de recours, il dit avoir obtenu gain de cause. Mais déplore de ne pas avoir eu le droit à d'autres allègements, comme une aide à la prise de notes ou un soutien pédagogique. Reste que, selon 100% Handinamique, les remarques désobligeantes de professeurs ne sont pas rares. "On peut leur faire comprendre que l'aménagement obtenu ne va pas les faire réussir", illustre Hussein Mozahem. Avec son syndrome d'Asperger, Alice* regrette des questions "intrusives" de certains enseignants, en particulier devant ses camarades.

Des fonds spécialement prévus

Comment améliorer la situation de ces élèves ? Pour Steve Xhihani, il est urgent de changer les rôles : "Il n'est pas normal que l'étudiant soit acteur de la procédure." "Ce n'est pas aux personnes en situation de handicap de s'adapter à notre société, mais bien l'inverse", avait d'ailleurs déclaré Fadila Khattabi, ex-ministre chargée des Personnes handicapées, en février. Sans pour autant concrétiser ce mantra par des mesures. Contacté à ce sujet, le ministère de l'Enseignement supérieur n'a pas répondu à nos sollicitations.

En la matière, l'université Sorbonne-Nouvelle (Paris) fait office de bonne élève, souligne Steve Xhihani. Des moyens conséquents ont été engagés par la direction, admet Ivan Botte, responsable du service handicap du campus. Des postes dédiés ont en outre été créés. "Nous sommes actuellement cinq personnes, bientôt six, là où d'autres universités sont réduites à un référent", illustre Ivan Botte.

Tous les établissements bénéficient par ailleurs d'une dotation ministérielle fléchée qui doit servir à mettre en place les aménagements. Ces crédits ont "été multipliés par trois en trois ans", salue Ivan Botte. Comment expliquer, alors, la différence d'accompagnement d'un lieu à l'autre ? Le responsable du service handicap cite l'absence d'enveloppe pour recruter spécifiquement des agents ainsi que le déficit de formation à l'inclusivité des personnels. Selon lui, la solution serait aussi de centraliser la prise en charge des aménagements au sein du service handicap, ce que fait la Sorbonne-Nouvelle. Dans le cas de Théo par exemple, une salle aurait pu être mise à disposition par son référent. Pour l'heure, lui et ses parents tentent de "tourner la page".

(*) Les prénoms ont été modifiés.

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