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"Notre profession est en train de mourir" : les manipulateurs radio de l'hôpital public exigent la revalorisation de leur métier

Dans un secteur hospitalier public en crise depuis plus de dix mois, c’est au tour des manipulateurs radio de manifester. Rassemblés devant le ministère de la Santé, mardi 21 janvier, ils souhaitent interpeller Agnès Buzyn sur le manque de personnel dans leur domaine et la pénibilité de leur métier.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un patient passe un scanner dans un hôpital. (JESSICA BORDEAU / BSIP)

"C'est la première fois que nous sommes enfin déterminés à nous faire entendre" lance Linda Taïbi, manipulatrice radio au sein de l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris. Avec ses collègues d'Ile-de-France, elle a décidé de manifester devant l'immeuble du ministère des Solidarités et de la Santé, mardi 21 janvier à partir de midi.

Ailleurs en France, les manipulateurs radio se sont donné rendez-vous devant leur agence régionale de santé (ARS) pour exprimer leur colère et surtout demander la revalorisation de leur profession, "grande oubliée" du plan d'Agnès Buzyn, la ministre de la Santé.

Une profession peu connue mais essentielle

"L'imagerie est primordiale dans la détermination de la durée du séjour d'un patient à l'hôpital", constate la professeure Marie-Pierre Revel, responsable d'une unité fonctionnelle de radiologie à l'hôpital Cochin. "Elle est à même de bloquer l'activité de l'hôpital si elle ne fonctionne pas correctement." Or, aujourd'hui, affirme la radiologue, les manipulateurs radio sont en sous-effectif dans de nombreux hôpitaux de France, et particulièrement à l'AP-HP, les hôpitaux publics parisiens.

Nous avons 20% d'effectifs en moins et cela met le personnel en grande difficulté. Les manipulateurs radio réussissent malgré tout à maintenir le scanner et l'IRM.

Marie-Pierre Revel, cheffe de service à l'hôpital Cochin

à franceinfo

Conséquence directe : l'établissement doit fermer un de ses scanners à 15h30. A l'hôpital Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris, l'IRM est fermée un jour par semaine, là aussi faute de personnel. Les équipes de manipulateurs compensent la surcharge concentrée sur les autres jours en traitant la nuit et les week-ends les demandes d'examens venues des autres services. A cela s'ajoutent les impondérables des urgences pour lesquelles les manipulateurs radio sont constamment sollicités. "Vous pouvez avoir jusqu'à une vingtaine d'urgences à intégrer dans votre planning, c'est constamment la course, souffle Mickaël Jimenez, manipulateur radio à l'hôpital Cochin depuis 2007.

Ce professionnel est en colère car lui comme ses collègues n'ont pas bénéficié de la prime de 100 euros mensuels allouée aux agents des services d'urgence par la ministre de la Santé, en juillet 2019. "Nous avons été totalement oubliés par la ministre sous prétexte que nous ne sommes pas des urgentistes." Alertée sur le sujet, Agnès Buzyn a accepté de revenir sur cette décision à condition que les manipulateurs radio "passent plus de 50% de leur temps en tant qu'effectif dans les équipes d'urgence, explique Mickaël Jimenez. Ce qui est impossible ! Car nous sommes rattachés à des services de radiologie et non à des urgences."

Salaire, pénibilité et dangerosité

Les manipulateurs radio demandent une revalorisation de l'attractivité de leur métier dans le public. Avec, notamment, de meilleures rémunérations car "le point d'indice est gelé depuis neuf ans", rappelle Mickaël Jimenez, qui a vu partir nombre de ses collègues en clinique privée : "Vous commencez avec un salaire net de 1 537 euros, alors que dans le privé vous pouvez avoir facilement 1 000 euros de plus, voire le double. Notre profession est en train de mourir."

Ils réclament également une prise en compte de la pénibilité de leur travail. "Huit patients sur dix sont des personnes grabataires qui ont du mal à se déplacer et que nous devons porter", constate celui qui revient de deux mois d'arrêt maladie à la suite d'une blessure "d'usure". "A 31 ans, j'ai la même épaule que quelqu'un qui a travaillé toute sa vie dans le bâtiment", assure Mickaël Jimenez. Sans oublier le port de charges lourdes comme le tablier de protection qu'ils peuvent revêtir plusieurs heures durant une opération au bloc.

A ces doléances s'ajoute la reconnaissance de la dangerosité d'une profession exposée quotidiennement à des rayons.

Nous n'avons aucun recul sur les conséquences d'une exposition régulière au champ magnétique intense des IRM.

Mickaël Jimenez, manipulateur radio

à franceinfo

Sans compter les patients agressifs ou alcoolisés que les manipulateurs peuvent avoir à traiter. "C'est simple, nous demandons une reconnaissance à l'identique des infirmières, diplômées d'Etat comme nous", résume Linda Taïbi.

Départs vers le privé

La professeure Marie-Pierre Revel ne cache pas son inquiétude grandissante quant à l'avenir des manipulateurs dans le secteur public. La prévision d'effectifs en radiologie au sein des établissements franciliens pour les trois prochaines années est "mauvaise", observe la cheffe de service. Or, selon elle, l'ARS a autorisé le déploiement de plus de 40 machines dans le secteur privé, "ce qui présage un grand nombre de départs avec une faible arrivée de nouveaux formés", analyse-t-elle.

Nous avons alerté nos tutelles, nous avons demandé à nos personnels qui ont beaucoup tourné ces derniers temps de repousser leurs congés. Mais on ne peut pas continuer à peser sur eux comme cela.

Professeure Marie-Pierre Revel, cheffe de service à l'hôpital Cochin

à franceinfo

L'AP-HP s'est emparée du problème, en faisant "tout ce qu'elle peut pour fidéliser les personnels", constate la radiologue. Comme il est impossible de jouer sur le salaire des fonctionnaires, l'administration propose des logements de fonction, des places en crèche et même de payer les études des futurs manipulateurs qui, en échange, doivent s'engager dans la fonction publique pour un certain nombre d'années.

Mais Marie-Pierre Revel déplore une absence d'anticipation du côté des autorités. "Nous avons 14 postes en radiologie à pourvoir à Cochin et l'ARS complique le recours à la main-d'œuvre étrangère, notamment portugaise, pour une question de non-équivalence de diplômes", se désole-t-elle.

Solidaire du mouvement des manipulateurs radio, elle a décidé d'assurer un service minimum en ce jour de manifestation, mardi. Scanner et IRM sont fermés à l'hôpital Cochin et seul le bloc opératoire et les urgences fonctionnent.

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