Salaires, déserts médicaux, fermeture de lits... Quels sont les remèdes des candidats pour le secteur de la santé ?
Deux ans d'épidémie de Covid-19 ont jeté une lumière crue sur un système de santé en crise. De Jean-Luc Mélenchon à Eric Zemmour en passant par Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, les propositions ne manquent pas pour soigner les électeurs.
La date n'a pas été choisie au hasard. Le 17 mars 2022, deux ans jour pour jour après le début du premier confinement imposé pour lutter contre le Covid-19, tous les candidats à l'élection présidentielle sont invités par la Fédération hospitalière de France à détailler leur projet en matière de santé.
Jusqu'ici, hormis le constat partagé par les oppositions d'une dégradation du système de santé depuis cinq ans, voire davantage, les prétendants à l'Elysée n'ont pas tous formulé ni chiffré leurs propositions. Mais nombreux sont ceux qui cherchent déjà à se démarquer de leurs concurrents pour séduire les professionnels de santé, comme ceux qu'ils soignent.
Formation des soignants, rémunérations, recrutements... Pour tenter d'y voir clair dans la jungle des programmes, franceinfo s'est penché sur dix problématiques centrales et leur traitement par les principaux candidats, en vue du scrutin des 10 et 24 avril.
1Les recrutements à l'hôpital
Voilà un sujet qui fait consensus à gauche comme à droite. Les candidats à la présidentielle proposent tous de recruter du personnel soignant au sein de l'hôpital public dans des proportions certes diverses selon leur bord politique. Il faut dire que la pandémie de Covid-19 a accentué considérablement la crise des vocations avec ce que l'on appelle depuis "une pénurie de soignants". Epuisés, beaucoup d'entre eux ont jeté l'éponge. Le Conseil scientifique avait avancé cet automne le chiffre de 20% de lits fermés par manque de personnel. Le Premier ministre, Jean Castex, a d'ailleurs reconnu début novembre "une situation difficile du point de vue des ressources humaines".
Pour y remédier, la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, propose de recruter "25 000 soignants supplémentaires en 5 ans à l'hôpital public", selon son programme officiel. En visite le 16 novembre au Samu de Paris, Marine Le Pen a elle évoqué un renforcement "significatif" des personnels hospitaliers. Dans une interview à L'Express, la candidate du Rassemblement national a exprimé quelques jours plus tard son souhait de recruter "la moitié des effectifs hospitaliers non pourvus" durant son quinquennat.
A gauche, les candidats promettent encore plus de recrutements. La socialiste Anne Hidalgo annonce sur son site officiel "un plan de recrutement massif" si elle est élue. L'actuelle maire de Paris entend embaucher "25 000 infirmiers et aides-soignants, 5 000 logisticiens, techniciens et agents hospitaliers". Fabien Roussel, le candidat communiste, évoque "la création de 100 000 postes à l'hôpital public" dans son programme officiel. "Il nous faut former et recruter 100 000 soignants", assure aussi Jean-Luc Mélenchon dans L'Express. Idem pour Yannick Jadot : dans une vidéo tournée au milieu d'une manifestation de soignants le 4 décembre, le candidat écologiste explique qu'il faut "reconquérir l'hôpital public" et que "cela veut dire recruter jusqu'à 100 000 infirmières et infirmiers".
2La formation des médecins
Petit rappel pour ceux qui ne seraient pas à la page. Le numerus clausus pour les étudiants en médecine en vigueur depuis les années 1970 a été supprimé par la loi du 24 juillet 2019 à compter de la rentrée universitaire 2020. Le gouvernement fixe désormais des objectifs nationaux pluriannuels. En pratique, la sélection reste rude et les capacités d'accueil des universités limitées.
Pour pallier cela, les candidats s'attaquent donc à ce qu'il reste du numerus clausus. "Pour déverrouiller en pratique le numerus clausus et accroître le nombre des maîtres de stage et donc d'étudiants en médecine, j'autoriserai et développerai les stages d'internes dans les hôpitaux privés, quel que soit leur statut", propose ainsi Valérie Pécresse. La candidate LR veut également donner la possibilité "aux personnels paramédicaux ayant déjà cinq ans d'études supérieures de rejoindre le deuxième cycle des études médicales".
La candidate du RN Marine Le Pen a elle évoqué, lors de sa visite au samu de Paris, une meilleure formation des soignants, mais sans développer davantage. Du côté de Nicolas Dupont-Aignan, on propose d'"augmenter le nombre de places dans les études de médecine afin d'atteindre 12 000 praticiens par an". A gauche, Anne Hidalgo a pour objectif de "former 15 000 médecins supplémentaires par an contre 8 000 aujourd’hui", comme elle l'a expliqué au Parisien, dimanche 9 janvier.
3Les fermetures de lits
C'est l'un des axes favoris de l'opposition pour critiquer le gouvernement : dénoncer les fermetures de 5 700 lits intervenues en 2020, alors que la crise sanitaire du Covid-19 venait d'exploser. "Oui, il y a un certain nombre d'unités dans des hôpitaux qui sont obligées de fermer temporairement, ou de réduire la voilure, faute de soignants, faute surtout de pouvoir en recruter", a ainsi reconnu Olivier Véran à Libération, fin octobre 2021. Le ministre de la Santé justifie ces fermetures par la hausse des absences ainsi que par l'augmentation des démissions.
La majorité des candidats déclarés promettent d'inverser la tendance s'ils sont élus. "Nous rouvrirons lits, services d'urgence et de maternité pour que chaque Français dispose d'un service de santé public à moins de trente minutes de chez lui", assurait Jean-Luc Mélenchon à L'Express en novembre dernier. Pour préserver les 386 835 lits d'hospitalisation dont disposait la France fin 2020, selon la Drees, Fabien Roussel (PCF) et Marine Le Pen (RN) ont chacun défendu l'idée d'un "moratoire" contre les fermetures.
Anne Hidalgo veut elle aussi "empêcher la fermeture de 5 700 lits d'hôpitaux". Cela passe, aux yeux de la candidate socialiste, par des recrutements de "25 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires", soit le même nombre de soignants que souhaite recruter Valérie Pécresse sur la durée de son mandat.
4La revalorisation des salaires
Comment retenir les soignants tentés par un changement de métier dans un contexte de crise sanitaire interminable ? Quels moyens pour attirer de nouveaux profils dans un secteur en souffrance ? Confronté au ras-le-bol des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad, le gouvernement a augmenté les salaires pour un montant global d'environ 10 milliards d'euros, à l'issue du Ségur de la santé, en juillet 2020.
De Marine Le Pen, qui veut augmenter les salaires "de l'ordre de 10% pour les infirmiers pour arriver au salaire moyen européen" à Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, les oppositions souhaitent aller au-delà de ces revalorisations. Si Valérie Pécresse propose un "grand plan d'attractivité des métiers des soignants", notamment en permettant aux infirmières et aides-soignantes d'acquérir plus de responsabilités, Jean-Luc Mélenchon promet de "revaloriser les métiers et les revenus".
Fabien Roussel, lui, estime qu'il n'y a pas "besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que le problème, c'est les salaires et les conditions de travail". Le candidat communiste milite pour une multiplication par 1,5 voire 2 du salaire des professions essentielles, dont font partie les infirmières ou les aides-soignantes.
5La gouvernance des hôpitaux
Nombre de candidats insistent sur la nécessité de remettre les soignants au cœur de la prise de décisions. "L'hôpital public doit être gouverné par les soignants", martèle l'écologiste Yannick Jadot, idée similaire à celle du "renforcement de la parole des soignants et des patients dans la gouvernance de l'hôpital" chez Anne Hidalgo.
Chez les plus libéraux, on souhaite "débureaucratiser le fonctionnement de l'hôpital au profit des médecins chefs de service", comme l'aimerait Valérie Pécresse, face à un "étau bureaucratique" que Marine Le Pen veut "desserrer" via "une gouvernance bicéphale entre le directeur d'hôpital et un représentant du corps des médecins". Nicolas Dupont-Aignan ne défend pas autre chose lorsqu'il évoque "une gouvernance paritaire entre les directions et les équipes soignantes". Enfin, Eric Zemmour veut "décharger les médecins de la gestion administrative qui devient presque un second temps plein".
Côté administratif, le candidat d'extrême droite entend supprimer les Agences régionales de santé (ARS), "peu utiles dans la gestion de la crise Covid". "Devenues des agents comptables", selon Anne Hidalgo, ces agences seront "réformées pour se rapprocher du terrain" sur certaines missions, comme l'organisation des centres de vaccination. Pour Nicolas Dupont-Aignan, il faudrait les "remplacer par des directions départementales sous l'autorité du préfet".
6Les déserts médicaux
C'est un sujet majeur lorsque l'on parle de la santé des Français. Pour lutter contre la désertification médicale, dans les territoires où l'offre de soins est insuffisante, les candidats à la présidentielle rivalisent de propositions. Valérie Pécresse souhaite, selon son programme officiel, demander "à l'Assurance-maladie de prévoir, par région, une dotation 'lutte contre la désertification sanitaire' qui permettra d'abonder la rémunération des professionnels de santé en fonction de leur activité dans les zones sous tension".
Marine Le Pen veut revoir "l'intégralité de l'aménagement" des territoires français et prône la "démétropolisation", c'est-à-dire un "rééquilibrage entre les campagnes et les grandes métropoles parce qu'il faut résoudre les problèmes de la fracture sanitaire, qui est de plus en plus importante", a-t-elle expliqué le 15 novembre à franceinfo. Eric Zemmour souhaite que "l'Etat embauche en urgence 1 000 médecins et les envoie comme salariés dans les déserts médicaux", selon ses déclarations sur France 2, le 9 décembre. Le candidat d'extrême droite défend aussi le rétablissement des "obligations de garde" pour les médecins libéraux. Une mesure qui permettrait, selon lui, d'"alléger ces services d'urgences qui sont surchargés".
Nicolas Dupont-Aignan compte de son côté "créer une bourse pour les étudiants en médecine en échange de laquelle ils s'engageront à s'installer dans une zone sous-dotée pendant leurs 5 premières années", "permettre aux médecins s'établissant dans les déserts médicaux de toucher plus de revenus en complétant les dispositifs existants" et "favoriser l'implantation des maisons de santé afin de s'assurer qu'elles couvrent correctement le territoire".
A gauche, Jean-Luc Mélenchon propose d'imposer aux jeunes médecins libéraux le lieu de leur installation, en contrepartie d'un meilleur salaire pendant leurs études. "Je pense qu'il faudrait que les étudiants en médecine soient pris en charge par l'Etat avec une paye normale comme le smic, et ensuite ils doivent dix années à l'État, sans possibilité de les racheter", a déclaré le leader de La France Insoumise sur BFMTV le 12 novembre. Anne Hidalgo milite pour la création d'un "statut de médecin assistant (...) déployé dans les territoires en tension", avec une rémunération d'environ 3 500 euros par mois en début de carrière.
"Dans les zones denses, un médecin ne doit s'installer que pour remplacer un départ", estime quant à lui Fabien Roussel. Le candidat communiste propose également la "construction d'un hôpital public de proximité à moins de 30 minutes de chaque bassin de vie, disposant d'une maternité, d'un service d'urgence et de chirurgie", selon son site officiel.
7Le budget des hôpitaux
Le sujet fait relativement consensus chez les candidats à l'élection présidentielle. La tarification à l'activité (T2a), qui consiste à rémunérer les hôpitaux en fonction des actes réalisés et non avec une enveloppe globale, doit être abrogée, comme le souhaitent Nicolas Dupont-Aignan, Yannick Jadot, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. La candidate du Rassemblement national et celui de La France insoumise veulent ainsi revenir à une "dotation globale de fonctionnement" pour les hôpitaux, comme c'était le cas jusqu'en 2007.
Valérie Pécresse préfère, de son côté, "modifier la tarification à l'activité là où c'est nécessaire, notamment sur les actes intellectuels" plus que techniques. C'est peu ou prou l'ambition d'Anne Hidalgo, désireuse de "revoir la place de la T2a" dans le financement actuel des hôpitaux, qui est d'environ deux tiers aujourd'hui, contre un tiers pour les forfaits et les dotations. Elle souhaite la remplacer par une "dotation d'Etat qui tienne compte des besoins locaux de santé publique".
8L'Aide médicale d'Etat
C'est une mesure qui fait consensus à l'extrême droite : la suppression de l'AME, l'aide médicale d'Etat, le dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins sous conditions de résidence et de ressources. "L'AME est un puits sans fond qu'il faut supprimer d'urgence. Le poids financier de cette prise en charge réservée aux clandestins est mirobolant pour un pays dont le système hospitalier est déjà mal en point", écrit ainsi Marine Le Pen sur Twitter.
"L'hôpital est assiégé par une population venue du monde entier. Nous devons supprimer l'AME", estime aussi Eric Zemmour sur son compte Twitter. De son côté, Nicolas Dupont-Aignan veut, selon son site de campagne, "supprimer l'aide médicale d'Etat" pour "la remplacer par une aide médicale exceptionnelle et provisoire qui ne concernerait que les urgences sanitaires et les maladies contagieuses".
9Les Ehpad
Avec environ 14 millions de personnes âgées de plus de 65 ans en 2021, les seniors constituent un public à part dans cette présidentielle, avec ses enjeux particuliers. A commencer par la question des Ehpad. Sans surprise, de nombreux candidats promettent d'affecter davantage de moyens dans ces établissements. Valérie Pécresse, si elle ne veut pas "couvrir la France d'Ehpad", dixit son conseiller Philippe Juvin, souhaite par exemple "moderniser" ces lieux, qui doivent "redevenir des lieux de vie". Aucun chiffrage n'est pour l'instant formulé.
D'autres préfèrent insister sur la question des places et des recrutements nécessaires dans le contexte d'une société vieillissante. Il en est ainsi de Jean-Luc Mélenchon, partisan de la création de "10 000 places par an pendant cinq ans" dans les Ehpad publics, alors que Fabien Roussel souhaite recruter 100 000 aides-soignants pour un "service public du grand âge". C'est aussi le plan de Nicolas Dupont-Aignan, qui veut "augmenter les effectifs des aides-soignants et des aides médicaux psychologiques en Ehpad". On retrouve la même logique chez Anne Hidalgo, désireuse d'abaisser le "ratio soignants/résidents" avec davantage d'infirmières.
10La santé mentale
C'est une question explorée notamment par la gauche. Anne Hidalgo veut ainsi en faire "la grande cause du quinquennat". "La santé mentale est la plus grande oubliée des questions de santé publique en France", déplorait la candidate socialiste à Créteil (Val-de-Marne) le 19 novembre. De son côté, Jean-Luc Mélenchon défend un "grand plan pour la santé mentale" qui permettra notamment de rouvrir "dans un premier temps (...) des lits de psychiatrie publics" et d'augmenter "le nombre de places en faculté de médecine dans la filière psy".
A droite, Valérie Pécresse n'a pas encore précisé ses intentions mais elle compte insister particulièrement sur "le développement d'une filière d'infirmiers en psychiatrie", selon son camp. L'ouverture d'établissements capables d'accueillir des enfants victimes d'un trouble du spectre autistique est également au programme.
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