Tourisme médical en France : une solution pour le déficit des hôpitaux ?
La crise financière des hôpitaux français peut-elle être résolue par la recherche d'une clientèle internationale fortunée ? Selon un rapport, d'ici cinq ans, le chiffre d'affaires annuel pourrait être de deux milliards d'euros.
En 2014, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius veut développer le tourisme sous toutes ses formes. Il commande un rapport à l’économiste Jean de Kervasdoué, pour chiffrer l’accueil de patients étrangers. La conclusion de son rapport est positive : d'ici cinq ans, le chiffre d'affaires annuel pourrait être de deux milliards d'euros et 30 000 emplois pourraient être créés. D'après Jean de Kervasdoué, le tourisme médical représente déjà un marché de 60 milliards d’euros dans le monde, avec une croissance annuelle de 15 à 20%.
Premier centre de lutte contre le cancer en Europe, l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne) accueillait dès son origine des patients étrangers. Mais il a renforcé son pôle international il y a cinq ans. Aujourd'hui, il soigne près de 2 000 patients étrangers chaque année.
En 2011, l'Institut Gustave-Roussy a mis en place une cellule dédiée aux patients étrangers, dirigé par Serge Bonnetier, médecin cancérologue. À l'accueil, des hôtesses anglophones reçoivent des patients du monde entier : Belgique, Luxembourg, Italie, Bulgarie, Koweït, Russie, Kazakhstan, Arménie, Azerbaïdjan, Algérie, Maroc, Tunisie, Libye. L'établissement hospitalier met même à leur disposition des navettes pour les raccompagner à leur hôtel après une consultation, un service très apprécié. "Sur Internet, j'ai vu que l'Institut Gustave-Roussy était en pointe, alors j'ai préféré venir ici", explique une patiente Koweïtienne. Et elle ajoute : "Ce qui m'a permis de rester plusieurs mois, c'est que je suis logée dans une résidence hôtelière juste à côté d'ici".
Environ 30% des patients étrangers viennent du Koweït, mais le fait que Serge Bonnetier parle le russe, attire également beaucoup de patients de l'Est. Aujourd'hui, près de 10% des patients en France viennent de l'étranger, environ 1 500 patients par an.
Un marché qui se mondialise
À l'hôpital américain de Neuilly-sur-Seine, la patientèle internationale représente déjà 27% du public. La vocation initiale de l'établissement était de soigner les Américains de Paris. Mais au fil des ans, même si tous les médecins sont français, l'hôpital a gardé sa spécificité internationale. On y parle toutes les langues avec, depuis quelques années, un accueil spécifique pour le public japonais. Des publicités sur Internet veulent attirer cette clientèle.
Mais ces exemples restent isolés. Sur ce marché international de 60 milliards d'euros, la France pèse bien peu : quelques milliers de patients étrangers. La Thaïlande, les États Unis, la Suisse, la Belgique ou encore l’Allemagne en ont fait un axe de développement majeur, mais la France est encore à la traîne. "Quand l'Allemagne en était à 2 milliards d'euros de patients étrangers payants, la France était à 120 millions d'euros", explique l’économiste Jean de Kervasdoué.
Notre pays a tout de même des atouts : sa médecine réputée, ses prix très compétitifs, ses délais d’attente encore raisonnables... Et la demande pour le tourisme médical devrait exploser, car la santé, comme les autres domaines, se mondialise.
Il est extrêmement facile de réserver une opération à l'autre bout du monde avec Internet, et d'avoir les avis de milliers de personnes qui sont passés avant nous.
David Marguerit, économisteà franceinfo
De plus en plus de monde peut voyager et comparer sur Internet, mais aussi se payer une mutuelle. Cet accès au soin international n’est plus l’apanage des plus riches. Les classes moyennes des pays émergents s'assurent pour leur santé.
C’est le cas aussi pour certains pays qui manquent d’infrastructures et qui sollicitent ceux qui en ont. Les hôpitaux français soignent par exemple beaucoup des patients venus du Burkina Faso. C’est le cas de Florence, suivie en France pour un cancer. "Au Burkina Faso, il y a de bons docteurs. Mais par exemple, il n'y a pas de radiothérapie, raconte la patiente. Là-bas, il fait très chaud. Et après la chimiothérapie, tu as tous les effets secondaires possibles. Quand tu viens en France, le climat est favorable et il y a la radiothérapie." Florence précise que tous les soins sont pris en charge par son assurance, avec le soutien du gouvernement.
Un marché qui peut rapporter beaucoup
Dans un contexte de disette budgétaire, difficile de ne pas voir dans ce marché une manne pour redresser les comptes ou aider les hôpitaux à boucler les fins de mois. "Le tourisme médical représente 2 milliards sur 76 milliards de budget des hôpitaux, ce n'est pas anecdotique. Le déficit des hôpitaux cette année est de 600 millions d'euros. Donc 2 milliards, c'est trois fois le déficit des hôpitaux", souligne Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France qui regroupe tous les établissements publics.
Au-delà des hôpitaux, le tourisme médical génère d’autres recettes pour d’autres métiers : les taxis, les hôtels, les restaurants et même les musées et les boutiques... car les patients viennent rarement seuls en France et il faut bien occuper ceux qui les accompagnent.
Des forfaits payables d'avance
Aujourd'hui, les établissements proposent des sortes de catalogues, une liste d’interventions avec des tarifs associés en ligne sur Internet pour pouvoir les consulter depuis le bout du monde. L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a mis au point début novembre une nouvelle grille d’interventions et de tarifs. Globalement, le tarif sera 30% au-dessus de ce qui est facturé aux Français. Pour un patient hospitalisé plusieurs mois, la facture peut donc se chiffrer en centaines de milliers d’euros.
Depuis quelques semaines à l'hôpital Georges-Pompidou, le professeur Philippe Ménasché dirige un nouveau pôle "patients étrangers". Avec ce service, "on va être en mesure de proposer une réponse quasiment immédiate. Vous voulez vous faire opérer d'un pontage, voilà ce qu'on vous propose pour ce forfait", explique le médecin. Dans ce service, les patients étrangers doivent payer d'avance ce qui permet, souligne Philippe Ménasché, de "mettre fin aux créances non recouvrées, qui atteignaient parfois des proportions inacceptables."
Pendant longtemps les hôpitaux de Paris ont mal géré les factures adressées aux patients étrangers. Le recouvrement des créances était faible et les impayés très importants, d’où cette discipline. Et depuis que l'hôpital Georges-Pompidou s'y tient, il est passé de 27% d’impayés en 2015 à 11% en 2016. Mais les impayés sont aussi parfois le fait de relations diplomatiques et d’arrangements entre pays. Il peut par exemple arriver que l'on ferme les yeux sur des frais liés à l'hospitalisation d'un haut dignitaire...
De nouveaux services pour attirer les patients étrangers
Pour rendre les séjours plus faciles, l'hôpital Georges-Pompidou de Paris propose des cours d'anglais au personnel. À l'Institut Gustave-Roussy, deux ou trois personnes s’occupent spécifiquement de ce public qui a parfois du mal à se repérer dans les méandres administratifs du système français.
En dehors de l’hôpital, d’autres partenaires ont compris le parti qu’il y avait à tirer de cette évolution. Des agences ont vu le jour : on les appelle des "conciergeries médicales". Elles prennent en charge les patients de la recherche de la clinique adéquate jusqu’à leur retour chez eux, en passant par l’établissement du devis et l’obtention du visa. C'est le cas de l'agence France Surgery créée il y a cinq ans par Carine Hilaire. Ici, "on gère la venue du patient et toute la partie post-opératoire, explique-t-elle. Ce sont des gens qui vont rester un certain laps de temps en France, donc on va chercher des infirmières, des kinés, des pédicures, des homéopathes, des diététiciens." Et elle ajoute : "On va les mettre en relation avec des hôteliers, des taxis, des interprètes, afin de faciliter tout leur voyage de bout en bout."
Les cliniques aussi se positionnent en mettant en avant la qualité de leurs chambres. Si, dans certains hôpitaux, elles peuvent être très vétustes, en clinique, on mise parfois sur du très haut de gamme. Exemple à la clinique de l'Alma dans 7e arrondissement de Paris. "La chambre fait 25 m2, vous avez une terrasse avec vue sur la Tour Eiffel, indique Gilles Schutz, le PDG de l'établissement. Comme une chambre d'hôtel, vous avez un mini-bar, un coffre, une salle de bain de jolie qualité, ce qu'offre un hôtel 4 étoiles. Il y a des fleurs, des pantoufles, la serviette... Un joli service hôtelier, sans que ce soit démesuré." "Je ne suis pas sûr que si on offrait la même prestation au fin fond du 93, on attirerait la même clientèle", conclut-il.
Ce type d’offre existe aussi dans des villes plus modestes, comme Calais. Le nouvel hôpital a compris par exemple que les Anglais avaient beaucoup de mal à obtenir des rendez-vous médicaux dans des délais rapides. Pour les attirer, l'hôpital a donc misé sur des temps d’attente beaucoup moins longs. "Une patiente nous a sollicités mi-mars, elle a été opérée mi-avril, raconte Marc Trelcat, directeur de l'hôpital de Calais.
Chez nous, les files d'attente vont de quinze jours à trois semaines, contre trois à neuf mois chez les Anglais
Marc Trelcat, directeur de l'hôpital de Calaisà franceinfo
L'ambition "n'est pas de vider les hôpitaux britanniques de leurs patients, mais d'héberger deux patients par jour ouvrable", indique Marc Trelcat, directeur de l'hôpital de Calais.
En fin d'année, ces Anglais apporteront quelques millions à l’hôpital de Calais. "C'est une activité de complément qui permet de récupérer des recettes supplémentaires pour mieux rentabiliser l'investissement qui a été fait dans la construction du nouvel hôpital", précise Marc Trelcat. L'hôpital vient de signer un accord avec la Sécurité sociale anglaise pour faciliter cette prise en charge.
Un tourisme médical pas assez régulé
Cette évolution du secteur hospitalier suscite cependant des inquiétudes. On peut d'abord s’interroger sur la qualité de ces agences qui fleurissent. Une labellisation et une réglementation pourraient garantir le sérieux de ce marché naissant. "L'association du tourisme médical aux États-Unis certifie ces formations. Il y en a aussi en Europe, en Allemagne par exemple. En France, on le fait mais ça n'est pas organisé", regrette Carine Hilaire de France Surgery. "Ce métier nécessite une vraie formation. On prend en charge des patients, on se doit de savoir de quoi on parle, ajoute-t-elle. Aujourd'hui, on est face à un service nouveau qui est en train de s'amplifier. Les régulations sont nécessaires".
Certains ont également peur que le système de santé finisse par privilégier l’argent venu de l’étranger, à la qualité des soins qu’on doit aux patients français. Cette méfiance expliquerait le retard de la France dans ce secteur. Des syndicats portent cette revendication. "Nous sommes en grande difficulté pour accueillir dans des conditions acceptables les patients français, précise Christophe Prudhomme de la CGT Santé : "On va proposer des passe-droits pour des patients parce qu'ils ont un bon compte en banque."
La santé n'est pas un service commercial ! On voit bien les inégalités que cela créée dans les pays où la santé est un commerce, comme aux États-Unis
Christophe Prudhomme, CGT Santéà franceinfo
Christophe Prudhomme prend pour exemple le cas d’un riche émir qui a privatisé en mai 2014 tout un étage de l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne. Ou encore une demande pour que les toilettes aient des douchettes pour quatre jours d'hospitalisation.
Avec la fatigue des infirmières, les temps d’attente aux urgences ou le manque de lits récurrent dans certains services, on peut se demander si l’hôpital public a vraiment les moyens d’accueillir ces étrangers. Une crainte que les directions des hôpitaux concernés minimisent.
Fréderic Valletoux, le président de la fédération hospitalière de France, considère que notre pays a les moyens d’absorber ces nouveaux patients, sans dommage pour les hôpitaux. L’AP-HP reste cependant très discrète sur le nombre de patients étrangers que la France pourrait accueillir chaque année. Ailleurs, on insiste sur le fait que le pourcentage reste modeste, rarement au-dessus de 5 à 8%.
Même s’il est encore virtuel, le risque d’un dévoiement de la santé hospitalière existe pourtant bel et bien. Des économistes aussi appellent à la vigilance. C’est notamment le cas de David Marguerit. Selon lui, "il faut faire très attention à ne pas avoir une médecine à double vitesse, avec des patients étrangers prêts à dépenser des fortunes à qui on va proposer des services incroyables, sur mesure, dans des délais extrêmement courts pour passer devant les patients français qui sont déjà là et qui attendent. Il faut que ce soit très encadré pour que le traitement soit exactement le même".
Les hôpitaux français semblent d’ailleurs avoir reçu le message. Ils sont en train de rédiger une charte des bonnes pratiques qui intègre la réaffirmation de ces principes essentiels.
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