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"Implant Files" : "Ils ont servi de cobayes", dénonce la fille d'un patient implanté d'une prothèse de hanche non certifiée

Publié Mis à jour
Article rédigé par franceinfo - Abdelhak El Idrissi / Cellule investigation de Radio France / ICIJ franceinfo
Radio France

Quatre patients ont reçu il y a quelques années une prothèse de hanche particulière, qui était en fait expérimentale et non homologuée. Ils ont ensuite souffert de sévères complications médicales.

En 2011, quatre patients de l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt sont implantés d’une prothèse de hanche expérimentale non homologuée de la société Ceraver. Pendant deux ans, ils n'ont eu aucune information. La famille d'un patient parle de trahison. Ce sont de nouveaux éléments de l'enquête sur les "Implant Files", menée par le consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), à laquelle participe la cellule Investigation de Radio France.

>> Lire aussi : "Implant Files" : comment le laxisme de la réglementation européenne permet de certifier des implants inefficaces, voire dangereux

Sur ces quatre patients "cobayes", trois ont déposé plainte. Après cinq ans d’enquête, un procès aura lieu en septembre 2019 à Pontoise. La société Ceraver et son PDG sont poursuivis, ainsi que l’un des deux chirurgiens ayant accepté, en connaissance de cause, semble-t-il, de poser des implants portant un biorevêtement antibactérien qui faisait alors l’objet de tests sur les animaux. L'un de ces patients, Fernando V., est celui qui a connu les complications les plus sérieuses. Rapidement après l’opération de juin 2011, il ressent d’intenses douleurs. Pendant deux ans, ses enfants, dont Elisabeth V., vont tenter de comprendre pourquoi. En vain. Jusqu’à la révélation du scandale dans la presse.

Cellule investigation de Radio France : Votre père est opéré en juin 2011. Que se passe-t-il juste après ?

Elisabeth V. : Il a fait deux luxations consécutives. Une au mois d'août, l'autre au mois de septembre. Nous avons été aux urgences pour savoir ce qu’il se passait exactement. Son état a continué à se dégrader au fur et à mesure, au point où il ne tenait plus debout et on ne pouvait même plus le maintenir assis. Tout était pénible pour mon père. Il avait beaucoup de douleurs, il prenait des antalgiques. Toutes sortes de médicaments pour essayer de calmer la douleur, mais rien n’y faisait. Après, nous avons eu des séances de kiné, des séances de rééducation pour marcher, on a tout fait mais rien n’y faisait.

Que vous dit le chirurgien de l’hôpital Ambroise-Paré [le professeur Hardy, qui a implanté trois des quatre patients cobayes] ?

On me dit qu’il faut laisser du temps au temps, que mon père est une personne âgée et que cela met plus de temps à cicatriser, qu'une luxation peut arriver donc qu’il ne faut pas s’inquiéter pour autant... Mais au bout de deux ans, cela ne va toujours pas. On veut bien laisser du temps au temps mais au bout d’un moment il faut que cela s'arrête.

Au bout de deux ans la situation bascule...

Oui, il y a la parution de l’article dans Le Parisien du scandale [des prothèses non-conformes, implantées par le professeur Philippe Hardy, NDLR] à l’hôpital Ambroise-Paré, dans lequel on découvre que mon père faisait partie des quatre patients implantés. On comprend alors qu’on nous a menés en bateau pendant deux ans, alors que sa prothèse n’était ni conforme ni homologuée. D’où la souffrance de mon père. Quand on lit les comptes-rendus des urgences, on nous dit de ne pas s’inquiéter, alors qu'il y a eu une fissuration de la prothèse... Même après la deuxième luxation, personne n’a rien fait. Ni le docteur Lortat-Jacob, ni le docteur Hardy (les deux chirurgiens ayant implanté les quatre patients. Le professeur Lortat-Jacob sera jugé en septembre 2019 ; le professeur Hardy est décédé en 2017, NDLR).

Avant la révélation dans la presse, pendant les deux ans qui ont précédé, personne ne vous a expliqué que votre père avait subi un essai clinique illégal ?

Non, personne ne nous a expliqué cela, c’était toujours la même réponse : votre père est âgé, on ne cicatrise plus comme avant, cela va aller de mieux en mieux... Mais le mieux en mieux, c’était de pire en pire, jusqu’à ce qu’on découvre dans la presse ce qu’il se passe.

Finalement, l'implant de votre père a été retiré...

Nous avons pris rapidement rendez-vous avec le docteur Hardy, qui nous a reçus. On lui a ordonné d’enlever cette prothèse immédiatement et de lui en mettre une conforme, propre, pour que mon père arrête de souffrir complètement. Il a été explanté un mois après.

Finalement, quand vous regardez ce qu’il se passe tout de suite après l’opération, le fait de ne rien faire était-il la bonne décision ?

S’ils avaient opéré tout de suite, on aurait pu dire qu’il y avait un problème avec la prothèse. Mais ils n’ont pas opéré. Ils ont tenté de laisser en place cette prothèse pour voir jusqu’à quel point cela pouvait aller. Maintenant, ils sont en train d’en poser, car ils ont l’aval de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), pas de soucis. Mais à l’époque, ils n’avaient pas l’aval. Aujourd’hui, je ne sais pas exactement quelles sont les conséquences réelles pour mon père. Il continue à boiter, il souffre moins mais il ne peut pas trop rester debout. Plein de questions se posent. Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’il va se passer ? Que voulaient-ils faire avec cette prothèse ? C’était pour la gloire ? Il n’y a rien à gagner quand il s’agit de vies humaines.

Êtes-vous en colère ?

Je suis extrêmement en colère, pour ne pas dire que j’ai de la haine contre ces gens-là. Pour moi, les quatre patients qui ont été opérés à Ambroise-Paré ont servi de cobayes.


Vous pouvez accéder à la base mondiale des incidents liés aux dispositifs médicaux mise en place par l'ICIJ. Si vous avez reçu un implant et que vous souhaitez témoigner, vous pouvez le faire sur le site de l'ICIJ.

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