Les urgences craquent : "On aurait vraiment besoin de renfort"
A peine passées les portes automatiques, on découvre des patients qui soupirent, lassés d'être là depuis trois heures, debout dans le hall des urgences. La salle d'attente d'à peine 20 mètres carrés, située juste derrière est déjà pleine. Une quinzaine de personnes s'y entassent dans le bruit et l'obscurité. Yolanda, 33 ans, n'a pas trouvé de chaise. Dans ses bras, son bébé de dix mois est en pleurs. C'est la première fois que la jeune femme vient aux urgences. Elle n'imaginait pas une telle situation.
"Mon petit a de la fièvre. Il vomit. Ça fait déjà trois heures que j’attends. Comme je n’avais pas de place pour un rendez-vous chez le médecin traitant, j’ai été obligée de venir. Le problème, c’est qu’il y a des pompiers qui arrivent avec des cas qui semblent bien plus graves et urgents que le mien. Des gens en fauteuil roulant ou avec une bouteille d’oxygène. Visiblement, je pourrais attendre encore trois ou quatre heures. C’est stressant. Je crois que je vais faire une réclamation. Ça n’est pas normal !", s’agace la jeune maman.
Pas d'agent administratif
Le manque de médecins libéraux dans le secteur ramène aux urgences beaucoup de patients dont la situation est sérieuse mais pas urgente, "des cas relevant de la bobologie" , disent certains médecins ici. Mais dans ce service, on ne refuse jamais personne. Chaque nouveau patient dans le hall appuie sur la sonnette pour signaler son arrivée.
Mais comme il n'y a pas d'agent administratif, la loge d'accueil reste vide. Ce sont les infirmières qui entre deux soins viennent de temps en temps assurer le tri des malades. "On doit répondre au téléphone, venir quand ça sonne à l’entrée, soigner les patients, s’occuper de la paperasse. On est ultra-polyvalents ! ", commente une infirmière.
"L’intimité des patients en prend un coup"
Une fois pris en charge, le patient entre dans la zone de soins. Une zone de 150 m2 seulement avec des boxes séparés par des rideaux bleus. "Des boxes pleins en permanence" , nous explique le chef des urgences, le docteur Jedrecy, en regardant deux jeunes femmes installées sur des brancards dans le couloir. Il est un peu gêné, même s’il est habitué à rencontrer chaque jour de telles situations.
"Le service explose. Il n’est pas dimensionné pour recevoir autant de malades. Il n’y a pas assez de salles d’examens. Il y a des gens un peu défaits qu'on laisse un certain temps sans soins ainsi sur des brancards dans le couloir. Dans ces cas-là, il est clair que le secret médical et l’intimité des patients en prennent un coup ! On les ausculte et tout le monde peut entendre. Nous assistons tout autour aux va-et-vient. C’est très moyen" , reconnaît le médecin entre une prise en charge et un coup de téléphone. Son mobile ne cesse jamais de sonner à sa ceinture.
Les urgences de Dourdan ont été prévues pour accueillir un maximum de 15.000 patients par an. Aujourd'hui elles en reçoivent plus de 22.000. L’équipe soigne jusqu'à 80 ou 100 patients certains jours. Amandine, infirmière ici depuis 9 ans, a vu la situation se dégrader. "On ne se pose quasiment plus pour aller aux toilettes, déjeuner ou boire un verre d’eau. On a tellement de patients à gérer qu’on ne pense qu’à eux et on s’oublie nous-mêmes. Aujourd’hui par exemple, c’est très tendu, on aurait vraiment besoin de renfort. Il y a l’agressivité des personnes qui attendent parfois depuis six heures et qui n’en peuvent plus. Il y a les enfants qui pleurent de chaque côté. Avec ces afflux massifs, on est parfois très limites en termes de sécurité. On a eu des situations très rocambolesques où des patients ont failli être mis en danger" , confie l’infirmière.
"Des soins à la chaîne"
Amandine tient le coup. C’est une passionnée. Mais elle dit ressentir parfois une grande frustration de ne pas pouvoir faire son métier avec le temps, la concentration et l'attention qu'il faudrait. Le docteur Jedrecy est bien conscient que son équipe fait du soin à la chaîne, dans le stress permanent, avec parfois trois nuits de garde dans la semaine : "On peut rester comme en apnée quelquefois pendant toute une journée. Quand il y a trop de patients, on ne peut plus gérer. On n’a que deux bras et deux jambes. Alors, on a très peu le temps d’écouter, de consoler, d’avoir de l’empathie avec les personnes que l’on soigne ".
"Quand on se rend compte que malgré cette saturation, aucun recrutement n’est prévu prochainement, là c’est désastreux pour le moral des équipes qui sont à bout. Dans mon service, je sais qu’il y a des gens qui ne sont pas loin de craquer. Il faut les comprendre : 60 heures de soins continus dans ces circonstances, sur le long terme c’est intenable" , dénonce le médecin.
Des cas de "burn out" ont été enregistrés ici, comme dans de nombreux services d'urgence en France. Les médecins et infirmières sont nombreux à quitter ce service, épuisés arrivés à la cinquantaine. Et même quand il existe le budget pour les remplacer, les responsables font face à une crise du recrutement. L'époque du succès de la série télé américaine Urgences est loin derrière nous. Aujourd’hui, la médecine d'urgence est une des spécialités qui séduit le moins les étudiants.
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