"Lovin' Fun" revient : les ados parlent-ils de sexe comme en 1993?
L'émission radio culte des années 90 reprend du service à la fin de l'été. Que viendront y raconter ou chercher les jeunes ? Interview de la journaliste Rica Etienne.
Si vous avez la trentaine, vous vous souvenez sûrement de "Lovin' Fun", l'une des émissions de radio les plus emblématiques des années 90. Christian Spitz, alias "le Doc", et Difool y ont longuement écouté les petites histoires, confessions, questions et autres angoisses d'adolescents faisant leurs premiers pas dans le monde de la sexualité. A charge, pour les deux animateurs, de les commenter ou d'y répondre avec pédagogie ou humour. Après six ans d'activité, "Lovin' Fun" disparaît des ondes en 1998... jusqu'à cet été 2013.
Fun Radio va en effet relancer l'émission fin août, avec deux nouveaux présentateurs, Karel (déjà sur Fun Radio) et Karima Charni (venue de W9). Le nom du médecin censé les assister sur cette tranche 20 heures-23 heures n'est pas encore connu. Que diront les jeunes qui appelleront ce "Lovin' Fun" nouvelle formule ? En vingt ans, la sexualité des adolescents a-t-elle changé ? Entretien avec Rica Etienne, coauteure, avec le docteur Sylvain Mimoun, d'Ados, amour et sexualité (Albin Michel).
Francetv info : Vingt ans ont passé depuis la première émission de "Lovin' Fun". La société a évolué. La sexualité adolescente aussi ?
Rica Etienne : Pas énormément. L'âge du premier rapport sexuel est certes en légère baisse (aux alentours de 17 ans), mais les questions des adolescents liées à la sexualité restent identiques. Notre enquête, qui s'appuie sur de nombreux témoignages, montre que les jeunes sont toujours aussi ignorants les uns des autres, qu'ils sont romantiques, même si les filles emploient des mots plus crus ou s'habillent de façon plus exubérante qu'avant. Les garçons aussi ont leur côté fleur bleue. Tous gardent en eux la peur d'être jugés.
La grande différence, c'est l'apparition des nouvelles technologies et de la pornographie en ligne. Ce bouleversement indéniable ne concerne pas tous les adolescents, mais peut avoir des conséquences sur la sexualité de certains d'entre eux. Tout dépend du cadre familial. Si un père respecte sa femme, qu'il lui parle bien, alors l'ado aura intégré qu'il faut respecter le sexe féminin. Il ne cherchera pas à l'humilier. Si ce n'est pas le cas, il sera tenté de ne pas respecter tous les paliers naturels de la relation.
Mais attention, le porno en ligne a aussi un effet positif : il permet aux adolescents d'apprendre et de découvrir leur sexualité plus facilement. Tout ceci est trop récent pour en connaître les effets à long terme. Il s'agit de la première génération à expérimenter cette nouvelle donnée.
Les réseaux sociaux influencent-ils, eux aussi, la sexualité des ados ?
Oui, surtout lorsqu'ils sont associés à d'autres phénomènes, comme le "binge drinking" [le fait de se saoûler beaucoup et très vite]. Bien entendu, les adolescents buvaient aussi de l'alcool, il y a vingt ans, mais moins rapidement. A l'issue de ces soirées de beuverie, il arrive désormais que des jeunes gens se réveillent et découvrent sur les réseaux sociaux des photos et vidéos compromettantes.
Pour le reste, les réseaux sociaux constituent une forme de protection, éventuellement garantie par l'anonymat. En fouillant sur les forums, par exemple, on peut se procurer des informations beaucoup plus facilement qu'avant. Mais ce sentiment de protection est erroné, car une fois en face de la personne, la rencontre n'est pas plus fluide, ni plus légère, qu'il y a vingt ans.
Nous avons également constaté une recrudescence d'amitiés amoureuses chez les adolescents. Auparavant, quand c'était fini, c'était fini. Maintenant, les jeunes conservent souvent leur ex comme ami(e). Est-ce dû au fait que les ados vivent beaucoup plus en réseau, et qu'il est difficile de quitter tout un réseau ? Peut-être.
Les pratiques sexuelles ont-elles changé ?
On note quelques évolutions. La fellation, notamment, est de plus en plus pratiquée, tout comme le cunnilingus. En revanche, la masturbation reste beaucoup plus répandue chez les garçons que les filles. Malgré le flux d'images et d'informations disponibles aujourd'hui, les adolescentes méconnaissent leur corps, et ce sexe interne qui nécessite d'apprendre comment il fonctionne, petit à petit.
On constate également que les blocages socioculturels ont peu évolué, voire se sont renforcés. De plus en plus de jeunes filles musulmanes se font recoudre l'hymen, ou pratiquent une sexualité anale pour arriver physiquement vierge au mariage. Par ailleurs, les adolescents homosexuels ont toujours énormément de mal à s'accepter comme tels. Là encore, le regard des adultes - et notamment des parents - pèse autant, sinon plus, que celui des camarades.
Une émission de radio pour parler de sexe aujourd'hui, n'est-ce pas un peu daté pour les adolescents ?
Je ne pense pas. La radio reste un média absolument d'actualité. Bien que le concept de l'émission soit ancien, un tel rendez-vous peut vraiment marcher auprès des jeunes, car la voix est humaine, elle passe très bien. Et l'anonymat est respecté, comme sur internet. Les animateurs peuvent donner des conseils qui aident énormément les auditeurs, des explications qu'on ne trouverait pas forcément en ligne. L'important, c'est qu'ils sentent qu'ils sont une communauté à écouter le même média.
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