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Fatigue pandémique : qu'est-ce que ce syndrome apparu avec le Covid-19 (et comment l'éviter) ?

Insidieuse mais très présente, la fatigue pandémique peut nous fragiliser et conduire à un rejet des mesures sanitaires. Explications et pistes de solutions. 

Article rédigé par franceinfo - Emilie Gautreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une jeune femme étudie ses cours en ligne chez elle. Suresnes, le 17 decembre 2020 (Daniel Derajinski / Hans Lucas)

Anxiété, insomnies, difficultés à se concentrer, à organiser sa vie, à se projeter... Si ces symptômes ne sont pas propres à la période que nous traversons, ils peuvent être accentués par cette crise sanitaire. Des psychologues, des chercheurs et l'Organisation mondiale de la santé incitent Etats et citoyens à prendre en compte cette fatigue pandémique et proposent des pistes pour l'atténuer. 

Dans un document intitulé "Lassitude face à la pandémie - remotiver la population pour prévenir la Covid-19", l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la fatigue pandémique comme "une réponse naturelle et attendue à une crise de santé publique prolongée", accentuée par les "mesures restrictives ayant un impact sans précédent sur la vie quotidienne de chacun". C'est une fatigue liée aux différents aspects anxiogènes de la crise sanitaire:  enjeux sanitaires vitaux (auxquels nous sommes exposés en continu), manque de vie sociale, culturelle, sportive, incertitudes économiques, absence de perspective claire et organisation plus compliquée. Anxiété et lassitude sont accentuées par des restrictions des libertés qui se prolongent et deviennent très pesantes. "La notion est d'ailleurs apparue surtout dans la deuxième moitié de l'année dernière" pointe Abdel Boudoukha, professeur en psychologie clinique et pathologique à l'université de Nantes. 

Ce type de fatigue peut être ressenti par tous, même si certaines catégories de la population sont plus particulièrement concernées. Les études montrent que les jeunes sont très touchés par cette fatigue pandémique car ce sont ceux qui vivent cette restriction des libertés de la façon la plus frustrante. C'est également, explique Abdel Boudoukha, une population qui n'est pas encore insérée dans le monde professionnel et n'a pas encore de routines auxquelles se raccrocher. Les plus âgés sont également très touchés car ils sont privés de leurs familles et d'un certain soutien social. Cette crise et ses conséquences ont aussi un fort impact psychologique sur les enfants.

Des répercussions sur le comportement

Tous ces paramètres peuvent avoir plusieurs conséquences sur le plan psychique : morosité, ennui, anxiété, manque de motivation, ou difficultés de concentration. Des études montrent par ailleurs, indique l'OMS, que les gens n'ont souvent pas tant peur des risques liés au virus lui-même que de ceux liés aux conséquences de la crise sanitaire, comme la perte de leur emploi ou de leurs revenus. La première étape consiste donc à admettre, collectivement et individuellement, que cette fatigue diffuse existe, de façon à pouvoir ensuite tenter de l'atténuer et limiter ses conséquences.

L'une des conséquences de cette fatigue pandémique peut passer par un rejet brutal des mesures sanitaires. Cette mise en danger de soi-même et des autres, en s'exposant au virus (par exemple en organisant des fêtes en nombre) peut passer pour de l'inconscience. Or, explique Abdel Boudoukha, c'est parfois la manifestation d'un niveau de fatigue extrême face à l'intensité de cette crise. "On a parlé au cours du deuxième semestre 2020 des 'covidiots', explique t-il, pour décrire ces personnes qui refusaient d'adopter les gestes barrière. C'est un terme qui était très incriminant, méprisant et qui méconnaissait les effets psychologiques". Surtout ce qualificatif de "covidiot" est contreproductif car "les gens finissent par se conformer à la terminologie dans laquelle on les enferme, sans que cela fasse évoluer les comportements". Abdel Boudoukha insiste néanmoins sur le fait que la majorité des Français respecte les préconisations.

La crise nous montre à quel point l'idée du Français râleur qui n'a pas envie de suivre les règles est fausse, mais quand des comportements deviennent irrationnels, c'est qu'il y a des raisons derrière à aller chercher et la fatigue pandémique est une des raisons.

Abdel Boudoukha, professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Nantes

à franceinfo

Des études menées par l'université de Nantes montrent que durant le premier confinement est apparue une dérégulation des émotions, avec pour certains une difficulté à éprouver des émotions positives. Un certain équilibre a été retrouvé à l'été avec l'allègement des restrictions. Or, note Abdel Boudoukha, le deuxième confinement est arrivé assez rapidement ensuite. "On a alors revu les mêmes phénomènes – diminution des émotions positives et augmentation des émotions négatives – indicateurs de la fatigue pandémique et qui se poursuivent en ce début d'année 2021, avec la crainte d'être reconfinés". L'enquête Coviprev menée par Santé Publique France depuis mars 2020, va dans le même sens. Elle illustre l'impact des confinements et montre un niveau toujours élevé en ce début d'année des états anxieux, dépressifs et des insomnies. 

Des pistes individuelles pour aller mieux

Nous avons globalement eu tendance depuis le début de la crise, nous expliquent les spécialistes, à ressasser le négatif plus que le positif. Or, dans le même temps, nous avons aussi profité de cette période inédite et des confinements pour prendre du recul, faire le point et réfléchir à ce dont nous avions vraiment envie, ce qui est en soi très positif. "L'un des éléments des thérapies comportementales est la réélaboration positive" explique Abdel Boudoukha. Appliquée à cette crise sanitaire, cela revient à s'interroger sur ce qu'elle nous apprend sur nous, nos relations aux autres, nos résiliences, nos forces.

Un autre élément des thérapies cognitives et comportementales applicable à cette crise mis en avant par les spécialistes est le fait de prendre soin de soi, savourer les moments de plaisir, même fugaces, que nous vivons durant cette période, en faire des balises et des rituels : promenades dans la nature, jeux de société en famille, rendez-vous entre petits-enfants et grands-parents par vidéo interposée, cuisine, temps de lecture ou d'écriture, pratique d'un instrument...

La plateforme d'information francilienne sur la santé mentale Psycom liste elle aussi des exemples de moyens de s'appuyer sur ses propres ressources : se rappeler comment on a surmonté certaines difficultés par le passé, garder en tête que cette période éprouvante aura une fin, prêter attention à son sommeil, installer de nouvelles routines, ré-aménager son chez-soi, cultiver la bienveillance envers nous-mêmes et les autres, garder le contact avec la nature ou, là encore, faire des choses qui nous font du bien. 

Et si évidemment les symptômes d’angoisse, de tristesse deviennent trop importants, en parler à son médecin traitant, s’appuyer sur le soutien de psychologues et de psychiatres ou se tourner vers une cellule de soutien nationale, locale ou au sein de son entreprise. Le numéro d'information sur le coronavirus (0800 130 000) permet d'être redirigé vers des plateformes d'écoute. Le groupement Psychom a également recensé des lignes téléphoniques de soutien.

Une préoccupation qui doit s'imposer aux Etats

Si la fatigue pandémique est une réaction individuelle, les gouvernements doivent, insiste l'OMS, tenir compte des facteurs qui y mènent et mettre en place des actions concrètes pour la prévenir et l'atténuer. Chercheurs et OMS invitent, entre autres, à mettre en place des mesures de prévention et de soutien. La psychanalyste Claude Halmos explique ainsi que "nous sommes soumis, depuis un an, à une surcharge de peurs, d’empêchements (de vivre au présent, et de faire des projets pour l’avenir) ; de privations (de contacts, de culture, de voyages). Et tout cela, sans savoir jusqu’à quand [...] Les Français sont aujourd’hui, laminés par tout cela. Mais ils le sont aussi parce que le travail de prévention qui aurait pu leur permettre de mieux résister, n’a pas été fait [...]  De la même façon que l’on a expliqué la dangerosité du virus pour le corps, il aurait fallu, pour leur permettre de se protéger, alerter les gens sur sa dangerosité psychologique".

OMS et chercheurs invitent aussi à bien peser l'impact des mesures restrictives. En Allemagne par exemple, la question des restrictions a dès le départ été débattue non seulement avec des médecins, mais aussi avec des sociologues, des historiens, des juristes, des spécialistes des religions ou de la pédagogie, en mettant l'accent sur le respect des libertés et la complexité d'une crise systémique à disséquer sous plusieurs angles.

Ainsi, lorsque la chancelière allemande Angela Merkel a annoncé les premières restrictions dans son pays en mars 2020, elle a mis l'accent sur le sens civique de chacun, le "défi" que représente l'épidémie et la "solidarité commune" à mettre en place, plus que sur la dimension répressive. Elle a également d'emblée pris en compte et mesuré l'impact sur les libertés, en évoquant l'Histoire. "Pour quelqu’un comme moi pour qui la liberté de voyager et de circulation a été un droit durement acquis, de telles restrictions ne peuvent être justifiées que par une nécessité absolue, a-t-elle déclaré devant les Allemands, le 18 mars 2020. Dans une démocratie, elles ne devraient jamais être décidées à la légère, et seulement de façon provisoire. Mais elles sont en ce moment indispensables pour sauver des vies."

L'OMS incite également les dirigeants à faire des recommandations compréhensibles et coordonnées. Elle recommande de faire preuve de clarté et de transparence dans la prise de décisions – par exemple avec des points presse réguliers. En utilisant des données qui permettent de comprendre facilement pourquoi la situation évolue, de façon à introduire une dimension prévisible malgré les incertitudes. Elle met ainsi en avant la Lettonie où la communication politique a dès le départ été axée autour des notions d’honnêteté et de transparence. En effet, le fait de pouvoir anticiper les situations – ou à défaut de comprendre clairement pourquoi il est diffficile de se projeter  contribue à faire baisser un peu le seuil d'anxiété.

L'OMS recommande enfin de miser sur les populations plutôt que de condamner et d'effrayer. Cela passe, indique t-elle, par le fait d'impliquer la société civile dans les solutions à trouver, en partant des besoins locaux, des  retours d'expérience des citoyens. Elle incite à relayer les initiatives permettant de continuer à vivre le plus normalement possible tout en se protégeant et en protégeant les autres. 

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