Coronavirus : comment la contamination de Jair Bolsonaro embrase la scène politique brésilienne
Après avoir minimisé pendant des mois l'épidémie de coronavirus qui a touché de plein fouet son pays, le président brésilien a annoncé mardi 7 juillet être positif au Covid-19.
"Pourquoi j'espère que Bolsonaro va mourir" : l'éditorial politique publié dans le célèbre quotidien Folha de São Paulo (article payant, en portugais) par le philosophe et journaliste Hélio Schwartsman donne le ton. "Bolsonaro rendrait dans la mort le service qu'il n'a pas pu offrir dans la vie", estime son auteur. La révélation, mardi 7 juillet 2020, par Jair Bolsonaro en personne de sa contamination au Covid-19 a ravivé la polarisation de la société brésilienne. Sur le fil vidéo de la conférence de presse, diffusé par la présidence, les "bonne chance président !" alternent avec les messages ironiques souhaitant du courage au virus, qui a déjà fait près de 68 000 morts dans le pays. Le Brésil est ainsi devenu depuis à la mi-juin le deuxième pays le plus endeuillé au monde, après les Etats-Unis.
Bolsonaro s'enfonce dans le "négationnisme"
Loin de suivre l'exemple du Premier ministre britannique Boris Johnson qui s'était retiré de la scène médiatique le temps de sa guérison, Jair Bolsonaro "a transformé l'annonce en un spectacle politique", observe le journaliste Bruno Boghossian dans les colonnes de Folha de São Paulo. Mardi 7 juillet, sur l'esplanade du palais présidentiel, le chef d'Etat de 65 ans répondait aux questions des journalistes sur son état de santé avec sa désinvolture habituelle. Après avoir été poursuivi par la justice pour avoir refusé de divulguer les résultats de précédents tests de dépistage à la mi-mars, le président d'extrême droite s'est décidé à annoncer lui-même sa contamination avérée au Covid-19. Jair Bolsonaro s'est dit souffrant depuis dimanche d'"une indisposition, qui s'est aggravée lundi, avec un mal-être, de la fatigue, un peu de douleur musculaire, et une fièvre en fin d'après-midi qui a atteint les 38 °C".
L'annonce aurait pu être faite par son médecin officiel ou réalisée via vidéo-conférence. Mais elle aurait alors pu être vue comme un aveu de faiblesse. Très peu pour le médiatique Jair Bolsonaro, qui a décidé de conclure sa conférence en retirant son masque, après s'être reculé de deux pas. "C'est juste pour que vous puissiez voir mon visage, d'accord ? Je vais bien, Dieu soit loué", s'est-il exclamé, ajoutant qu'il était prêt à aller se balader, mais suivrait les recommandations médicales. Âgé de 65 ans, Jair Bolsonaro fait partie d'une population à risque, mais persiste dans son "négationnisme" : d'après lui, le virus n'est qu'une "grippette".
Fin mars, le président brésilien se posait en président invincible. Après s'être remis d'une attaque à l'arme blanche survenue au cours de sa campagne présidentielle, Jair Bolsonaro affirmait que son "passé d'athlète" le protégerait de la pandémie. "Si je venais à attraper le virus, j'aurais tout au plus un petit coup de froid", avançait-il, confiant. Vaincre le Covid-19 pourrait "renforcer l'opinion des partisans radicaux de Bolsonaro qu'il est vraiment un messie surhumain", prévient Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales, sur Twitter.
Un promoteur de l'hydroxychloroquine
Sa contamination n'est pas si surprenante. L'homme enchaînait les bains de foule sans masque ni distanciation physique. D'après Folha de São Paulo, il aurait côtoyé plus d'une centaine de personnes au cours des deux dernières semaines. Et selon les photographies et vidéos postées à l'occasion, l'homme ne s'embarrassait ni des distances de sécurité, ni du port du masque, auquel il s'est opposé le 3 juillet, notamment dans les églises, les commerces, les écoles, etc.
En dépit de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les hôpitaux, le président brésilien a toujours été convaincu que le meilleur moyen de lutter contre le Covid-19 consistait à recourir à l'immunisation de groupe. Mais,"contrairement à lui, la majorité de la population n'a pas la possibilité d'utiliser une suite VIP dans un hôpital de luxe", souligne amèrement Guilherme Boulos, ex-candidat du Parti du socialisme et de la liberté lors des élections générales de 2018, sur Twitter.
Presidente Bolsonaro confia na Hidroxicloroquina. pic.twitter.com/Bpepds4Lh6
— Roberto Jefferson (@blogdojefferson) July 8, 2020
Autre particularité de la gestion bolsonarienne de l'épidémie : le recours décomplexé au protocole controversé du professeur Didier Raoult, que Bolsonaro vante en permanence. "La réaction a été quasi immédiate. Quelques heures plus tard, je me sentais déjà beaucoup mieux", a-t-il affirmé. "La chloroquine a son plus grand publicitaire. Le président Jair Bolsonaro !", relève, ironique, Sergio Camargo, président de la Fondation Palmares, organe public de défense de la culture afro-
Réjouissances malsaines
Depuis que le président d'extrême droite a rejoint la liste des cas confirmés, l'expression "Força Covid" gravite sur les réseaux sociaux en tête des tendances. De nombreux internautes expriment ouvertement leur souhait de voir décéder le président, dont la politique n'a pas été remise en question par sa maladie. Jair Bolsonaro et sa famille sont au cœur de plusieurs scandales judiciaires et son gouvernement est affaibli. Les domaines de la Santé et de l'Education attendent depuis plusieurs semaines la nomination de nouveaux ministres, et le pays s'enfonce dans une récession économique, en dépit de l'incitation présidentielle à faire tourner l'économie.
Les responsables politiques de l'opposition, dont l'ancien ministre de la Justice Sergio Moro, sont pour la plupart restés sobres dans leurs commentaires. Le président de la Chambre des députés Rodrigo Maia a ainsi souhaité "un prompt rétablissement" au chef de l'Etat, tout en soulignant la gravité du Covid-19, rapporte le quotidien portugais Diário de Notícias. La député fédérale Sâmia Bomfim, du parti d'opposition de gauche PSOL, s'interroge sur la suite : "La contamination de Bolsonaro va-t-elle le contraindre à revoir son plan qui consiste à gérer la pandémie sans ministre de la Santé ? Ou bien son idée est-elle de continuer d'accroître le lobby de la chloroquine ? Fera-t-il preuve d'empathie avec les trop nombreuses victimes ? Ou va-t-il continuer à défendre la mort ?"
"Au nom du Parlement, je vous souhaite un prompt rétablissement. Et dans le même temps, je fais part de mon indignation, en tant qu'homme public et citoyen, face au regrettable article publié dans le journal Folha de São Paulo, signé par le journaliste Hélio Schwartsman", a réagi mercredi 8 juillet le président du Sénat, Davi Alcolumbre, dans un communiqué. Carlos Bolsonaro, l'un des fils du président, s'était indigné plus tôt du silence des autorités face aux messages haineux qui ont fusé à l'encontre de son père.
De son côté, le conseiller du président Filipe Martins s'est lâché sur les réseaux sociaux. "La gauche veut sa mort, bien sûr, mais elle veut beaucoup plus : elle veut celle de toute sa famille. Le président n'est qu'un symbole de tout ce qu'elle déteste chez notre peuple et un obstacle aux désirs meurtriers qu'elle cultive", a-t-il écrit. Pour beaucoup, au sein de l'opposition, cette violence verbale discrédite également toute critique du discours bolsonariste. Car Jair Bolsonaro, lui-même, avait déjà souhaité publiquement la mort de l'ancienne présidente Dilma Rousseff.
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