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Coronavirus : quatre questions sur l'exploitation des données téléphoniques pour lutter contre l'épidémie

À l’instar de ce qui se fait en Italie, l'opérateur de téléphonie Orange se dit prêt à aider les autorités françaises avec "des indicateurs statistiques", à partir des données de nos téléphones portables, pour lutter contre le coronavirus.

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une femme à Berlin en Allemagne, le 23 mars 2020 (photo d'illustration). (DAVID GANNON / AFP)

Localiser les individus et analyser leurs déplacements grâce à leur téléphone portable, pour lutter contre la pandémie de coronavirus, cela se pratique dans de nombreux pays. Le sujet émerge en France, mais fait débat concernant le respect des données personnelles. 

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A quoi peuvent servir les données téléphoniques contre le coronavirus ?

La Chine, Hong Kong, Israël ou encore l'Italie ont utilisé, à des degrés divers, les informations contenues dans les téléphones portables des habitants pour contrôler la population ou vérifier que le confinement est bien respecté. En France, les opérateurs télécoms "sont prêts à travailler directement avec les autorités compétentes", indique Arthur Dreyfuss, le président de la Fédération Française des Télécoms (FFT), dans une déclaration envoyée à franceinfo. "Ils se tiennent à disposition des pouvoirs publics pour aider le gouvernement dans la lutte contre la propagation du coronavirus, continue le président de la FFT, notamment avec les données anonymisées dont les opérateurs télécoms disposent."

Le groupe Orange affirme à franceinfo travailler "actuellement avec l’Inserm et des préfectures afin de pouvoir alimenter sous quelques jours les autorités avec des indicateurs statistiques". Des statistiques construites "en toute conformité avec la réglementation sur les données personnelles", assure le groupe de télécommunication.

Selon Orange, trois objectifs sont visés. Tout d’abord, il s’agit "d’évaluer le delta de populations par zone 'avant confinement' et 'après confinement'" ce qui doit permettre de "mieux pré-dimensionner le système de soin". Les statistiques recueillies permettront aussi "d’estimer les mobilités par zone pour vérifier l’effectivité des mesures de confinement". Selon le groupe de télécommunication, "les autorités pourraient alors évaluer la discipline collective, et adapter en conséquence, à l’échelon national ou local, les mesures prises". Pour finir, les indicateurs permettraient "d’améliorer les estimations prévisionnelles épidémiologiques par zone", et "d’adapter en temps réel le système de soin".

Le respect des données personnelles peut-il être garanti ? 

Oui, répond donc Orange. L’opérateur ne donne pas plus de précisions sur comment sont récupérées les données. En France, récolter les données de bornage des téléphones portables n’est "techniquement pas très compliqué", explique Arthur Messaud, membre de la Quadrature du Net. Mais, pour le juriste de cette association de défense des libertés numériques, le cadre légal pour traiter ce genre de données est flou. "Depuis 2015 et la loi sur le renseignement, les services de renseignements ont la possibilité pour des intérêts économiques, ou même scientifiques, de demander aux opérateurs de télécommunications des données de localisation des personnes, affirme Arthur Messaud. Ils peuvent même les demander en temps réel".

Le juriste doute du respect de l’anonymat de ces données : "On ne voit pas trop comment ils feraient. Il faut bien comparer les différentes données dans le temps, et voir où le portable d’une personne en particulier borne pour vérifier, pendant x jours et x semaines, si cette même personne borne ou pas dans d’autres lieux".

L’utilisation des données pour suivre les personnes dans le temps par les autorités publiques serait donc pour l’association une "violation assez frontale des règles européennes" en matière de protection des données personnelles. "Les données de localisation des téléphones ou même des ordinateurs ne peuvent être traitées que dans trois cas : si elles sont anonymes, avec le consentement des personnes et pour la sécurité publique. Et dans le RGPD (Règlement général de la protection des données), il est précisé que les questions de santé publique ne rentrent pas dans le domaine de la sécurité publique."

Dans une interview donnée au journal Le Parisien, dimanche 22 mars, le criminologue Alain Bauer préconise cette utilisation des données contenues dans nos téléphones portables : "Quand vous entrez dans n'importe quel grand magasin, vous recevez immédiatement de la publicité sur votre portable, c'est la même chose. Utilisons à des fins sanitaires ce que l'on utilise pour l'heure à des fins commerciales."

La France va-t-elle utiliser ces données ?

Durant l‘examen du projet de loi instaurant l’urgence sanitaire, Bruno Retailleau et Patrick Chaize, deux parlementaires Les Républicains, ont proposé un amendement"toute mesure visant à permettre la collecte et le traitement de données de santé et de localisation, est autorisée pendant une durée de six mois". Un amendement qui selon les élus visait "à faciliter les procédures imposées aux opérateurs dans la collecte et le traitement des données de santé et de localisation". L'amendement a été rejeté en première lecture au Sénat.

Quant à la collaboration évoquée par Orange avec les autorités, le PDG du groupe Stéphane Richard indiquait la semaine dernière au journal Le Figaro travailler afin de "permettre aux épidémiologistes de modéliser la propagation de la maladie". Stéphane Richard affirme que "dans un tel usage, les données de géolocalisation sont anonymisées. Mais malgré ça, cela demanderait des ajustements réglementaires et un accord de la CNIL". Rien n'est donc encore officiellement lancé du côté des autorités.

Le PDG d'Orange insiste sur l'idée que ces "données pourraient aussi être utilisées pour mesurer l’efficacité des mesures de confinement, comme en Italie".

Et les autres pays, que font-ils de ces données concrètement ?

En Lombardie, selon le quotidien Il Corriere della Sera, les opérateurs téléphoniques ont mis à disposition de la région les données concernant le passage d'un téléphone portable d'une borne téléphonique à une autre. À la date du 18 mars, les autorités savaient que le confinement était respecté par 60% de la population. Un chiffre trop faible dans cette région italienne qui est la plus touchée par l’épidémie de coronavirus. "Il ne s'agit pas d'un contrôle permettant de surveiller un téléphone en soi", indique le quotidien, car "la loi sur le respect de la vie privée ne le permettrait pas, mais d'une technologie qui permet de contrôler la baisse des déplacements des personnes par rapport à une période donnée"

Mais le contrôle pour contenir l’épidémie grâce aux nouvelles technologies est encore plus poussé dans des pays asiatiques, indique l’AFP. Les personnes en quarantaine à Taïwan reçoivent un smartphone doté d'un GPS et sont surveillés par les autorités au travers de l'appli de messagerie Line. Ceux qui ne respectent pas leur quarantaine risquent un million de dollars taïwanais (30 000 euros) d'amende et la publication de leur nom. En Chine, des applications mobiles fournissent un code QR, dont la couleur dépend des visites (ou non) dans des lieux classés à risque, et qui se fonde sur l'analyse des déplacements effectués par les utilisateurs. Ce code QR est devenu quasi-obligatoire dans plusieurs villes afin de sortir des gares ou d'utiliser les transports publics.

À Hong Kong, depuis le 19 mars, les autorités obligent toutes les personnes arrivant de l’étranger à porter un bracelet au poignet. Le dispositif est relié à une application que l’on télécharge sur son téléphone avant d’entamer deux semaines de quarantaine à domicile. Les autorités peuvent ainsi vérifier où se trouve la personne en temps réel pour s’assurer qu’il n’y a pas une propagation du virus. Et pour les personnes n’ayant pas eu de bracelet, elles reçoivent tous les jours un appel vidéo de la police qui vérifie le nombre de personnes présentes, photo à l’appui.

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