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Coronavirus : la Chine a-t-elle demandé à la France de favoriser Huawei dans le dossier de la 5G en échange de masques ?

L'accusation lancée par un élu américain a été démentie par Paris. Elle est également jugée peu crédible par les experts.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Emmanuel Macron serre la main du président chinois Xi Jinping, le 6 novembre 2019 lors d'une visite officielle à Pékin.  (NICOLAS ASFOURI / AFP)

En pleine pandémie de coronavirus, les masques "made in China" seraient-ils devenus un moyen de pression pour Pékin ? Invité de Fox News, la très conservatrice chaîne d'information en continu américaine, régulièrement accusée de faire la part belle aux théories complotistes et aux "fake news", l'élu républicain Mark Green a lancé de lourdes accusations.

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Le représentant du Tennessee au Congrès a affirmé que le président chinois, Xi Jinping, avait demandé à son homologue français, Emmanuel Macron, que Huawei, le champion chinois des télécoms, fasse l'objet d'un traitement de faveur dans l'obtention du marché des équipements 5G en France, en contrepartie des près de deux milliards de masques commandés par Paris. En France, ces accusations ont été relayées par l'eurodéputé du Rassemblement national Jérôme Rivière, depuis le dimanche 5 avril sur Twitter. Alors, vrai ou "fake news" ?

Cette affirmation a été rapidement démentie sur Twitter par l'ambassade de France aux Etats-Unis. "Ce point n'a pas été soulevé, ni lors de la dernière discussion entre le président Macron et le président Xi ni au cours d'autres échanges", écrit la représentation française. Contacté par franceinfo, l'Elysée a fait la même déclaration.

Ce thèse est en outre jugée peu crédible par les experts sinologues interrogés par franceinfo. "Un tel chantage irait complètement à l'encontre de la stratégie de soft power, où la Chine se présente comme une puissance désintéressée qui vient au secours du monde et en est capable grâce à sa politique 'correcte' de lutte contre l'épidémie", juge Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS.

Les Etats-Unis à l'offensive contre Huawei

"Ça ne correspond pas au récit que la Chine essaie d'imposer dans le monde actuellement", abonde Marc Julienne, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Une telle approche serait parfaitement contre-productive pour Pékin : au lieu de se montrer comme puissance responsable et solidaire, elle se montrerait au yeux de l'Etat français comme un puissance coercitive."

"Il semble aussi invraisemblable que le président de la République ait accepté un tel accord, qui reviendrait à prendre une décision dans l'urgence sur une question stratégique de long terme [les infrastructures 5G], poursuit Marc Julienne. D'autant qu'il semblait ces derniers mois que la France cherchait un moyen – le plus diplomatique possible – de ne pas permettre à Huawei d'entrer sur le marché français."

Le développement de la 5G est devenu un enjeu géopolitique international, notamment en Europe. Les Etats-Unis tentent de dissuader les Européens de faire confiance à Huawei, premier équipementier télécoms mondial. Selon des responsables américains cités par le Wall Street Journal, Huawei serait contraint par le gouvernement chinois d'installer des voies d'accès secrètes (des "backdoors") dans ses réseaux de téléphonie mobile à des fins de surveillance. Des accusations rejetées par Huawei. La Chine craint donc que son fabricant ne soit banni du marché français comme européen. L'ambassade de Chine en France a même fait monter la pression, en menaçant Nokia et Ericsson de mesures de rétorsion en Chine si jamais Huawei était désavantagé.

L'épidémie retarde le dossier en France

C'est dans ce contexte que Paris doit délivrer de façon imminente ses premiers feux verts aux demandes d'équipements formulées par les opérateurs, qui ont le choix entre les groupes européens Nokia et Ericsson et Huawei pour le déploiement de la 5G. Les autorisations de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) étaient initialement attendues en février, mais elles ont pris du retard. L'épidémie de coronavirus n'a rien arrangé.

Officiellement, aucun équipementier n'est frappé d'interdiction dans l'Hexagone. "Nous ne faisons pas de discrimination vis-à-vis de quelque entreprise que ce soit, ni chinoise ni américaine", a rappelé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, sur BFM Business. Bruno Le Maire n'a pas caché que l'argument de la sécurité était primordial. "Nous veillons à nos intérêts de sécurité et nos intérêts stratégiques", a-t-il assuré. "S'il y a des installations critiques, des installations militaires, des zones nucléaires à proximité, nous mettrons un certain nombre de restrictions pour protéger nos intérêts de souveraineté." Le cœur de réseau est considéré comme stratégique dans une infrastructure mobile, notamment parce qu'il est équipé de logiciels traitant des données sensibles, dont celles des usagers. 

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