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Coronavirus : risque-t-on une pénurie de fruits et légumes frais en raison de l'épidémie de Covid-19 ?

Certains fruits et légumes de printemps pourraient ne pas être tous récoltés, faute de main-d'œuvre suffisante. Mais si une pénurie semble peu probable, la fermeture des marchés oblige les producteurs à trouver d'autres solutions pour alimenter les consommateurs, en passant notamment par la grande distribution. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une femme achète des fruits et légumes, le 25 mars 2020, à Paris. (EMERIC FOHLEN / NURPHOTO / AFP)

"Rejoignez la grande armée de l'agriculture française." Le ministre de l'Agriculture a lancé un appel aux accents lyriques, mardi 24 mars sur BFMTV. Didier Guillaume a enjoint "l'armée de l'ombre" des Français privés d'activité par la crise du coronavirus et confinés chez eux à aller prêter main forte aux agriculteurs, en mal de main-d'œuvre dans leurs champs. "Il faut produire pour nourrir les Français", a-t-il insisté.

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Même si les Français ont acheté davantage de pâtes, de plats cuisinés et de charcuterie aux premiers jours du confinement, le gouvernement comme les acteurs du secteur agroalimentaire assurent que toute pénurie est écartée, comme le rappelle Que choisir. Pour autant, la France ne risquerait-elle pas de manquer de fruits et légumes frais, sans "l'acte citoyen" demandé par le ministre de l'Agriculture en pleine épidémie de Covid-19 ? 

"Il risque d'y avoir un souci sur les produits saisonniers"

Depuis la fermeture des frontières de l'espace Schengen, décidée afin de freiner la pandémie, couplée à la fermeture de frontières à l'intérieur même de l'Union européenne (par exemple celle de la Pologne), les entrées d'ouvriers agricoles étrangers en France se sont taries. Or les travailleurs saisonniers viennent pour beaucoup d'Europe du Sud ou de l'Est et du Maghreb. Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, premier département producteur de fraises, il manque la moitié des 6 000 saisonniers habituellement engagés, indique à l'AFP Philippe Blouin, président de l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes du Lot-et-Garonne (AIFLG). La cueillette a commencé et la situation est critique.

Au total, le besoin de main-d'œuvre a été chiffré à plus de 200 000 personnes sur trois mois par le principal syndicat du monde agricole, la FNSEA. Quelque 50 000 en mars, puis 80 000 en avril et 80 000 en mai, selon les calculs de la présidente du syndicat, Christiane Lambert. D'après la FNSEA, environ 40 000 candidats se sont déjà manifestés en 24 heures sur le site internet lancé pour l'occasion par le syndicat.

"Pas tant un risque de pénurie qu'un problème économique" 

Cette pénurie de main-d'œuvre "concerne essentiellement le maraîchage et l'arboriculture", tempère Guillaume Riou, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), joint par franceinfo. "Il faut ramasser les fruits et légumes de printemps qui sont en train de sortir de terre et la période de plantation des légumes d'été va bientôt commencer."

C'est aussi la saison pour éclaircir les arbres fruitiers ou tailler les vignes. L'ensemble des exploitations agricoles ne sont toutefois pas concernées. "Le problème se pose pour l'agriculture dont le modèle est fondé sur la main-d'œuvre saisonnière, souvent étrangère, et le travail temporaire", souligne Guillaume Riou. "Il risque d'y avoir un souci sur les produits saisonniers", prévient Aurélien Clavel, vice-président des Jeunes agriculteurs.

Un ouvrier agricole travaille dans un serre chez un fraisiculteur de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin, près d'Orléans (Loiret), le 25 mars 2020. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"Cette crise repose la question de l'autonomie des fermes et des modèles agro-économiques", juge Guillaume Riou. "Les fermes les plus grosses, les plus industrialisées, les plus dépendantes aux apports extérieurs, sont aussi les plus exposées au risque. Celles qui sont les plus autonomes seront celles qui seront les plus résilientes", prédit-il. "Là où il n'y a pas besoin de beaucoup de main-d'œuvre saisonnière, il n'y a rien qui coince", confirme Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne.

Pour Nicolas Girod, la menace "n'est pas tant un risque de pénurie qu'un problème économique""Si ces fermes perdent de l'argent à cause de la crise sanitaire, l'Etat va devoir les indemniser." Faire appel aux bonnes volontés pour aller cueillir les asperges qui sortent de terre et les fraises qui mûrissent permettrait certes aux producteurs de ne pas laisser leur récolte pourrir sur pied, mais aussi à l'Etat (et donc aux contribuables) d'éviter de signer un gros chèque d'indemnisation.

La fermeture des marchés éloigne les fruits et légumes de l'assiette

Si les fruits et légumes parviennent à être récoltés, encore faut-il qu'ils arrivent jusqu'aux consommateurs. Le monde agricole s'alarme de la fermeture des quelque 10 000 marchés de plein air, décidée par le gouvernement, et qui a contraint certains agriculteurs à jeter leurs fruits et légumes tout juste cueillis. L'exécutif a certes laissé la porte ouverte à des dérogations. Mais la Fédération nationale des marchés a tout de même saisi le Conseil d'Etat d'un référé pour contester la mesure. 

"Il faut que les marchés qui respectent strictement les règles sanitaires puissent rouvrir", estime Aurélien Clavel, vice-président des Jeunes agriculteurs, qui s'emporte contre ces images de marchés parisiens bondés qui ont, selon lui, poussé le gouvernement à agir. "On est capables de mettre en place des mesures barrières satisfaisantes en vente directe, qui permettraient aux consommateurs d'acheter et aux producteurs de vendre en toute sécurité", assure Nicolas Girod, qui déplore "l'image selon laquelle les grandes surfaces seraient le seul modèle sanitaire viable, renvoyée par cette décision unilatérale ahurissante".

Un marché fermé le 26 mars 2020, à Paris, en raison de l'épidémie de Covid-19. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

"Les collectivités locales doivent organiser les choses", estime Guillaume Riou, qui appelle les maires à ouvrir leurs halles, leurs salles des fêtes pour les transformer en points de vente répondant aux normes sanitaires. "Les ressources alimentaires sont présentes dans nos fermes. On n'a pas de pénurie de main-d'œuvre, ni pour produire, ni pour transformer, ni pour commercialiser. Il ne faudrait pas aller jusqu'à devoir détruire les productions", prévient Nicolas Girod, qui ajoute : "Si les fermes qui vendent sur les marchés perdent ce débouché, il va falloir les indemniser."

Les fraises et les asperges d'Espagne, elles, sont déjà là. Les personnes ne passent pas la frontière, mais les produits, eux, peuvent toujours rentrer.

Aurélien Clavel, vice-président des Jeunes agriculteurs

à franceinfo

Faute de marchés, les producteurs espèrent pouvoir compter sur l'aide des grandes surfaces pour qu'elles leur achètent leurs fruits et légumes. Dans la principale région horticole de France, les Pays-de-la-Loire, la présidente de région, Christelle Morançais, a demandé dans une lettre ouverte au ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, l'aide de l'Etat "pour inciter les distributeurs à honorer leurs engagements". "A ce jour, explique-t-elle, les principaux acteurs de la grande distribution (à l'exception pour l'heure de Système U) annulent ou dégradent leurs commandes."

Bruno Le Maire a donc appelé les enseignes de la grande distribution à s’approvisionner auprès des agriculteurs français, et d'après Les Echos, Carrefour, Leclerc, Intermarché et consorts ont pris des engagements pour se fournir auprès de paysans locaux dont ils n'achètent pas les productions en temps normal, leur préférant parfois les produits importés. "Des négociations sont en cours avec la grande distribution, confirme Aurélien Clavel. Nous demandons que les grandes et moyennes surfaces fassent un effort plus important pour mettre en rayons les produits français." "Certains franchisés des grandes enseignes travaillent déjà en direct avec des producteurs locaux, souligne Guillaume Riou, mais ce n'est pas la majorité et avec les centrales d'achats, c'est plus compliqué."

Même s'il a dû s'adapter à la disparition d'une part de sa clientèle (les restaurants et les cantines notamment), le marché de Rungis continue de fonctionner. L'alimentation des Français confinés constituant un sujet stratégique, le président du marché, Stéphane Layani, participe deux fois par jour à une réunion avec les industriels de l'agroalimentaire, les patrons de la distribution, des représentants du ministère de l'Economie, et de celui de l'Agriculture et de l'Alimentation. "On essaie de désamorcer tous les problèmes", logistique, acheminement, déstockage, "et il y en a beaucoup", confie-t-il à l'AFPDes patrons de la distribution d'ordinaire peu présents à Rungis, comme celui d'Intermarché, "se sont manifestés" pour racheter des stocks invendus. Les étals des supermarchés ne devraient donc pas manquer de fruits et légumes frais français.

Amap, drive, distributeur automatique...

"Il faut réorganiser la distribution alimentaire. Il y a un tas de choses à réinventer", plaide Guillaume Riou. Cette crise sanitaire est l'occasion ou jamais de le faire, selon lui. "Il faut que les denrées alimentaires puissent arriver en ville au pied des immeubles, avec des systèmes de points de collecte par exemple. Il faut que les clients des villes puissent venir s'approvisionner directement dans les fermes en périphérie", énumère-t-il. 

Dans ce contexte de crise, de nombreuses initiatives locales pré-existantes montrent leur efficacité. Les Amap s'organisent pour rester ouvertes, raconte Le Monde. Dans la Vienne, le distributeur automatique de fruits et légumes installé par un maraîcher tourne à plein régime, rapporte France Bleu. Dans l'Hérault, des producteurs s'en sortent grâce au drive qu'ils ont créé, relate Midi Libre. Il y a aussi les commandes en ligne, les livraisons à domicile...

"Cette crise pose la question de la coopération entre les villes et les campagnes, analyse Guillaume Riou. La métropolisation trouve ses limites dans son lien à la ruralité, territoire de production alimentaire."

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