Covid-19 : ce qui n'a pas bien fonctionné dans la gestion de l'épidémie depuis le déconfinement
Gouvernance de crise pas encore au point, échec de la stratégie "tester, tracer, isoler", décisions tardives... Autant de couacs qui nécessitent les nouvelles mesures annoncées mercredi soir.
"Au moins 400 000 morts supplémentaires si rien n'est fait." Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé, mercredi 28 octobre à 20 heures, de nouvelles restrictions visant à juguler l'épidémie de Covid-19. Notamment un reconfinement de la France métropolitaine. Car les chiffres s'emballent. La France a ainsi recensé 288 décès attribués au Covid-19 ces dernières 24 heures dans les hôpitaux, ont annoncé, mardi, les autorités sanitaires. Le même jour, le nombre de patients en réanimation s'élevait à 2 900, pour un total de 5 800 lits de réa disponibles dans toute la France. Comment en est-on arrivé là, depuis la sortie du confinement en mai dernier ? Eléments de réponse.
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Une gouvernance de crise pas encore "optimale"
Qui pilote le navire ? Dans un avis publié le 27 juillet, alors que l'épidémie repart à la hausse à la faveur des vacances et de l'euphorie estivale, le conseil scientifique dédié au Covid-19 s'émeut d'une répartition des rôles jugée peu claire. Il estime que "les autorités sanitaires doivent améliorer les dispositifs en place" sur plusieurs points dont "la gouvernance − tant au niveau central qu’au niveau des territoires".
"Qui décide et prend la direction opérationnelle en cas de scénario défavorable ou difficile ?"
Le comité scientifique Covid-19dans un avis publié le 27 juillet
La suite lui donne raison. A l'automne, le gouvernement semble parfois naviguer à vue. Venue de Paris, la décision abrupte de fermer les bars à Marseille, fin septembre, suscite ainsi une levée de boucliers des élus locaux. "On s’aperçoit que notre système n’est pas optimal sur la gestion de crise, commente diplomatiquement le directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes, Laurent Chambaud. On assiste à des tiraillements entre le ministère de la Santé et les autres ministères, ou entre les autorités régionales de santé et les préfets. il y a probablement des progrès à faire sur ce sujet".
La stratégie "tester, tracer, isoler" "largement en échec"
Dès septembre, les files de personnes désirant se faire dépister s'allongent devant les laboratoires des métropoles. La France semble incapable de mettre en œuvre la devise mise en avant par l'Organisation mondiale de la santé : "tester, tracer, isoler". Même Emmanuel Macron l'a reconnu dans son allocution, mercredi. Cent mille appels sont passés chaque jour pour identifier les contacts et briser les chaînes de contamination, a expliqué le président. "Mais si ce système peut être avec quelques milliers de cas par jour", il "n'est plus efficace" dès lors que "nous avons aujourd'hui entre 40 000 et 50 000 contaminations quotidiennes dépistées".
Rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de l’épidémie du Covid-19, le sénateur écologiste (et médecin) Bernard Jomier a dressé un constat sévère de cet échec, le 11 octobre sur franceinfo.
"Notre grand problème en France, c'est que (...) la stratégie "tester, tracer, isoler", est largement en échec parce que on a mal testé, parce qu'on trace mal et qu' on isole peu au fond."
Bernard Jomier (sénateur écologiste)sur franceinfo
Trop de tests sont effectués, avec des résultats trop tardifs, et des chaînes de contamination qui ne sont pas brisées à temps. "Regardez le taux de contamination dans les habitats collectifs, dans les foyers. Il est dramatique et montre bien un échec. Vous avez des foyers où vous avez 60, 80% de personnes qui ont été contaminées", explique encore Bernard Jomier.
"Il aurait été plus utile de distinguer les tests de diagnostics et les tests à visée de dépistage", analyse de son côté Laurent Chambaud. "Les tests gratuits à grande échelle ont engorgé le système, et le gouvernement a été obligé de revenir dessus pour établir des priorisations".
Au fil des semaines, avec l'essor de l'épidémie, l'identification de tous les cas contacts devient un travail de titan. "La solution est d’automatiser ce travail. C’est le but de l’application TousAntiCovid, estime l'épidémiologiste et biostatisticien à l’Ecole des hautes études en santé publique, Pascal Crépey, à The Conversation.. "Malheureusement", déplore-t-il. "Aujourd’hui cette application n’a été téléchargée que par 4 millions de personnes sur 50 millions de Français équipés d’un téléphone portable…"
Des décisions trop tardives ?
Les décisions du gouvernement ont-elles été trop tardives ? Interrogée, la directrice adjointe de l'Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, Dominique Costagliola a répondu par mail que les "rapports hebdomadaires de Santé publique France" étaient des signaux "suffisants" pour alerter. Et qu'il aurait fallu pousser davantage au "télétravail", ou mettre au point des "protocoles plus 'sécures'" dans les établissements scolaires.
Laurent Chambaud, lui, reste prudent. Il souligne les effets négatifs des mesures de confinement ou de couvre-feu, en particulier sur les populations les plus vulnérables en termes de logement, d'emploi, de précarité et de santé. Mais il s'interroge sur les nouvelles restrictions devant être annoncées. "Il fallait au moins 15 jours ou trois semaines pour voir les effets du couvre-feu décrétés le 19 octobre. Et là, sans attendre, on prend de nouvelles décisions, sans attendre. Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu reconfiner d’emblée ? De toutes façon, avec le nombre de personnes en réanimation, il n'y a plus le choix."
Un mode de décision qui ne s'appuie pas assez sur la population
Dernière critique feutrée de Laurent Chambaud, un fonctionnement trop vertical de l'information. "On assène beaucoup d’infos et de mesures coercitives, mais on met très peu d’énergie pour qu’il y ait une diffusion autrement que par des canaux verticaux. Il faudrait davantage impliquer les gens pour développer l'acceptabilité des décisions. Trouver des relais, des ambassadeurs pour diffuser l'information sur l'épidémie : des jeunes pour parler aux jeunes, des ruraux pour parler à la population rurale, des migrants pour parler aux migrants, etc."
"C'est important d'interagir avec des groupes pour connaître leurs réactions, comprendre pourquoi ils peuvent nier le problème ou se renseigner sur des réseaux sociaux ou des forums peu fiables."
Laurent Chambaud (École des hautes études en santé publique)à franceinfo
"Sinon, conclut-il, on risque de rencontrer des fortes contestations à cause de mesures qui ne sont pas comprises."
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