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Covid-19 : pourquoi la France vaccine-t-elle si lentement ?

Le gouvernement s'est fixé, d'ici à la fin février, l'objectif d'un million de vaccinés parmi les plus âgés et les plus vulnérables. 

Article rédigé par franceinfo
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Un homme reçoit le vaccin Pfizer/BioNTech contre le Covid-19, dans un hôpital de Patras (Grèce), le 29 décembre 2020.  (MENELAOS MICHALATOS / SOOC / AFP)

La France craint-elle de confondre vitesse et précipitation ? La campagne de vaccination contre le Covid-19 a débuté dimanche 27 décembre dans l'Hexagone. Dans des Ehpad, mardi 29 décembre, plusieurs dizaines de résidents avaient déjà reçu leur première dose du vaccin développé par Pfizer/BioNTech, avant une accélération de la première phase de vaccination au début du mois de janvier

Mais déjà, des voix s'élèvent pour demander d'aller plus vite. Comme ses voisins européens, la France se démarque par sa stratégie de vaccination au compte-gouttes, qui tranche avec les campagnes généralisées mises en place dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni (où plus de 600 000 personnes avaient déjà reçu une première dose de vaccin au 24 décembre), Israël (379 000 personnes vaccinées à la date de lundi) ou encore les Etats-Unis (2 127 143 premières doses à cette même date). Franceinfo revient sur le contexte de cette campagne de vaccination en France.

Un défi logistique à relever

Dans tous les pays, cette campagne de vaccination inédite constitue un défi d'organisation. Car le vaccin Pfizer/BioNTech, le premier homologué dans l'Union européenne, présente des "caractéristiques très particulières" : "une conservation jusqu'à six mois à -80 °C, une stabilité de cinq jours à 5 °C incluant une durée de 12 heures dans les transports et une stabilité de six heures après dilution", résume Santé publique France (SPF). Autant de paramètres qui "constituent un défi logistique majeur pour acheminer les doses au plus près des personnes qui ont choisi d'être vaccinées", fait valoir Christine Debeuret, pharmacienne responsable chez SPF. 

Preuve qu'il convient de ne pas se précipiter, certains de nos voisins ont eu du fil à retordre avec ce vaccin particulièrement contraignant : en Allemagne, 1 000 doses ont été perdues dimanche après qu'un problème survenu pendant le transport a compromis leur efficacité et décalé le calendrier de vaccination dans plusieurs villes. Lundi, le ministère de la Santé espagnol a quant à lui fait savoir que la livraison dans huit pays européens subirait un léger retard, en raison d'un problème logistique à l'usine Pfizer, en Belgique.  

Critiqué également pour la lenteur du lancement de sa campagne, le Canada s'attend à pouvoir accélérer la marche avec l'arrivée du vaccin Moderna, plus facile à stocker, rapporte la chaîne canadienne CTV (en anglais). Les autorités sanitaires européennes doivent rendre leur décision à son sujet au début du mois de janvier.  

Des doses à se partager 

L'Union européenne a commandé 300 millions de doses à répartir équitablement entre les 27. Ainsi, les campagnes de vaccination de tous les pays de l'UE sont pour l'instant dépendantes de la production et des capacités de livraison de Pfizer/BioNTech. "Il va y avoir des difficultés d'approvisionnement. On peut s'attendre à ce que les plans de vaccination des différents pays prennent du retard", a prévenu sur LCI l'économiste de la santé Nathalie Coutinet. 

Outre-Quiévrain, la RTBF fait aussi état d'un démarrage en douceur, expliquant que "9 750 vaccins de Pfizer sont arrivés samedi, pas plus", selon Jean-Michel Dogné, expert auprès de l'Agence européenne du médicament. En Allemagne aussi, on invite la population à la patience : le programme de vaccination ne va pas "affecter le cours de l'épidémie pour l'instant", a souligné l'infectiologue Helmut Fickenscher, interrogé le 26 décembre par l'agence de presse DPA. "Tout simplement parce qu'il y a beaucoup trop de personnes à vacciner et que nous ne disposerons pas d'assez de doses avant un bon moment." Dès lors, inutile de se précipiter.  

Un choix stratégique à assumer

Le gouvernement s'est fixé, d'ici à la fin février, l'objectif d'un million de vaccinés parmi les plus âgés et les plus vulnérables dans le cadre de la première phase de sa campagne vaccinale. Un choix qui diffère d'un pays à l'autre (Israël, l'un des pays qui vaccinent le plus, s'est donné pour objectif de vacciner 6 000 militaires d'ici la fin de la semaine, tandis que les Américains comptent les travailleurs essentiels et les personnes âgées parmi les populations prioritaires). Interrogé sur les pays plus rapides à mettre en œuvre leur plan de vaccination, le professeur Alain Fischer, le "monsieur vaccin" du gouvernement, a rappelé sur Europe 1 que ces derniers avaient "donné la priorité à la vaccination des professionnels de santé, ce qui explique la différence dans les chiffres". Il "n'y a ni mauvais, ni bon choix", a-t-il fait valoir, concédant que ces différences devraient engendrer "des petites adaptations qui apparaîtront dérisoires dans deux ou trois mois"

Alors que les campagnes de vaccination doivent monter en puissance dans le courant du mois de janvier, les pays les plus vaccinés du globe sont logiquement ceux qui ont démarré les premiers. En Angleterre, la campagne a commencé le 16 décembre dans sept maisons de retraite (lien en anglais), avant de se poursuivre les jours suivants dans de nouveaux établissements. 

Pour l'heure, en France, les Agences régionales de santé recueillent l'estimation du nombre de personnes à vacciner dans chaque département, afin de procéder à la répartition des doses, écrit Santé publique France, qui prévoit de permettre la vaccination d'un million de personnes réparties dans 10 000 établissements. 

Un effort de pédagogie qui prend du temps

Pour justifier la lenteur du déploiement, Alain Fischer a mis en avant la sécurité, lundi sur Europe 1"C'est bien que l'on n'aille pas plus vite", a-t-il estimé, appelant à "ne pas se précipiter". Ainsi, le rythme de la stratégie vaccinale française "donne le temps de faire les choses bien en termes de sécurité, d'efficacité, d'organisation et d'éthique avec le consentement"

Mais plusieurs spécialistes défendent un vaccin déjà sûr. C'est le cas de Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l'hôpital Bichat, à Paris. Sur Twitter, il a déclaré lundi matin que "les données scientifiques sont claires, ce vaccin est sûr et efficace". "Comme beaucoup de mes collègues, je pense qu'il faut aller beaucoup plus vite sur la vaccination afin de pouvoir contrôler l'épidémie rapidement. Au train où cela va, nous serons encore confinés en 2022…" a-t-il déploré dans un tweet. 

La France en fait-elle trop dans la prudence ? Elle est en tout cas le seul pays à demander un consentement par écrit avant l'injection et une consultation préalable "afin d'informer chaque patient sur le vaccin ou d'identifier des contre-indications comme d'éventuelles allergies", relèvent des soignants et spécialistes de la santé publique sur le site The Conversation.

Cette particularité vise à répondre à la méfiance d'une partie des Français, a priori inquiets d'être poussés à la vaccination. Avec 54% de personnes qui disent avoir l'intention de se faire vacciner, selon un sondage Ipsos (en anglais) réalisé en octobrela France figure en dernière position des 15 pays étudiés, loin derrière l'Inde, la Chine, la Corée du Sud et le Brésil, qui dépassent les 80%.

Mais cette démarche de recueil de consentement par écrit prend aussi plus de temps : citée par l'AFP, la docteure Bénédicte Simovic, du pôle de gérontologie du CHU de Lille, a évoqué, "à chaque fois, plus d'une demi-heure" d'échanges avec la personne à vacciner et ses proches ou tuteurs. "L'essentiel est de faire beaucoup de pédagogie, a-t-elle relevé, de jouer la transparence", au risque de rendre le processus plus lent. "On a fait le choix d'une progressivité car on est face à une population très sceptique. On préfère accumuler les preuves avant d'ouvrir massivement la vaccination aux Français", selon l'entourage d'Olivier Véran, cité lundi par Le Parisien

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