Covid-19 : un an après, malgré un retour "à peu près à la normale", les habitants de Wuhan restent marqués par l'épidémie
En janvier 2020, l'épicentre de l'épidémie de Covid-19 se coupait du reste du monde. Un an plus tard, il n'y a plus de couvre-feu ou de confinement à Wuhan. Mais les habitants sont loin d'avoir tourné la page, comme plusieurs l'ont expliqué à franceinfo.
Une année qui ressemble à une éternité. Le 23 janvier 2020, une métropole de 11 millions d'habitants basculait la première dans une ère d'incertitude. Wuhan, huitième ville de Chine, voyait alors ses axes routiers, aéroports et gares se fermer et retenait son souffle. Placée sous cloche, la capitale de la province du Hubei attirait tous les regards et inquiétait, tout comme le mystérieux virus à l'origine de cette mesure qui apparaissait comme radicale.
Près d'un an plus tard, ces mots et images sont familiers ailleurs dans le monde. Mais alors que l'Europe durcit une nouvelle fois ses mesures pour faire face à une potentielle troisième vague de l'épidémie de Covid-19, la situation à Wuhan surprend : nul couvre-feu ou confinement n'entrave la ville depuis plusieurs mois déjà. Franceinfo a retrouvé des habitants de la métropole, qui confiaient un an plus tôt leurs préoccupations, pour savoir ce qu'ils sont devenus. Ils reviennent pour nous sur cette année hors norme.
"Tout s'est amélioré depuis avril"
Longtemps désertées, les avenues et rues de la tentaculaire métropole sont à nouveau le théâtre du ballet des travailleurs et étudiants. Depuis le printemps dernier, James*, étudiant gambien, a pu quitter la chambre exiguë dans laquelle il était confiné. "En avril, nous avons eu la possibilité de revenir à l'université pour poursuivre nos études", raconte-t-il à franceinfo. Lui qui avait regagné la capitale du Hubei de justesse il y a près d'un an ne l'a plus quittée. La levée du confinement début avril a marqué pour lui le début d'une renaissance dans cette ville très cosmopolite qui, avant la crise liée au coronavirus, attirait de nombreux étrangers. "Tout s'est amélioré depuis avril. Tout est revenu à peu près à la normale maintenant", se réjouit-il. "Des gens se rassemblent, font des fêtes ensemble sans porter de masque", s'exclame l'étudiant, "mais la grande majorité fait très attention et le porte". Il en fait partie.
Le jeune homme a même déménagé dans un appartement plus spacieux. "Le seul point négatif, c'est que je ne peux pas voyager. Je ne peux pas quitter le pays", explique-t-il. "Beaucoup d'élèves étrangers sont partis de Chine et ne peuvent pas revenir même s'ils le souhaitent. J'aurais bien aimé aller voir ma famille, mais je ne peux pas."
Irfan, ingénieur malaisien installé en Chine, est lui aussi passé entre les mailles du filet. Alors qu'il avait rejoint sa famille en Malaisie juste avant le confinement, à l'occasion des fêtes du Nouvel An chinois, il a pu rejoindre la capitale du Hubei après plusieurs tests PCR et une quarantaine stricte.
"Nous avons souvent été isolés et discriminés"
Ni lui ni James n'ont attrapé la "pneumonie de Wuhan". Mais l'étudiant gambien reste marqué par les premiers mois de l'épidémie : "En février, j'ai commencé à avoir de sérieuses insomnies. J'étais très stressé et je n'arrivais plus à dormir, donc j'ai dû aller à l'hôpital", raconte-t-il. "C'était compliqué car j'étais un patient noir. Quand ils m'ont vu, ils se sont dit que j'étais un étranger et ont paniqué. Ils pensaient que j'étais probablement contaminé par le Covid-19, même si je ne venais pas consulter pour cela." Cette méfiance vis-à-vis des étrangers s'est diffusée par la suite, a-t-il observé. Les Wuhanais, d'habitude ouverts et bienveillants, se sont repliés sur eux-mêmes, estime-t-il.
Cette peur de l'autre, Xiao* l'a vécue, mais ailleurs en Chine, lui qui voyage à travers le pays pour son travail. Il a pu observer une différence : "Maintenant que l'épidémie est stable, il y a bien plus de personnes qui acceptent de me parler et qui sont curieuses de savoir ce qui s'est passé à Wuhan. Mais cette année a été compliquée. Nous avons souvent été isolés et discriminés. Parfois, les autorités ne reconnaissaient pas les tests réalisés à Wuhan, me demandaient de réaliser un autre test".
Zhangyi* s'attarde pour sa part sur les conséquences économiques de l'épidémie : "20% des magasins ont fermé leurs portes et si la vie des habitants a largement repris, le prix des denrées alimentaires a doublé." "A Wuhan, l'environnement est pesant", confirme Ming*. L'homme, qui avait quitté Wuhan en urgence juste avant la mise en quarantaine de la métropole, n'a pas retrouvé sa "vie d'avant". Il a pris la décision de rester à Guangzhou, à plus de 900 km de là, pour encore un temps. Ses amis lui ont fait part d'une "situation déprimante". La population est mal informée. L'économie n'est ni morte ni vivante. Beaucoup de familles ont perdu des êtres chers, les gens ont perdu leur emploi ou alors leur travail a changé."
Une fausse insouciance
Si la ville n'enregistre plus de cas de Covid-19 depuis plusieurs mois et que les autorités sanitaires se félicitent d'avoir évité une seconde vague épidémique, la crainte d'une recrudescence des cas se fait encore sentir. "Le danger est toujours là. Tout le monde a peur de baisser la garde", confie Xiao. "Je suis entouré d'amis qui ont perdu des membres de leur famille au début de l'épidémie. Les craintes sont restées dans tous les esprits, d'autant plus que l'épidémie continue de proliférer."
Ces peurs sont exacerbées par les récents événements : le funeste anniversaire du premier mort du Covid-19 enregistré en Chine le 11 janvier 2020, l'arrivée d'experts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour enquêter sur l'origine de la pandémie et la résurgence de nouveaux cas dans le pays. "Ces derniers jours, les gens de Wuhan sont de nouveau sur les nerfs en raison de l'épidémie qui s'est déclarée à Shijiazhuang, dans la province du Hebei", confirme Zhangyi.
"Diverses inspections sont en cours, mais la situation reste floue", observe Ming depuis Guangzhou. Sa défiance envers les autorités sanitaires n'a cessé de croître. L'arrestation et la condamnation de plusieurs lanceurs d'alerte le tourmentent. Ming s'inquiète pour l'avenir : "L'OMS n'obtiendra aucune vérité en allant en Chine. Même si les experts rencontrent le personnel médical, que vont-ils apprendre ? Que pourra-t-il leur dire ? Vous souvenez-vous de Li Wenliang ?" Ce médecin, arrêté après avoir tenté de prévenir le monde sur la propagation du coronavirus, et décédé du Covid-19, reste pour Ming le symbole d'une colère sourde qui hante Wuhan.
* Les prénoms de ces personnes ont été modifiés pour garantir leur anonymat.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.