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"Je me sens piégé" : confinés dans l'épicentre de l'épidémie, les habitants de Wuhan inquiets face au coronavirus

Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, est en quarantaine depuis jeudi. Franceinfo a recueilli des témoignages d'habitants bloqués dans la ville ou qui ont réussi à en partir.

Article rédigé par franceinfo, Charlotte Causit
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Deux personnes portent des masques face à l'un des centres de traitement du virus à Wuhan, dans la province du Hubei (Chine), le 24 janvier 2020. (HECTOR RETAMAL / AFP)

Une ville entière mise sous cloche. Depuis jeudi 23 janvier à 10 heures (heure locale), plus aucun train ni avion ne peut entrer ou quitter Wuhan, métropole de 11 millions d'habitants. La huitième ville de Chine a été placée par les autorités locales en quarantaine afin "d'enrayer efficacement la propagation du virus" responsable de pneumonies sévères. Une mesure radicale étendue dans les 24 heures à une dizaine de villes avoisinantes. Lundi, le président Xi Jinping avait appelé à enrayer "résolument" l'épidémie de coronavirus qui sévit depuis fin décembre 2019.

Le virus mis en cause, inconnu des scientifiques, serait apparu sur un marché de Wuhan et aurait ensuite proliféré dans la ville, mais aussi dans d'autres régions chinoises et d'autres pays. Le bilan au 24 janvier est de 830 cas et 26 morts. L'inquiétude monte et Wuhan, épicentre de l'épidémie, s'est muée en ville morte.

Une prise de conscience tardive 

Sur place, la psychose générale contraste avec la quiétude des précédentes semaines. Début janvier, Sophie était à Wuhan pour un voyage d'affaires. "On en parlait un peu car il n'y avait que 44 cas dans une ville de 11 millions de personnes, se souvient-elle. On ne s'est pas inquiétés plus que ça." Wuhan, qui héberge notamment des sites de PSA Peugeot-Citroën, Total et Alcatel, est une ville très cosmopolite et particulièrement "française". A l'approche des célébrations du Nouvel An chinois, de nombreuses personnes ont quitté la métropole dès la semaine dernière, sans s'inquiéter du mystérieux virus.


"Il y a une semaine, seules quelques personnes portaient des masques. Mon entreprise nous avait pourtant prévenus des risques médicaux", 
reconnaît Irfan, ingénieur malaisien installé en Chine. Comme lui, James*, un étudiant gambien, a tardé à prendre au sérieux les alertes sanitaires : "Je suis rentré il y a deux jours de Pékin. C'est à ce moment-là que j'ai compris que la situation était devenue sérieuse."

L'inquiétude est montée après que Zhong Nanshan, un scientifique chinois renommé, a déclaré lundi que la transmission par contagion entre personnes était "avérée". "C'est à ce moment-là qu'on a pris conscience de l'ampleur de l'épidémie, car on a déjà connu un virus similaire, il y a quelques années", explique John*. Le jeune Chinois était encore enfant lorsque le Sras (similaire au nouveau virus 2019-nCoV) a touché la Chine en 2002-2003 et tué 774 personnes dans le monde.

"L'impression d'être des parias" 

James, l'étudiant gambien revenu de Pékin, se rend dès son retour à Wuhan en pharmacie pour acheter des masques et rentre s'isoler dans sa chambre étudiante. John décide, lui, de restreindre ses déplacements au maximum. Des mesures de précaution insuffisantes pour Ming*, père de famille. Mercredi, la veille au soir de la mise en quarantaine de Wuhan, l'homme a réservé des billets d'avion pour la ville de Guangzhou, située à plus de 900 km de là. "J'ai eu de la chance de pouvoir partir, mais je suis inquiet pour les millions de personnes qui sont encore sur place", confie-t-il.

Je n'ai pas cherché à m'enfuir, mais à protéger ma famille. Quatre de mes proches ont été contaminés !

Ming, habitant de Wuhan

à franceinfo

L'annonce de la mise en quarantaine de la ville a été un choc pour Ming, comme pour les millions de personnes restées à Wuhan. "Je me sens piégé", confie Zhangyi*, 55 ans. L'homme tente de s'informer de ce qui se passe dans sa ville, désormais coupée du monde. Sur les réseaux sociaux chinois Wechat et Weibo, il visionne avec son fils, étudiant, les vidéos de péages routiers bloqués sous un ciel maussade, d'aéroports et de gares vidés. "Il n'y a personne dans la rue. Les transports publics ont été arrêtés et les taxis ont multiplié par dix le prix de leurs courses !" raconte-t-il. 

"Les Wuhanais ont l'impression d'être des parias", rapporte Arnauld Miguet, journaliste au bureau de France 2 à Pékin, qui est lui aussi cloîtré à Wuhan. Les autorités invitent les habitants à rester chez eux et à ne sortir qu'équipés de masques. "Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Je pense qu'il y a beaucoup plus de personnes infectées que ce que le gouvernement laisse entendre", s'inquiète Ming. Selon des scientifiques, des milliers de personnes pourraient être contaminées sans le savoir. Les autorités chinoises comptabilisent, elles, plus d'un millier de cas suspects.

"Je ne sais pas si j'aurai assez de masques"

Les rues de Wuhan, habituellement animées à l'approche du Nouvel An chinois, se sont vidées. De nombreux restaurants et boutiques ont fermé mais les supermarchés sont encore ouverts. Zhangyi s'y est rendu jeudi pour acheter des provisions. Des photographies et vidéos d'étals entièrement vides circulent depuis sur les réseaux sociaux, alimentant la peur des habitants. "Seuls les étals de légumes étaient vides", observe le père de famille. Certains supermarchés disposeraient toutefois de rayons plus garnis.

La grande ville bouclée pourrait également manquer de masques. "J'ai des masques, mais ils sont jetables. Selon les autorités, il faudrait les jeter après quatre heures d'utilisation, mais je ne sais pas si j'en aurai assez", s'alarme Zhangyi. Plusieurs pharmacies sont en rupture de stock, rapporte-t-il, et il craint de ne pouvoir les acheter sur internet, comme il en a l'habitude. Il espère donc une éventuelle distribution organisée par les autorités. En attendant, l'homme a décidé d'"annuler le dîner du Nouvel An". Les rassemblements et les festivités qui devaient avoir lieu vendredi 24 janvier ont par ailleurs été annulées par les autorités chinoises.

Ce sera probablement le pire Nouvel An de ma vie. Notre angoisse est plus grande que notre joie.

Zhangyi, 55 ans, habitant de Wuhan (Chine)

à franceinfo

Ming, quant à lui, tempête contre le gouvernement depuis son repli à Guangzhou. "Je perds espoir dans le gouvernement ! Ils auraient dû bloquer la ville avant que l'épidémie ne soit hors de contrôle. Ce n'est pas une catastrophe naturelle, mais un désastre humain !" Lui comme Zhangyi s'inquiètent de la prolifération du virus en raison des importants déplacements de population qu'a connus la Chine ces derniers jours. "J'ai des amis qui ont de la fièvre. Ils sont allés à l'hôpital mais tous les hôpitaux n'ont pas la capacité de diagnostiquer ce nouveau virus ; et dans ceux qui sont compétents, vous devez attendre au moins six heures pour être pris en charge !" s'indigne Zhangyi.

D'autres, comme John, gardent leur calme : "Je pense que l'épidémie est sous contrôle." Il considère que "cette fois-ci, le gouvernement a rapidement réagi" et mis en place des "mesures efficaces". S'il reconnaît que les masques risquent de manquer, le jeune homme se rassure : "Nous avons un sac plein pour trois, on peut tenir plusieurs semaines." Le quotidien risque d'être tout aussi angoissant pour ceux qui ont réussi à quitter Wuhan à temps. Ming se dit ainsi "terriblement inquiet" pour ses compatriotes. Quant à Irfan, il envisage de prolonger son séjour en Malaisie mais confie : "J'ai peut-être emporté le virus avec moi. Je suis terrifié à l'idée que les premiers symptômes apparaissent."

* Les prénoms de ces personnes ont été modifiés pour garantir leur anonymat.

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