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Déconfinement : pourquoi le port du masque n'est-il pas obligatoire dans tous les espaces publics ?

Malgré les recommandations de l'Académie de médecine, l'obligation de porter un masque antiprojections ne fait pas partie des mesures imposées par le gouvernement contre l'épidémie de Covid-19. De nombreux maires aimeraient pourtant l'appliquer.

Article rédigé par franceinfo
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Des passants portant un masque au marché avenue de Saxe à Paris, le 14 mai 2020 (LUDOVIC MARIN / AFP)

Bientôt tous masqués ? Le port du masque antiprojections a été rendu obligatoire dès la première semaine du déconfinement dans les transports publics ainsi que dans les lieux où "les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties", détaille un décret publié le 11 mai, comme dans de nombreux magasins et commerces. Pourtant, certaines voix se sont élevées pour réclamer l'extension de cette obligation à tout l'espace public.

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Cette option n'a pas été retenue par le gouvernement. "Ce n'est pas le choix que nous avons fait. (...) Lorsque vous vous promenez seuls dans la rue ou la campagne, le masque n'a pas d'intérêt immédiat", a expliqué Edouard Philippe le 7 mai, lors de la présentation du plan de déconfinement. De quoi susciter de nombreuses interrogations au sein de la communauté scientifique mais aussi chez de nombreux élus locaux, qui tâchent d'adapter cette nouvelle directive sanitaire à leur territoire. 

Une mesure pourtant plébiscitée par de nombreux scientifiques

A lire le communiqué de l'Académie de médecine, daté du 22 avril et intitulé "Aux masques citoyens !", le port du masque semble une évidence. "En l'absence de vaccin et de médicament efficace contre le Sars-CoV-2, le seul moyen de lutte consiste à empêcher la transmission du virus de personne à personne", explique l'institution. L'Académie regrettait par ailleurs que le gouvernement n'impose pas cette mesure dès le 22 avril. Elle y voit une sorte de "répit" accordé au virus, qui peut continuer de se répandre et provoquer "plusieurs milliers de nouvelles infections, donc plusieurs centaines d'hospitalisations et plusieurs dizaines de morts supplémentaires".

Dès l'annonce du déconfinement, fin avril, de nombreux experts ont aussi réclamé que le port du masque soit rendu obligatoire dans l'espace public. "On n'a pas été très bien entendu", regrettait, lundi 11 mai sur CNews, Yves Buisson, directeur du groupe Covid-19 de l'Académie nationale de médecine. Il a été montré clairement que si tout le monde se couvre le nez et la bouche avec un masque, (...) on réduit la transmission de façon considérable. Il faut toujours le faire et pour le déconfinement, ce sera plus que nécessaire." Une position défendue de longue date par Philippe Juvin, le chef du service des urgences à l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, qui estimait sur franceinfo dès le dimanche 19 avril, que tous "les Français doivent porter un masque au moment du déconfinement mais aussi dès maintenant".

Un masque vaut mieux que rien du tout, même fabriqué à la maison. Il vaut mieux se couvrir la bouche et le nez.

Philippe Juvin

à franceinfo

Dans la revue américaine Science, le directeur du Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies George Gao, regrettait que les pays occidentaux rechignent autant à masquer leur population : "La grande erreur aux Etats-Unis et en Europe : les gens ne portent pas de masque. (...) Vous devez porter un masque, car lorsque vous parlez il y a toujours des gouttelettes qui sortent de votre bouche." Le scientifique rappelle également que de nombreuses personnes contaminées sont asymptomatiques et ignorent souvent qu'elles sont elles-mêmes atteintes.

L'OMS et le gouvernement plus prudents

Mais le gouvernement a préféré opter pour une obligation restreinte aux transports en commun. "A ce jour, les meilleurs outils de protection dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 restent les mesures barrières et le port du masque grand public, lorsque la distance physique minimale d'un mètre ne peut être respectée", maintient la Direction générale de la santé (DGS) contactée par franceinfo.

Le gouvernement s'appuie sur la position de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus réservée quant à l'obligation du masque. Dans une recommandation du 6 avril 2020, l'OMS s'inquiète des effets contre-productifs que pourrait avoir son obligation généralisée, pointant du doigt le "faux sentiment de sécurité" que peut engendrer le port du masque. Qui peut mener à une "négligence" des autres mesures essentielles pour lutter contre le virus – hygiène corporelle et distanciation physique.

Autre problème important : en France, le port du masque est encore une nouveauté à laquelle la population va devoir s'habituer. Or, l'OMS estime que cette mesure de protection peut créer une gêne chez les nouveaux porteurs, les conduisant à toucher leur masque, leur visage et leurs voies respiratoires, ce qui peut les conduire à y amener le virus. L'effet protecteur du masque n'est, en effet, valable que s'il est correctement porté.

A Bordeaux, "une obligation générale n'est pas la meilleure solution"

Ces controverses sur le port du masque ont de quoi dérouter, notamment à l'échelon local. Interrogé par franceinfo, le maire de Nice, Christian Estrosi, prend très au sérieux les recommandations de la communauté scientifique sur l'utilité du port du masque : "Je cite l'Académie de médecine : 'Pour être efficace, le port du masque antiprojections doit être généralisé dans l'espace public.' (...) Il faut réussir le déconfinement et cela passe par le respect des gestes barrières, par la distanciation physique et par le port du masque." Dans sa commune, l'édile a pris un arrêté reprenant les termes du gouvernement : le masque est obligatoire "dès lors que la distanciation physique ne peut être garantie" et "ce à partir de l'âge de 11 ans", précise-t-il. 

A Bordeaux également, il a été décidé, en accord avec le préfet, de rendre le masque antiprojections obligatoire aux arrêts de trains et de bus, dans les services publics et, surtout, "sur deux axes très commerçants, la rue Sainte-Catherine et la rue de la Porte Dijeaux, où la distanciation sociale n'est pas possible", répond à franceinfo le premier adjoint au maire, Fabien Robert.

Mais alors, pourquoi s'en tenir là ? "En discutant avec la préfète, les autorités de l'Etat et la police nationale, on s'est rendu compte qu'une obligation générale n'était pas la meilleure solution", explique Fabien Robert. La Ville a donc préféré faire des recommandations précises à ses administrés. "Nous avons envoyé un message vocal enregistré à 160 000 habitants de la ville. On y explique que le masque est obligatoire dans certaines zones mais que nous les incitons à le porter dès qu'ils sortent de chez eux", rappelle-t-il.

Je pense que tout le monde a souffert pendant ces deux mois du confinement. Il faut qu'on fasse passer un message de prévention mais je ne suis pas sûr que la sanction et la répression soient une bonne solution.

Yann Cucherat, adjoint au maire de Lyon

à franceinfo

Une position partagée par l'équipe municipale de Lyon. Car pour pouvoir mettre en place une obligation généralisée de port du masque, encore faut-il pouvoir la faire appliquer. "Cette mesure n'aurait aucun sens si nous ne pouvions pas sanctionner les contrevenants, explique à franceinfo Yann Cucherat, adjoint au Tourisme en charge de l'organisation et de la logistique de la distribution des masques dans la ville rhodanienne. Dans les rues passantes et commerçantes, là où les gens se déplacent en nombre, on peut contrôler, faire de la prévention, voire de la répression." A l'échelle de toute l'agglomération lyonnaise, cette mesure paraît irréaliste. L'adjoint prévient cependant qu'en cas de renforcement de l'épidémie sur le territoire, "nous n'excluons pas d'étendre encore cette obligation".

"Une décision générale serait disproportionnée"

Cette obligation généralisée semble d'autant moins envisageable qu'elle pose des problèmes de légalité. En effet, en France, les mesures sanitaires sont du ressort de l'Etat. Les maires ne peuvent "qu'ajuster ces mesures", comme le rappelle Malik Salemkour, le président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH). "Ils peuvent compléter, dès lors que leurs décisions sont ciblées, proportionnées et ajustées. Une décision générale serait disproportionnée", explique celui qui confie avoir dû intervenir dans certaines collectivités locales. "Certains maires ont dû reculer car les préfets ont fait leur travail : dès que décisions outrepassaient ces principes, elles ont été abandonnées ou annulées", confie-t-il.

Et lorsque les obligations généralisées ont quand même été prises, le rétropédalage n'a pas tardé. A Nice, par exemple, la Ligue des droits de l'homme (LDH) a attaqué en justice une décision de Christian Estrosi visant à rendre le port du masque obligatoire à l'ensemble de sa commune.

Le maire de Nice a pris un arrêté qu'il a médiatisé et qui était illégal. Pour éviter l'annulation, il l'a abrogé et a repris un décret qui copie le décret du Premier ministre, et que la Ligue n'attaquera pas.

Me Spinosi, avocat de la LDH

à franceinfo

Le 17 avril déjà, la LDH avait obtenu une décision favorable du Conseil d'Etat concernant le même type d'arrêté pris par la ville de Sceaux (Hauts-de-Seine) sur le principe que les maires n'ont pas le pouvoir d'aggraver les mesures sanitaires prises par le gouvernement.

Ces municipalités attendent-elles que le gouvernement durcissent sa doctrine sur le port obligatoire du masque ? "Peut-être qu'il aurait été mieux, effectivement, de dire aux Français que le port du masque est obligatoire dès lors que la distanciation sociale est impossible", concède Yann Cucherat à Lyon. 

A Paris, la question se pose différemment puisque la ville n'a tout simplement pas l'autorité nécessaire pour décider d'une telle mesure. Pour le premier adjoint à la mairie, Emmanuel Grégoire, c'est au niveau national que doit se prendre ce type de décisions. "Le meilleur moyen de sécuriser juridiquement cette mesure, c'est de prendre une décision au niveau national. Nous soutenons une extension censée, pas généralisée, partout où le contexte l'oblige."

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