Reportage En Chine, cinq ans après l'apparition du Covid-19, des habitants de Wuhan conservent de la rancœur envers les autorités

Article rédigé par franceinfo
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Le marché au poisson de Wuhan, considéré comme l'épicentre de l'épidémie de Covid, est toujours fermé. (RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Franceinfo est allé à la rencontre des habitants de Wuhan cinq ans après l'apparition du Covid-19 et là où tout a commencé : le marché aux poissons, considéré comme l'un des foyers potentiels du virus.

Il y a cinq ans, le 11 janvier 2020, la Chine annonçait dans la ville de Wuhan le premier mort de ce qui était à l'époque encore un virus inconnu et mystérieux. Ce cinquième anniversaire de l'apparition du Covid-19 est passé sous silence en Chine. Il n'y a aucune commémoration mais les 13 millions d'habitants de Wuhan, eux, n'ont pas oublié ces moments terribles, avec la fermeture soudaine de la ville et les nombreuses victimes.

Le marché de Huanan et ses animaux sauvages vivants n'a jamais rouvert. Depuis cinq ans, les habitants du quartier ont pris l'habitude de passer au bord de la route devant de grandes palissades bleues qui empêchent les personnes de pénétrer à l'intérieur. Le marché est toujours à l'abandon, preuve que la vie d'avant peine à revenir à Huanan. "C'est dommage qu'un si grand marché soit abandonné, on est en plein centre-ville, déplore une habitante. Il pourrait être ouvert d'une manière différente comme par exemple un centre d'affaires." 

"La population a souffert. Je ne veux pas me souvenir, cela ne sert à rien. Avant l’épidémie, je ne savais pas que c’était dangereux de vendre des animaux sauvages. Comment les gens pouvaient-ils savoir cela ?"

un habitant de Wuhan

à franceinfo

La vie a repris son court, mais pas l’économie de Wuhan. Les affaires ne sont pas bonnes depuis l’épidémie, nous dit ce jeune commerçant qui a dû fermer son entreprise faute de clients. "L'épidémie, c'est comme un tremblement de terre pour la Chine. Elle affectera notre pays pour les 10 prochaines années ou même plus, en particulier l'économie. Je suis très pessimiste et je ne pense pas qu'il soit possible de se remettre d’un tel impact sur une courte durée", craint-il. 

"Il y a de la colère"

Ceux qui ont perdu leurs proches au tout début de l'épidémie à Wuhan restent les plus marqués et le discours est parfois très amer. C'est le cas de Wendy, cette jeune maman âgée d'une quarantaine d'années, nous a donné rendez-vous dans un café à l'abri des regards pour nous parler de la mort de son mari des suites du Covid. Il n'est pas facile en Chine de prendre la parole sur un sujet que tout le monde sait sensible. Wendy et sa famille ont déjà subi des pressions de la part de la police.

Elle nous raconte qu'à l'époque, en février 2020, les services de santé sont débordés à Wuhan. Il n'y a plus de place dans les hôpitaux. Son mari finit par mourir faute de prise en charge. Cinq ans après, Wendy tente toujours de comprendre ce qui s'est passé. Elle accuse les autorités de Wuhan de ne pas avoir assez protégé la population.

"Bien sûr, il y a de la colère, explique-t-elle. Le gouvernement ne traite pas les gens comme des êtres humains, tout ce qu'il fait, c'est maintenir la prétendue stabilité, c'est-à-dire maintenir son pouvoir, rien d'autre ne compte. Après la fermeture de la ville, je me suis dit que pour eux, peu importe que tout Wuhan meure, tant qu'ils sont au pouvoir. Si le système ne change pas, je pense que ce genre de tragédie se reproduira."

Le panneau avec le nom de la rue où se trouve le marché au poisson de Wuhan, en Chine. (RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Ce chauffeur de taxi a aussi vu sa vie être bouleversée après avoir perdu sa maman de 66 ans, l’une des toutes premières victimes du Covid à Wuhan. Au bord des larmes, l'homme nous explique avoir porté sa maman à dos d’homme pour essayer de lui trouver une place dans un hôpital. Aujourd'hui, il subsiste un mélange de tristesse et de colère. "Depuis 5 ans, à chaque fois que je parle de ces choses à mes amis, je souffre beaucoup. C’est toujours difficile de vivre cette vie triste. Nous, le peuple, n'avons aucune dignité et aucun droit face au gouvernement. Je suis en colère !"

"Si le gouvernement nous avait prévenus plus tôt de prendre des précautions, on n'en serait pas arrivé à la fermeture de la ville. Je pense que le résultat n'aurait pas été aussi tragique, mais ils ont démenti les rumeurs sur l’arrivée de la maladie. Ce sont nous les victimes. Mon ami m'a aidé à rédiger une plainte, mais quel tribunal l'acceptera ?"

un chauffeur de taxi qui a perdu sa mère pendant le Covid

à franceinfo

Cinq ans après, les autorités chinoises continuent de surveiller de près ceux qui critiquent la gestion du Covid à Wuhan. Certains ont préféré quitter la Chine. Le chauffeur de taxi, lui, est resté. Après l’épidémie, une caméra a été installée devant la porte de sa maison. Il sait que ses communications téléphoniques sont surveillées. Quant à Wendy, la jeune mère de famille qui a perdu son mari, elle continue de demander une indemnisation et surtout des excuses de la part des autorités, mais sans grand espoir.

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