#Génération2021. Etudiants, diplômés ou actifs : cette jeunesse qui galère à boucler les fins de mois
Franceinfo retrace six itinéraires de jeunes adultes qui subissent les conséquences économiques de l'épidémie de Covid-19.
"On a pris la crise en pleine tête." En un an, l'épidémie de Covid-19 a accru la précarité dans laquelle se trouvent plongés nombre de jeunes adultes âgés de 18 à 25 ans. Certains n'ont même pas entamé leur vie professionnelle que, déjà, ils se retrouvent à compter chaque euro au jour le jour. Qu'ils soient étudiants, récemment diplômés ou jeunes actifs, ils et elles connaissent des difficultés économiques croissantes. Actuellement, 37% des 18-25 ans parviennent tout juste à boucler leur budget, 17% sont à découvert et 5% d'entre eux ont basculé dans la précarité, selon les résultats d'une étude Ipsos pour France Télévisions*. D'après cette enquête, une majorité (54%) de cette tranche d'âge a peur de l'avenir et estime que la situation risque d'empirer. Ce qui a pour conséquence une hausse de la demande d'aide psychologique.
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Comment les 18-25 ans parviennent-ils à boucler leurs fins de mois ? Comment parviennent-ils à faire face ? Quelles sont les difficultés qu'ils rencontrent ? Une cinquantaine d'entre eux ont répondu à notre appel à témoignages, lancé alors que France Télévisions organise, jeudi 18 mars, une grande opération autour de la jeunesse baptisée "Nous sommes la génération 2021". Nous avons recontacté six d'entre eux. Voici leurs récits.
"Ne pas danser, c'est comme avoir un trésor que je ne peux pas utiliser"
Jade, 24 ans, intermittente du spectacle, vit chez sa mère, en Essonne. "Je suis danseuse professionnelle, formée à l'Opéra de Paris, puis au hip-hop. Je peux m'entraîner gratuitement au Centre national de la danse, mais l'aller-retour en transports me coûte 12 euros. Si je vais ailleurs, je paie entre 10 et 16 euros de l'heure. J'ai aussi des dépenses pour des tenues de danse. Et le kiné, une fois par semaine, indispensable pour moi.
Semaines de résidence artistique, répétitions qui comptent comme des spectacles, tournages... Cela m'a rapporté 411 euros en février et une partie des 507 heures nécéssaires pour obtenir le statut d'intermittente. J'ai aussi une indemnité pour le chômage partiel (1 257 euros). Et parfois, je danse dans la rue, près du Centre Pompidou, à Paris. En deux heures, je peux gagner jusqu'à 100 euros.
J'ai quitté une colocation à Paris pour retourner chez ma mère lors du premier confinement. Je lui apporte une contribution d'environ 200 euros chaque mois. Aujourd'hui, je me débrouille. Mais je m'inquiète pour plus tard. On ne sait pas quand les lieux culturels vont rouvrir, ça m'angoisse. Ne pas danser, c'est comme avoir un trésor que je ne peux pas utiliser. Là, j'ai une voix enjouée, car je viens de m'entraîner. Mais en janvier, j'étais très déprimée : j'ai passé un mois clouée au lit, à dormir. Parfois, c'est trop dur."
"L'allocation adulte handicapé me sauve de la mouise"
Emilie, 22 ans, étudiante en arts du spectacle, vit en colocation à Rennes. "J'ai des difficultés scolaires car je suis autiste, avec des syndromes anxieux et dépressifs. Les cours à distance, ce n'est pas pour moi, j'ai vite décroché. Là, je fais une pause, je m'implique dans des associations, j'ai bien choisi mon année finalement ! Je ne peux pas travailler à côté de mes études à cause de mon handicap, donc je n'ai pas de salaire. Je vis en colocation avec une amie à Rennes (Ille-et-Vilaine). On paye chacune un loyer de 315 euros, avec en plus les frais pour internet, l'électricité, etc. Je perçois en complément l'aide personnalisée au logement (APL), à hauteur de 170 euros par mois.
Je viens enfin d'obtenir l'allocation aux adultes handicapés (AAH), neuf mois après ma demande. On m'a dit que les délais étaient plus longs avec la crise du Covid-19. C'est tortueux. Je suis lente et perdue dans le gloubi-boulga bureaucratique... J'ai réussi grâce à l'assistante sociale de ma fac. Je reçois 850 euros par mois, ça me sauve de la mouise ! Je ne me suis pas réinscrite à l'université à la rentrée 2020, donc je n'avais plus droit à une bourse sur critères sociaux. J'ai vécu aux crochets de ma colocataire pendant quelques mois. Mes parents m'aidaient aussi, mais je n'aime pas leur demander de l'argent. Je me restreignais. Maintenant, j'essaie de me nourrir mieux et d'être solidaire avec des amis dans le besoin. J'ai l'impression d'avoir beaucoup d'argent. Pourtant, ce n'est même pas le smic !"
"J'ai écrit à madame Macron, c'est mon dernier recours"
Sophia**, 22 ans, étudiante en commerce, retournée vivre chez ses parents, dans le Doubs. "J'ai intégré une grande école de commerce en 2018 à Paris. J'ai contracté un prêt étudiant de 23 000 euros, pour les 11 500 euros de frais d'inscription et mes besoins quotidiens. J'ai emménagé à Courbevoie (Hauts-de-Seine), dans un studio avec un loyer de 675 euros et une APL versée chaque mois. Mais j'ai vite été à découvert et j'ai failli être fichée à la Banque de France. En septembre, j'ai pu m'inscrire en troisième année, avec un contrat en alternance, pour me permettre d'avoir des revenus.
Tout a basculé trois jours après la rentrée, quand j'ai eu le Covid-19. Dans le même temps, l'entreprise qui avait accepté de me prendre en alternance a mis fin à mon contrat, sous-entendant que je n'avais pas envoyé l'arrêt maladie assez vite. J'étais effondrée. J'ai cherché une nouvelle entreprise. L'école ne m'a pas aidée, car je n'avais pas les moyens de payer 400 euros pour accéder au carnet d'adresses. J'ai eu trois entretiens, ça n'a rien donné.
Sans alternance, pas d'école. Je me suis fait virer le 20 janvier. J'ai rendu mon appartement et je suis retournée vivre chez mes parents. Aujourd'hui, je cherche du travail jusqu'à la fin de l'année scolaire, dans mon domaine. J'aimerais avoir une expérience pour trouver plus facilement une nouvelle formation.
Je dois tout reprendre à zéro, alors que mon chemin était tracé... Je suis dépitée, mais je n'ai pas tendance à me décourager.
Sophia, étudianteà franceinfo
J'envisage de poursuivre en justice mon école. Je me suis inscrite à la mission locale de ma région pour obtenir la garantie jeunes. Je vais percevoir 500 euros par mois, mais seulement à partir de mai... Je frappe à toutes les portes : j'ai rencontré le maire de ma ville, j'ai même écrit à madame Macron. J'ai reçu une réponse de son conseiller, qui m'a redirigée vers le préfet des Hauts-de-Seine. Je vais lui répondre et demander à être reçue. C'est mon dernier recours."
"Les jeunes paient le prix fort de la crise"
Maximilien, 24 ans, ingénieur, en transit chez ses parents en Seine-et-Marne. "Je dépends de mes parents, comme lorsque j'étais au lycée. Mais au lieu de faire des exercices de maths, j'envoie des candidatures à des postes d'ingénieur en risques industriels. Une centaine depuis que je suis diplômé. J'ai enchaîné les entretiens à l'automne. Je n'ai eu que des réponses négatives, voire pas de réponse. Les jeunes paient le prix fort de la crise. Très souvent, les employeurs souhaitent des personnes expérimentées.
Finalement, j'ai accepté un contrat en alternance pendant un an, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Je dois commencer lundi [le 22 mars]. Impossible de vivre dans un studio où il faut gagner trois fois le loyer : je vais emménager dans un appart'hôtel, grâce au statut d'étudiant que je vais retrouver. Mes parents paieront le loyer. J'ai la chance de les avoir derrière moi, financièrement et moralement. Le montant de mon salaire – 1 600 euros brut par mois – couvrira les besoins de la vie courante. Ce n'était pas mon premier choix, c'est une formation et c'est dans l'informatique. Mais cette entreprise semble sérieuse. J'espère donc être embauché en CDI par la suite."
"Si je me consacrais à mes études, je ne m'en sortirais pas financièrement"
Lucas, 19 ans, étudiant et auto-entrepreneur, vit en couple dans le Rhône. "Je suis en licence Management et Sciences humaines. Je voulais être directeur administratif financier, à Bac+5, mais ça tombe à l'eau si je ne valide pas ma deuxième année. Avec le Covid-19, tout a changé. Les cours à distance ne me conviennent pas du tout, je n'arrive pas à suivre. Alors j'ai privilégié mon nouveau travail et je n'ai pas validé mon dernier semestre. Depuis trois semaines, je suis commercial, avec le statut d'auto-entrepreneur. Je vends des panneaux solaires pour une entreprise spécialisée dans la rénovation énergétique. Je ne l'aurais pas fait si les cours étaient en présentiel.
Auparavant, j'étais étudiant les lundi, mardi et mercredi, surveillant dans un collège les jeudi et vendredi, pour un salaire mensuel de 625 euros. Ma compagne est surveillante à temps plein et, le mercredi, elle garde des enfants. C'est uniquement grâce à elle et à mes petits boulots qu'on arrive à vivre correctement. Nous sommes pacsés depuis juin et on loue un appartement ensemble depuis janvier. Tous nos salaires sont versés sur un compte commun où est prélevé le loyer (675 euros). On n'a pas le droit à l'APL car, à deux, on est trop 'riches'. On habite à 30 minutes de Lyon en voiture. L'entretien et l'essence coûtent cher.
Je suis le dernier d'une famille de quatre enfants, mes parents ne peuvent pas m'aider. Pour autant, je ne suis pas éligible à une bourse d'étudiant. Si je me consacrais à mes études, je ne m'en sortirais pas financièrement. Je me donne jusqu'au mois de juin pour décider si je rebouble ou si j'arrête les études. Tout dépend du boulot que je viens de commencer, si ça fonctionne bien ou pas."
"J'arrive à boucler mes fins de mois avec des 'magouilles'"
Gaëlle, 25 ans, en service civique, vit en colocation à Brest. "Je suis diplômée d'un master Patrimoine et Musées depuis septembre. J'ai toujours travaillé en parallèle de mes études, donc j'ai pu toucher une allocation chômage mensuelle de 700 euros. Une collectivité territoriale m'a proposé un service civique de 28 heures par semaine à partir de janvier. C'est le travail d'une employée, ils n'ont pas les moyens de faire un CDD. Même si l'indemnité mensuelle (580 euros) est moins élevée, j'ai accepté. Car au chômage, je me déconnectais de mes centres d'intérêt. Là, je comprends à quel point j'aime la culture. Je vais me rendre indispensable pour me faire embaucher. En parallèle, je prépare les concours de la fonction publique [qui permettent de recruter les futurs fonctionnaires], un gage de sécurité.
Je n'ai pas droit au RSA, mais je perçois 232 euros d'APL pour un loyer de 330 euros. Je paie un forfait téléphonique de 13 euros, un abonnement pour les transports à 5 euros par mois, un autre au même prix pour Spotify... Je me restreins sur la nourriture, enfin j'essaie... Dernièrement, je me suis fait un peu trop plaisir avec les plats à emporter. Il y a aussi quelques soirées avec les copains.
Cette situation fait ressortir mes crises d'angoisse.
Gaëlle, jeune diplôméeà franceinfo
J'avais besoin d'une aide psychologique, alors j'ai contacté mon ancienne université, qui me permet de bénéficier de séances gratuites par téléphone toutes les trois semaines. Car avec le service civique, j'ai toujours le statut d'étudiante. C'est ce que j'appelle les 'magouilles' grâce auxquelles j'arrive à boucler mes fins de mois. Je cherche aussi des petits remèdes pas chers pour aller mieux (méditation, auto-hypnose...). Mes parents ne sont là qu'en dernier recours. Mais je suis bien entourée : j'ai un copain, une colocataire et des amis."
*Etude réalisée auprès de 800 jeunes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 à 25 ans, interrogés par internet du 9 au 11 mars 2021.
**Le prénom a été modifié à la demande l'intéressée
France Télévisions lance une grande opération d’utilité publique en faveur des 18-25 ans. En partenariat avec Le Figaro Etudiant, un appel a été lancé aux entreprises afin qu’elles proposent des offres de stages, de jobs d'été, de CDD et de CDI sur la plateforme Wan2bee.
Pour en savoir plus sur l'opération "Nous sommes la génération 2021"
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