#Génération2021. Entre état dépressif et décrochage scolaire, ces jeunes Français "broient du noir" depuis le début de la pandémie
Les trois quarts des jeunes Français disent ressentir de la tristesse ou de l'anxiété en raison du contexte sanitaire, selon un sondage Ipsos pour France Télévisions. Franceinfo leur donne la parole.
"Je ne voyais plus l'intérêt d'être en vie si c'était pour être confinée." Au téléphone, Constance laisse s'installer un silence. En novembre dernier, la Caennaise de 24 ans a "demandé de l'aide à ses parents" pour entamer un suivi psychologique, après avoir été "en proie à des idées très noires". "Je suis en recherche d'emploi dans le tourisme, mais il n'y a absolument aucune annonce, raconte-t-elle à franceinfo. Je ne voyais aucune raison de me lever le matin, je n'avais aucun espoir que la situation sanitaire s'améliore."
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Comme elle, 75% des 18-25 ans se sont sentis "tristes, déprimés ou désespérés" dans le contexte de la pandémie de Covid-19, selon un sondage Ipsos pour France Télévisions, publié lundi 15 mars. Ils sont également 74% à avoir éprouvé "un sentiment de nervosité, d'anxiété ou de tension". La moitié d'entre eux se sont aussi sentis très isolés depuis le début de la crise sanitaire et 69% trouvent la situation difficile à vivre.
Stress, isolement et "vieux démons"
C'est le cas de Paul, avec son "tempérament stressé". "Cette crise sanitaire escamote toutes les protections qu'on s'était mises pour rester à flot", explique ce Lillois de 18 ans, en première année de médecine. Crises de larmes, angoisses nocturnes, troubles du sommeil… Il a souffert d'un "état dépressif" durant tout le premier confinement.
Laure, 21 ans, était en deuxième année d'études d'infirmière lorsque la pandémie a frappé. "Toute ma promo a été mobilisée, se souvient-elle. J'ai passé plusieurs mois en renfort dans des unités Covid, surchargée de travail, à voir des choses auxquelles je n'étais absolument pas préparée."
Elle n'a pris conscience de sa "souffrance psychologique" que durant l'été, quand "la pression est retombée". A la rentrée suivante, Laure, qui ne se sentait plus à sa place dans sa promo, a consulté une psychologue. "Et puis, il a fallu reprendre les stages en octobre. Je ne dormais plus, je faisais des crises de panique dans ma voiture en arrivant à l'hôpital." En proie à des "idées suicidaires", Laure a failli être admise en unité de psychiatrie. "Ma psy m'a dit : 'Soit je t'arrête maintenant, soit tu es hospitalisée dans deux jours.' Alors j'ai mis un terme à mes études d'infirmière. C'était un déchirement", souffle celle qui travaille désormais comme aide-soignante.
Chez d'autres étudiants, le confinement a "fait ressurgir de vieux démons". "J'étais en stage et je me suis retrouvée au chômage partiel, à ne plus rien faire du jour au lendemain, raconte Chloé*, 22 ans, étudiante en management dans les Hauts-de-Seine. L'ennui et le stress m'ont fait retomber dans la dépression et l'anorexie. J'ai commencé à me scarifier, à avoir des idées suicidaires."
"Des amis ont prévenu mes parents, mais ce n'est qu'en août que j'ai pris conscience que je ne pourrais pas m'en sortir seule. Alors j'ai pris contact avec un psy."
Chloé, étudiante en managementà franceinfo
Grâce à des antidépresseurs prescrits par son médecin, Chloé* remonte doucement la pente. "J'ai arrêté de me scarifier. J'ai du mal à reprendre du poids, mais je ne suis plus en danger vital."
Maxime, qui souffrait de dépression avant la pandémie, a vu "ses doses d'antidépresseurs sérieusement augmenter" après le premier confinement. "J'ai très mal vécu l'isolement, j'avais l'impression d'un jour sans fin, explique cet étudiant de 21 ans dans le Rhône. J'ai désormais rendez-vous avec ma psy toutes les deux semaines et ça va mieux."
"Un véritable cercle vicieux"
Ces états anxieux s'accompagnent parfois de décrochage scolaire. Pendant le premier confinement, Maxime a perdu son rythme de travail. "J'avais l'impression d'être dans un monde parallèle, que les études n'avaient plus vraiment d'importance", révèle l'étudiant, qui a dû redoubler sa première année de licence de philosophie. Agathe*, qui a intégré l'ENS, à Lyon, en septembre, a ressenti la même perte de sens. "Lors du reconfinement, je suis restée dans ma résidence étudiante à passer des journées entières à suivre des cours sur mon écran d'ordinateur."
"J'assistais aux cours comme un zombie. Je n'arrivais plus à m'intéresser à la physique, alors que je suis venue pour ça."
Agathe, étudianteà franceinfo
La jeune femme de 19 ans a pu valider ses partiels de décembre en bachotant pendant 15 jours, mais elle "n'est pas sûre de réussir à nouveau ce semestre". "Le médecin de l'établissement m'a diagnostiqué un état dépressif. Il ne m'a pas donné de traitement ni conseillé de voir un psy, parce que c'est uniquement lié au contexte, poursuit-elle d'une voix monocorde. J'espérais que ça irait mieux avec la reprise des travaux dirigés en présentiel, mais je n'ai pas l'impression que ça va passer."
Paul a "planté" sa première année de médecine. "Je n'avais pas bien réussi mon premier semestre et j'ai encore perdu des places au deuxième semestre, à cause du premier confinement", résume-t-il. Enfermé avec sa famille "H24", il perd sa concentration et peine à comprendre des cours transmis sous la forme de "PDF de cent pages". "Réviser me faisait penser aux examens qui m'angoissaient et mon incapacité à travailler ne faisait que me stresser davantage, c'était un véritable cercle vicieux", détaille l'étudiant, qui a gardé pour lui sa "détresse" durant plusieurs mois.
Cette situation affecte aussi les plus jeunes. La scolarité de Gabriel, en première dans un lycée professionnel, "se passait très bien" avant la mise en place des cours en distanciel. "Je n'arrive plus à suivre dans certaines matières et j'ai l'impression de ne plus comprendre, ce qui me fait peur", confie ce Toulousain de 17 ans. Pensionnaire dans son établissement scolaire la semaine, Gabriel a commencé à "déprimer". "Je me suis renfermé sur moi-même et j'ai perdu des amis. Puis j'ai trouvé des antidépresseurs qui traînaient dans un placard chez moi et j'ai commencé à les prendre, sans ordonnance."
"Ça me ferait du bien de voir un psy"
Jusqu'à se retrouver hospitalisé pour une surdose médicamenteuse, en octobre. Gabriel assure qu'il ne s'agissait que d'une "connerie". "Je sais que ça me ferait du bien de voir un psy, mais je préfère me concentrer sur mes cours, car je veux réussir mon année", glisse-t-il, évasif. Comme lui, d'autres jeunes peinent à prendre contact avec un professionnel de santé, tout en reconnaissant en avoir besoin. Arthur, étudiant de 20 ans résidant dans le Rhône, n'ose pas se lancer "par manque de temps et par peur de décevoir ses parents", avec qui il n'a pas vraiment évoqué son anxiété.
En recherche d'emploi, Timothée n'a tout simplement pas les moyens. "Je suis auteur et je cherche un travail alimentaire dans le domaine de la culture, mais mes candidatures restent sans réponse", explique le jeune homme de 25 ans, qui vit du RSA. Lors du premier confinement, qu'il a passé dans sa colocation à Toulouse, il s'est "senti sombrer". "J'ai souffert de dépression par le passé et le contexte sanitaire a tout réactivé", explique-t-il.
"Il n'y a pas un jour où je n'avais pas une crise d'angoisse. Je me suis enfermé dans de mauvaises habitudes : consommation quotidienne d'alcool, beaucoup trop de cigarettes…"
Timothée, en recherche d'emploià franceinfo
Pour économiser un peu, Timothée habite depuis octobre dans une maison appartenant à son père, près d'Orléans. "Je pensais profiter d'avoir un peu plus de sous pour me remonter le moral en allant voir des amis, mais il y a eu le reconfinement et le couvre-feu, poursuit le jeune auteur. Je me suis senti piégé. Je n'arrive toujours pas à trouver d'emploi et il m'est impossible de payer une séance de psy par semaine, alors que c'est ce dont j'ai besoin."
Julia*, qui vient d'achever sept ans d'études, a déjà bénéficié d'un suivi psychologique lorsqu'elle était plus jeune. "Cela faisait quelque temps que je voulais retourner consulter et je pensais pouvoir le faire après la fin de mes études en octobre [2020], une fois que j'aurais un emploi stable, relate la jeune femme de 25 ans, qui habite avec son compagnon à Lyon. J'étais en stage pendant le premier confinement, avec une promesse d'embauche une fois mon diplôme obtenu. Finalement, ça s'est transformé en CDD de quelques mois et je me suis retrouvée au chômage."
Depuis janvier, Julia* cherche un emploi sans succès. Elle souffre de plus en plus de l'isolement. "Mis à part mon compagnon, je vois des gens peut-être toutes les deux semaines. Je dors mal et j'ai beaucoup grossi à cause du manque d'activité. C'est un cercle vicieux : comme je ne rentre plus dans certains vêtements, je sors encore moins", énumère la jeune femme. Sa voix se brise. "En janvier, je n'arrivais même plus à sortir de mon lit, à me lever ou me laver. Mon copain m'a un peu secouée, en me disant qu'il ne voulait pas vivre avec une loque, confie-t-elle à voix basse. Ça m'a forcée à sortir de cet état."
"Ma détresse semble un peu illégitime"
Si Julia se sent moins "hypersensible" avec l'arrivée du printemps, elle n'a toujours pas les moyens de se payer une psychothérapie. "Le gouvernement a mis en place des aides pour les étudiants et je m'en réjouis, mais rien n'est prévu pour les jeunes en recherche d'emploi comme moi, souligne la diplômée en communication. Je sais qu'il y a des associations, mais l'attente est très longue et d'autres gens en ont plus besoin que moi."
Pour beaucoup de ces jeunes, un sentiment de culpabilité s'ajoute en effet à la tristesse et l'anxiété. Arthur mène de front des études de commerce, un apprentissage en tant que commercial et la préparation de concours pour intégrer une grande école à la rentrée prochaine. "J'avais l'habitude de faire du sport en salle 4 à 5 fois par semaine pour décompresser, mais ce n'est plus possible. Alors en février, j'ai explosé : pendant une soirée avec des amis, j'ai pleuré pendant des heures", raconte le Bourguignon. Sa détresse lui semble pourtant "un peu illégitime".
"Je pense que j'aurais besoin de voir un psy, pour extérioriser. Mais quand je vois les images d'étudiants qui n'ont pas les moyens de se nourrir, je me dis que je n'ai pas vraiment le droit de me plaindre."
Arthur, étudiant et apprentià franceinfo
Chloé s'estime "privilégiée" d'avoir des parents qui peuvent financer ses consultations de psychologie. Et de "ne pas avoir de problème à dire qu'[elle] va mal". "Enormément de jeunes souffrent du contexte, mais n'osent pas en parler, assure l'étudiante en management en région parisienne. Quand on discute un peu, pendant les travaux de groupe, je me rends compte que plusieurs camarades broient du noir ou sont au bout du rouleau."
Pour Laure, ce mal-être est en partie lié à cet "âge où on est censé construire notre avenir". "C'est compliqué à faire dans une période de destruction et de perte d'espoir, confie l'aide-soignante, on se sent impuissants, comme si on nous avait volé nos rêves." Constance considère les douze derniers mois comme "une année perdue, entre parenthèses". Désormais, elle attend "juste de pouvoir fermer cette parenthèse".
* Les prénoms ont été modifiés.
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.
Si vous êtes étudiant et avez besoin d'un suivi psychologique, le gouvernement a mis en place un site permettant de consulter gratuitement un spécialiste près de chez vous, grâce au dispositif des "chèques psy".
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