Le rendez-vous du Particulier. L'épidémie de Covid-19 provoque un bouleversement inédit du droit du travail
L’état d’urgence sanitaire s’accompagne d’un bouleversement absolument inédit du droit du travail avec des conséquences pour les congés, les salaires, le temps de travail. Il faut coûte que coûte maintenir les emplois et faire tourner les secteurs essentiels à la nation. Qui est concerné ? Y a –t-il des limites ?
Avec la crise sanitaire et économique sans précédent que vit notre pays en raison de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement a donc pris une série de mesures par ordonnances qui vont avoir un prix pour les salariés. Leur employeur peut leur imposer une baisse d’activité (c’est le fameux chômage partiel), la prise de congés et jusqu’à 60h de travail par semaine. On va essayer d’y voir clair avec Frédérique Schmidiger qui a enquêté avec Sandrine Chesnel pour le mensuel Le Particulier.
franceinfo : commençons par le chômage partiel qui concerne déjà 150 000 entreprises et 1,6 millions de salariés. Cela implique quoi ?
Frédérique Schmidiger : On va être direct : cela entraîne une baisse de salaire de 16% sur les heures non travaillées. Le principe de l’activité partielle est simple : l’entreprise qui n’a plus, ou a moins d’activité, du fait du confinement, demande à ses salariés de ne plus travailler du tout, ou de travailler certains jours seulement dans la semaine. Les salariés n’ont pas leur mot à dire et ils n’ont rien à faire. C’est l’employeur qui dépose la demande à la direction du travail.
On a beaucoup entendu dire que l’État prendrait en charge 100% du chômage partiel, mais en fait il prend en charge 100% de ce que l’employeur verse au salarié (dans la limite d’un salaire d’un peu plus de 6 900 euros brut). Or, comme l’employeur ne verse que 84% du salaire net, il y a bien une baisse de la rémunération. Cela reste évidemment un effort financier très important (8,5 milliards ont déjà été provisionnés). Tous les travailleurs vont être concernés même ceux qui, en principe, sont exclus de ce dispositif, comme par exemple les cadres en forfait jours, dont la durée de travail est exprimée en jours et pas en heures.
Une petite précision aussi : en période de chômage partiel, vous ne devez pas travailler ! Votre chef n’est pas censé vous faire télétravailler en même temps. Le ministère a fait savoir qu’il y aurait des contrôles a posteriori des entreprises qui ont abusé du dispositif. Elles devront a minima rembourser les allocations prises en charge par l’État.
Vous n’avez pas parlé des salariés employés au domicile des particuliers. Eux aussi y ont le droit !
Oui, les femmes de ménage, jardiniers, gardes d’enfants à domicile, les auxiliaires de vie, ou encore les assistantes maternelles qui n’ont pas pu travailler du fait du confinement seront eux aussi indemnisés. Précisons tout de suite que les pouvoirs publics invitent quand même les ménages qui peuvent financièrement maintenir leur rémunération à le faire, sans demander l’aide de l’État.
Pour ceux qui ne le peuvent pas, voilà comment est conçu le dispositif :
- l’employeur déclare comme d’habitude les heures travaillées en mars auprès du Cesu ou de Pajemploi.
- Lundi dans l’après-midi, un formulaire sera mis en ligne sur ces sites. Il sera aussi envoyé la semaine prochaine par papier aux employeurs qui ne déclarent pas par internet.
Ce formulaire permettra de déclarer les heures non effectuées du fait du confinement. L’employeur devra dans un premier temps payer 80% du salaire correspondant à ces heures non travaillées directement au salarié, par virement par exemple. Dans un deuxième temps, le Cesu ou Pajemploi lui remboursera sur son compte bancaire cette indemnité de 80%, sous une quinzaine de jours.
Les pouvoirs publics appellent là aussi les employeurs à faire un effort et à payer les 20% de salaires qui vont encore manquer à leur employé. L’Urssaf parle de don solidaire. Il n’y aura pas de cotisations sociales sur cette somme et elle n’ouvrira pas non plus droit à crédit d’impôt.
Passons maintenant aux jours de congés et de RTT ? On doit vraiment les prendre pendant le confinement ?
L’avantage de prendre des congés ou des RTT, plutôt que d’être mis au chômage partiel, c’est d’éviter la perte de salaire de 16%. Mais de toute façon, c’est votre employeur là aussi qui décide. Attention, avec une limite qui nous a été précisée par Me Catherine Davico-Hoarau, avocate du Cabinet Coblence Associés, que notre journaliste Sandrine Chesnel a interviewé : si votre employeur vous a mis en activité partielle et qu’il se rend compte qu’il n’y avait pas le droit, il ne peut pas revenir en arrière et vous imposer des congés payés, rétroactivement.
Il faut peut-être repréciser de quels congés il s’agit ?
Des congés payés acquis, des RTT et des jours mis de côté sur un compte épargne temps. Avec des règles différentes pour les uns et les autres.
- Pour les congés payés acquis, l’employeur peut en imposer ou les modifier, seulement s’il a réussi à négocier un accord d’entreprise avec les organisations syndicales, ou s’il peut s’appuyer sur un accord de branche. Et cela se limite à 6 jours ouvrables (une semaine de travail fait 6 jours ouvrables, du lundi au samedi compris). Il doit aussi respecter un délai d’un jour franc. Cela veut dire que s’il vous prévient le mardi, c’est au plus tôt pour le jeudi. S’il vous prévient le jeudi ou le vendredi, ce sera pour le lundi suivant.
- Pour les jours de RTT et les jours mis de côté dans un compte épargne temps, il a plus de latitude encore. La limite est de 10 jours et il n’a pas besoin d’accord d’entreprise. Il doit juste respecter le délai d’un jour franc pour imposer ou annuler les jours posés. Votre employeur peut donc au maximum vous obliger à prendre jusqu’à 16 jours (10 +6), en une seule fois ou fractionnés.
Et sur la durée de travail. On va vraiment pouvoir travailler 60 h par semaine ?
Oui, la durée maximum de travail par semaine est relevée à 60 h (au lieu de 48 h) et à 12 h par jour (au lieu de 10). En travaillant éventuellement le dimanche. Mais cela ne concerne que les salariés qui travaillent dans des secteurs vitaux qui seront précisés très bientôt par décret. Mais on pense déjà au secteur de l’énergie, des télécoms, de l’agriculture, de l’agro-alimentaire …
Et ces mesures exceptionnelles vont durer combien de temps ?
On l’ignore encore. Les ordonnances renvoient à une date qui sera précisée par décret, en posant tout de même comme date butoir ultime le 31 décembre 2020.
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