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"Soit on se protège, soit on part en vacances" : quand le "budget masques" plombe les finances des familles

Selon l'UFC-Que Choisir, l'obligation du port du masque dans les espaces clos, instaurée lundi, coûte "100 euros par mois pour une famille avec deux enfants". Mais cela peut grimper à environ 300 euros.

Article rédigé par Louis San - Coline Renault
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des clientes masquées dans un magasin de prêt-à-porter, à Bordeaux (Gironde), le 20 juillet 2020. (MAXPPP)

"Aujourd'hui, je n'achète que le minimum vital : de la nourriture et des masques." Au chômage depuis le début du confinement, Héloïse Jouve, 55 ans, se serre la ceinture. Avec quatre ou cinq boîtes de 50 masques chirurgicaux achetées depuis le mois de mars, cette intermittente commerciale a dépensé près de 200 euros de protections contre le nouveau coronavirus. Au prix de quelques sacrifices, comme renoncer à son abonnement à la salle de sport ou au club d'athlétisme.

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Depuis lundi 20 juillet, les masques sont désormais obligatoires dans tous les lieux publics clos. Une obligation qui a un coût. Selon l'UFC-Que Choisir, cette nouvelle mesure représente "un budget de 100 euros par mois pour une famille avec deux enfants". Le "budget masques" peut atteindre 300 euros par mois pour une famille de quatre personnes, rapporte Le Figaro. Pour Emmanuel Macron, il est "important" que "celles et ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter un masque que l'on appelle grand public soient aidés". Dans la foulée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé, mercredi au "20 heures" de France 2, l'envoi de "40 millions de masques grand public" gratuits à sept millions de Français dans des situations de précarité. 

Des masques chirurgicaux portés plus longtemps

Mais ce n'est pas suffisant, estime Marie, mère de famille sans emploi qui élève trois adolescents et pré-adolescents avec son mari. Ce dernier touche un salaire qui suffit pour cinq mais s'avère "juste". "On ne paye pas d'impôts, on n'est pas très riches", commente-t-elle.

C'est difficile pour les familles qui ne sont ni précaires, ni aisées, comme la nôtre.

Marie

à franceinfo

Elle estime à 90 euros par mois le "budget masques" de son foyer, en faisant quelques entorses aux recommandations officielles. Sa famille n'utilise pas de masques en tissu. "On respire mieux avec les masques chirurgicaux et on trouve ça plus sain", explique-t-elle. Mais leurs masques jetables sont portés toute la journée, au-delà des quatre heures préconisées par les autorités sanitaires. Si sa famille devait suivre les consignes à la lettre, "cela ferait 200 euros par mois", estime-t-elle. Marie assure vouloir "faire attention à tout" mais entre le coût des masques et les gestes à adopter en cette période de pandémie, elle a "tranché au milieu".

Pierrick, technicien informatique en Charente, utilise lui aussi exclusivement des masques chirurgicaux. Et il les porte également plus longtemps que les quatre heures recommandées. Chaque jour, dans le cadre de son travail, il intervient chez des clients. Sauf qu'il garde chaque masque une semaine. "On ne le dit pas. Personne ne le sait, ça ne se voit pas", confie ce père de famille, dont l'entreprise a simplement fourni 20 masques à chaque salarié, en avril.

"On fait attention à ce qu'on achète"

Avec la nouvelle mesure appliquée depuis lundi, Pierrick estime à 100 euros le "budget masques" mensuel pour lui, sa femme et son fils de 12 ans. "C'est embêtant, c'était pas prévu. C'est 100 euros de plus plus parmi toutes les dépenses qui ont augmenté", se désole-t-il.

Cent euros de plus par mois, ça fait 1 200 euros sur l'année : ce sont les vacances. Donc soit on se protège, soit on part en vacances…

Pierrick

à franceinfo

"On sort moins, on va moins au restaurant. On restreint un peu notre niveau de vie", relate Jean-Luc, qui travaille en Bretagne dans l'informatique liée aux grandes grandes surfaces. Sa famille, indique-t-il, ne fait pas partie des plus démunies mais garde un œil sur le porte-monnaie : "On fait attention à ce qu'on achète".

Les masques, je ne comprends pas pourquoi, c'est aussi cher. Je les achète 29 euros les 50 en grandes surfaces. C'est exorbitant.

Jean-Luc

à franceinfo

Il appelle les grandes enseignes à réduire leur marge, assurant qu'elles enregistrent d'excellents chiffres. Ce que confirme une étude Nielsen, qui évalue à 175 millions d'euros le chiffre d'affaires généré par la grande distribution grâce à la vente de masques jetables, depuis le mois de mai.

Face à ces dépenses inattendues, certains tentent de composer avec des masques gratuits. Selon les consignes gouvernementales, les soignants peuvent prescrire aux personnes immunodéprimées des masques remboursés par la Sécurité sociale, à raison de 10 par semaine.

Des patients "très injustement verbalisés"

Christophe Lamarre, médecin généraliste à Roubaix (Nord), voit depuis lundi défiler dans son cabinet des patients précaires candidats aux masques gratuits : dans son quartier, près de 80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. "Beaucoup de mes patients ont été très injustement verbalisés pendant le confinement : ils n'avaient pas accès à l'informatique et n'étaient pas en mesure de fournir des attestations, raconte le médecin. Alors, quand ils ont entendu parler d'une amende de 135 euros pour l'absence de masque, ils ont paniqué !"

Christophe Lamarre essaie d'aider, autant qu'il peut : "Techniquement, après 65 ans, tous les patients sont potentiellement considérés comme immunodéprimés, car particulièrement à risque face au virus. Dès que je peux le justifier, je le fais. Par exemple, aux membres d'une même famille qui ont une personne à risque chez eux…", assure-t-il. Difficile pourtant d'aller contre la loi : "Malheureusement, je dois le refuser à huit ou neuf patients sur 10."

Au cours de ces dernières semaines, de nombreuses collectivités ont fourni des masques. A Vénissieux (Rhône), à côté de Lyon, les habitants ont pu bénéficier de masques commandés par la commune, la métropole et le département. La ville de Paris s'est aussi engagée, en mai, à fournir à chaque Parisien un masque en tissu réutilisable. Pendant deux mois, les habitants étaient invités à prendre rendez-vous pour venir récupérer leur dû en pharmacie. Mais cela reste insuffisant pour Caroline Trefi, mère célibataire habitant la capitale. "Un masque en tissu par personne, c'est un peu léger, juge-t-elle, quand on sait que les masques en tissu sont souvent moins efficaces que les masques chirurgicaux, et qu'il faudrait en changer deux fois par jour."

Les étudiants étrangers "vulnérables et isolés"

En attendant la distribution gratuite promise aux plus précaires par le gouvernement, les acteurs associatifs prennent le relais. France Bleu rapporte qu'à Rouen (Seine-Maritime), la saison estivale a isolé de nombreux étudiants en situation de précarité, privés de jobs d'été par l'épidémie. La Feder, la fédération des étudiants de la ville, a ajouté des masques aux paniers-repas qu'elle fournit aux jeunes en difficulté. "Les étudiants étrangers sont particulièrement vulnérables et isolés, note Quentin Thuriot, président de l'association. Ils n'ont pas pu rentrer chez eux pendant l'été. Ils ne peuvent pas acheter des masques avec de l'argent qu'ils n'ont pas !", résume-t-il.

De son côté, Marie, qui assure que sa famille ne bénéficie d'aucune aide, souhaite un geste pour les élèves. "Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas de masques gratuits pour les enfants qui vont à l'école." Valérie Pécresse, la présidente LR de la région Ile-de-France, a déjà annoncé mercredi, dans "Les 4 Vérités" sur France 2, la distribution à la rentrée de deux masques lavables à ses 500 000 lycéens. 

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