Cet article date de plus de quatre ans.

Règle des 100 km : "À partir du moment où vous demandez aux gens des choses qui n'ont pas de sens, il n'y a pas de raison pour qu'ils les appliquent", estime un sociologue

De plus, "il faudrait un million de policiers" pour la faire respecter, souligne Sébastian Roché, auteur de la note "Confiance et consentement sont au cœur de la maîtrise du coronavirus". 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Des policiers chargés de contrôler les véhicules (photo d'illustration). (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

La France ne peut "pas faire appliquer" la règle des 100 kilomètres, dans le cadre du déconfinement, "il faudrait un million de policiers", a déclaré samedi 16 mai sur franceinfo Sébastian Roché, spécialiste des questions liées à la police et à la légitimité et directeur de recherche au CNRS, auteur pour le think-tank Terra Nova de la note "Confiance et consentement sont au cœur de la maîtrise du coronavirus". D'après lui, aucun pays démocratique ne peut contrôler les mouvements dans une zone aussi étendue. Il estime également qu'"à partir du moment où vous demandez aux gens des choses qui n'ont pas de sens, il n'y a pas de raison pour qu'ils les appliquent."

>> Suivez les dernières informations sur le déconfinement dans notre direct.

franceinfo : D'après vous, la rigueur qui prévalait pendant le confinement n'est plus possible aujourd'hui avec la règle des 100 kilomètres ?

Sébastian Roché : Non seulement les Français veulent retrouver cette liberté, mais s'il n'y a pas de redémarrage économique, il y a un effondrement du pays. Le gouvernement aussi souhaite retrouver une certaine liberté. À partir de là, les mesures qui sont maintenant proposées sont des mesures qui apparaissent très compliquées à mettre en œuvre. Vous pouvez utiliser la police comme une sorte d'armée qui vous fait rester chez vous complètement et tout bloquer. Mais lorsque vous devez rendre de la liberté pour que l'économie fonctionne, à ce moment-là soit vous devenez un État comme la Chine, ce n'est pas forcément une bonne idée, soit vous ne pouvez pas faire appliquer ces restrictions. C'est un problème de géométrie : si vous décidez que vous pouvez circuler 100 km autour de chez vous, ça veut dire que la périphérie, le cercle qu'on tracerait autour de cette ligne ferait plusieurs centaines de kilomètres. Aucun pays parmi les démocraties n'a suffisamment de policiers pour faire ce genre de cercles autour de toutes ses grandes villes et les rendre étanches, c'est un modèle de pays autoritaire. Il n'existe pas de ressources qui peuvent réussir à contrôler ce type de mesures.

Pour vous, c'est la règle des 100 kilomètres elle-même qui est arbitraire et contreproductive ?

Les démocraties libérales fonctionnent sur le consentement : nous sommes pour payer des impôts parce que nous avons un service public de qualité, nous sommes d'accord pour être commandés parce que nous avons des élections.

Notre société c'est une société qui s'est auto-disciplinée. Elle fonctionne sur le consentement parce qu'on croit que ce qui est demandé est bon.

Sébastian Roché, sociologue et directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

À partir du moment où vous demandez aux gens des choses qui n'ont pas de sens, il n'y a pas de raison pour qu'ils les appliquent. Et là, il n'y a pas non plus de moyens de les obliger. La police n'a pas les moyens de contrôler la périphérie de toutes les grandes villes françaises. Et si elle les avait, ça voudrait dire qu'on serait passé dans un régime autoritaire. Il faudrait un million de policiers.

Pour autant, est-ce que vous reconnaissez, à l'image de ce que disent les experts scientifiques eux-mêmes, que le confinement strict a permis de juguler l'épidémie et sa propagation ?

Disons que c'est le modèle français. Le modèle allemand, c'était de dire "responsabilisons les individus". Merkel a dit : on n'est pas en guerre, on va tester. Chacun peut savoir le risque qu'il présente pour les autres et à partir de là, chacun peut ajuster son comportement sans qu'on le sanctionne, s'il sort de chez lui. C'est un autre modèle.

La France a choisi un modèle un peu de désespoir. Elle n'avait pas anticipé.

Sébastian Roché

Elle a dit : voilà ce qu'il nous reste à faire, c'est de confiner. Et effectivement, ça a eu des effets. Tous les pays ont utilisé un certain nombre de mesures. La France fait partie en Europe des pays qui ont utilisé des formes de confinement les plus sévères. Par exemple, en Angleterre, on n'a pas arrêté la possibilité de circuler avec des voitures pendant l'épidémie, en France on l'a fait.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.