Retour à l'école : comment les professeurs comptent mettre à profit ces deux semaines de cours
Loin des buts pédagogiques annoncés par le ministère à l'occasion du retour en classe des élèves, les enseignants restent humbles. Recréer un lien et clore l'année sur un bon souvenir : voilà leurs objectifs prioritaires.
"C'est la quatrième rentrée que l'on fait cette année, c'est du jamais-vu", observe Isabelle Verove, directrice et enseignante d'une école élémentaire privée de Bergues (Nord). Dans les établissements des cycles primaire et secondaire, le retour des élèves s'est accéléré lundi 22 juin. Selon les chiffres du ministère de l'Education, seuls 1,8 million d'écoliers sur 6,7 millions, et 600 000 collégiens sur 3,3 millions étaient déjà retournés à l'école depuis le début du déconfinement le 11 mai. La reprise de l'instruction obligatoire à plein temps devrait gonfler ce chiffre, même si l'objectif de 100% ne sera sans doute pas atteint.
Professeurs de primaire ou de collège, la plupart savourent ces retrouvailles avec leurs élèves. La reprise s'est toutefois déroulée dans l'incertitude : "Il y a eu des ordres et des contre-ordres. Cela n'aide pas les enseignants à s'organiser dans les établissements", tempête Laetitia Faivre, professeure d'anglais et responsable du syndicat SNES-FSU de Paris.
Pour les membres du personnel de l'Education nationale, fatigués de la versatilité des directives du ministère, il faut désormais faire preuve de réalisme : le retard accumulé est réel pour les élèves. "Ce n'est pas en deux semaines qu'on va le rattraper", tranche Elisabeth Kutas, institutrice et secrétaire départementale du syndicat SNUIPP-FSU 75.
"Cela n'a ni queue ni tête"
Dès lors, à quoi vont servir ces quelques jours de classe, avant les grandes vacances ? "Finir le programme ? Ce n'est absolument pas notre but !", s'exclame en riant Marine, enseignante dans une école primaire REP+ de la périphérie toulousaine. Cela n'aurait d'ailleurs pas été le cas non plus lors d'une année classique, précise-t-elle, du fait des difficultés scolaires de ses élèves. La jeune institutrice se réjouit de retrouver sa classe de CE2 pour deux semaines, bien que l'intérêt pédagogique soit à ses yeux limité : "Tout reprendre pour deux semaines, cela n'a ni queue ni tête". Ses élèves, âgés de 8 à 9 ans, ont perdu l'habitude d'être en classe. Il faut à présent les réacclimater au rythme scolaire, se remettre au travail et apprendre aux nouveaux (re)venus les gestes barrières.
Ce sera impossible de finir les programmes parce que, pour nous, l'école s'est arrêtée le 13 mars. Ce qu'on fait depuis, c'est un maintien du lien scolaire avec les élèves, mais en aucun cas l'école
Elisabeth Kutas, secrétaire départementale du syndicat SNUIPP-FSU 75à franceinfo
Les écoliers ont du mal à se concentrer et à suivre attentivement les journées entières de cours, constate Isabelle Verove. "Il faut qu'ils se remettent à travailler sur le papier, à s'écouter les uns les autres, à lire…", explique-t-elle. Si la continuité pédagogique s'est bien déroulée, il était important pour l'institutrice de retrouver en présentiel ses élèves, avant leur passage dans une classe supérieure. Marine abonde dans son sens : "Je suis très contente de les retrouver pour finir l'année en bonne et due forme."
"Deux semaines de cours, ça compte. Chaque jour, chaque heure compte", a assuré Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale. Un point de vue que Marine et Isabelle partagent. Le confinement a été violent pour les enfants, insistent-elles. Il leur apparaît donc important de retrouver leurs élèves pour en discuter, et de s'assurer que la fin de l'année scolaire leur laissera un bon souvenir. "On va organiser une fête de la musique", ajoute Isabelle Verove, "pour qu'ils retrouvent le goût de l'école".
Situation compliquée dans les collèges
Si le retard accumulé ne pourra pas être rattrapé, les enseignants se veulent toutefois rassurants : tout sera fait pour que le passage d'une classe à l'autre se déroule dans les meilleures conditions. Dans l'école primaire d'Isabelle Verove, les premières semaines de septembre seront consacrées à la révision ou à l'acquisition des notions clés.
La transition risque d'être plus difficile au collège, s'inquiète Marie, professeure d'histoire-géographie dans le Val-de-Marne. Son collège ferme le 30 juin. Il ne lui reste donc plus "qu'une semaine et un jour" pour vérifier que ses élèves de quatrième sont prêts pour leur rentrée en troisième. Or, les adolescents ne sont pas enclins à replonger dans les cours.
Pour eux, les fins d'année sont déjà dures. Là, on les fait reprendre alors que le conseil de classe est passé. Les élèves ne veulent pas être là, on fait garderie
Marie, professeure d'histoire-géographie dans un collège du Val-de-Marneà franceinfo
La reprise dans les établissements du secondaire est du reste très inégale, souligne Laetitia Faivre. Certains collèges n'ont pas la place nécessaire pour reprendre des effectifs complets, et l'utilité de cette brève reprise dépend des matières enseignées. Ces nombreuses conditions inquiètent Martin, jeune enseignant stagiaire en histoire-géographie : "On est passé d'une situation qui créait des inégalités à une situation qui les aggrave", déplore-t-il. Ainsi, les cours à distance provoquaient des disparités entre ceux "qui avaient leur propre ordinateur" et "ceux qui se partageaient un ordinateur à trois ou quatre". Le retour en classe n'a rien arrangé : les bons élèves sont revenus en premier, volontaires, et le temps est insuffisant pour récupérer ceux qui ont entre-temps décroché.
Comme pour les écoles primaires, Elie Taron, professeur d'EPS dans un établissement membre du réseau d'éducation prioritaire d'Oise (région particulièrement touchée par l'épidémie), estime que cette rentrée dans les collèges permet avant tout d'échanger avec les élèves. Il s'agit notamment d'évoquer la période compliquée du confinement. Des moments indispensables, avant "deux mois où ils vont se retrouver tout seuls".
Besoin de mesures unificatrices
Néanmoins, ils restent insuffisants pour détecter les difficultés ou les violences qu'ont pu subir certains élèves pendant le confinement, craignent les enseignants. "Nous n'avons reçu aucune consigne particulière et nous ne sommes pas formés pour cela, donc ce n'est pas en voyant un gamin trois heures par semaine que nous allons détecter de tels problèmes", regrette Marie.
Désormais, les regards sont déjà braqués sur la prochaine rentrée, celle de septembre, avec, là encore, son lot d'incertitudes et de questions. "On va à présent attendre les directives du ministère, car on va avoir besoin de mesures unificatrices", conclut Laetitia Faivre.
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