: Témoignages Comment le Covid-19 les a poussés vers plus de solidarité : "J'ai eu besoin d'agir au-delà des applaudissements"
Visite en Ehpad, déjeuners solidaires ou groupes d'entraide… Face à la crise, ces internautes de franceinfo ont choisi de tendre la main à des inconnus.
J'ai voulu apporter ma petite pierre à l'édifice, faire quelque chose de bien pour les autres." Dorothée, 37 ans, a joint les actes aux paroles en organisant des déjeuners solidaires pour les étudiants. Le temps d'un repas partagé en famille, "ils sortent de leur isolement", constate cette jeune mère de famille de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Comme Dorothée, face à la crise sanitaire, économique et sociale provoquée par le Covid-19, Robin, Cécile, Catarina, Samuel, Elisabeth et Marine ont été poussés par un élan de solidarité. Tous ont répondu à l'appel à témoignages lancé par franceinfo.
Dès le premier soir du confinement de mars, Elisabeth, 46 ans, a décroché son téléphone pour appeler ses proches. "J'ai eu besoin d'agir au-delà des applaudissements à 20 heures", confie-t-elle. "Tous les soirs, j'appelais une personne durant une heure." D'abord sa famille, puis des connaissances et des amis "perdus de vue depuis trois ans". Au total, Elisabeth a pris des nouvelles d'une "bonne soixantaine" de personnes, qui ont pu, avec elle, déjouer la solitude, le temps d'une conversation.
"Très vite j'ai appelé mes connaissances travaillant dans le médical pour leur passer un petit mot sympa et m'enquérir de ce qu'ils vivaient."
Elisabethà franceinfo
Certaines de ces conversations ont pu avoir des effets concrets. "J'ai pu aider des gens, comme cette dame qui sortait d'hôpital et qui n'avait pas de suivi à domicile", illustre celle qui travaille pour la région Bourgogne Franche-Comté, et qui a pu mieux l'orienter.
Entraide à tous les étages
C'est à son entourage géographique que Cécile, 55 ans, a commencé à apporter son soutien. Mi-mars, cette juriste a créé un groupe sur la messagerie WhatsApp pour réunir les habitants de sa cage d'escalier, dans un immeuble du 12e arrondissement de Paris. "J'ai senti que la situation était très difficile pour tout le monde : une voisine s'était cassé le pied, d'autres n'avaient pas d'imprimante pour éditer les attestations… Alors, j'ai collé une affichette dans l'ascenseur pour proposer de monter un groupe d'entraide", explique Cécile.
Peu à peu, la solidarité s'est organisée à tous les étages de l'immeuble. Il s'agissait d'"imprimer des attestations", de "donner des nouvelles d'une voisine hospitalisée" ou de "monter les courses d'une autre". Le groupe semble bien parti pour durer au-delà du couvre-feu. "Avec les huit familles du groupe nous rayonnons sur une douzaine de familles et nous aidons particulièrement les personnes âgées et en difficulté", explique l'initiatrice du mouvement.
Car la crise sanitaire ébranle particulièrement les étudiants et les seniors qui se retrouvent isolés. C'est à ces derniers que Catarina, 51 ans, a voulu venir en aide. "Cela fait longtemps que j'en avais envie, mais je ne savais pas comment m'y prendre", témoigne cette hôtesse de l'air. Depuis un mois et demi, elle retrouve une dizaine de résidents d'un Ehpad de Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), deux après-midi par semaine. Elle a profité de la forte baisse de son activité pour répondre à une annonce de l'association Aviation sans frontière (ASF), qui cherchait des bénévoles. "Nous jouons, nous discutons et nous chantons ensemble", raconte-t-elle, "ravie".
"Parfois, je soulage le personnel qui manque de temps en aidant un résident qui a un problème de téléphone ou de télévision."
Catarinaà franceinfo
Dorothée, en congé parental, se souvient du moment difficile où elle a dû quitter ses parents pour ses études : c'est ce qui l'a poussée à tendre la main à des "étudiants coincés tous seuls loin de leur famille". "Voir la situation des étudiants qui se dégrade, ça été comme une claque, il fallait que je fasse quelque chose", relate-t-elle. Elle a créé fin janvier une page Facebook appelée "Déjeuners solidaires", dont les membres proposent aux étudiants de la faculté de Créteil de partager un moment en famille. "Une jeune étudiante est venue goûter dans une des familles d'accueil, raconte Dorothée. Elle a eu l'impression pendant deux heures de retrouver sa famille, ses sœurs."
Démissionner pour "être utile où il le faut"
La "détresse" des étudiants a aussi poussé Robin, 28 ans, à quitter son poste de commercial pour rejoindre le pôle "vie étudiante" de la faculté de Rennes. En colocation avec une étudiante, Robin s'est rendu compte que "son état d'esprit se dégradait". "Avec le deuxième confinement, j'ai vu que mes amis étudiants répondaient de moins en moins à mes sollicitations, qu'ils perdaient leur joie de vivre..." détaille celui qui avait aussi le sentiment "ne pas être utile là où il fallait".
Depuis la mi-janvier, Robin accompagne des centaines d'étudiants sur le campus, en leur prêtant un ordinateur, en débloquant une aide à la connexion de 50 euros ou en leur attribuant un parrain ou une marraine. "Hier, il y a un étudiant qui est venu me voir complètement paniqué faute d'informations sur son cursus. J'ai pu le rediriger vers les bons interlocuteurs", précise le jeune homme à peine plus âgé que ceux qu'il aide.
Marine, 34 ans, avait aussi à cœur d'aider et de rompre avec l'isolement, lorsqu'elle a créé un groupe solidaire sur Facebook. "Le rendez-vous des filles de Poitiers" va bientôt fêter ses douze mois. A l'époque, cette graphiste au chômage avait trouvé "pesante" l'annonce du premier confinement.
"Quand on nous a dit 'tout le monde chez vous sans voir personne', j'ai pensé que c'était le moment de créer ce groupe d'entraide entre filles, pour casser la solitude.
Marineà franceinfo
La jeune femme assure que "s'il y a une personne dans ce groupe qui a un problème, elle peut en discuter sans jugement". Aujourd'hui, environ 2 000 abonnées s'y partagent de bonnes adresses (dentistes, nourrices, garagistes…), leurs astuces, organisent des ateliers de cuisine, de yoga ou de maquillage en direct sur Facebook. "Grâce au groupe, de jeunes mamans qui ne connaissaient personne autour d'elles ont pu rencontrer leurs proches voisines, atteste Marine, d'autres ont trouvé un emploi ou pris des contacts pour leur travail".
La solidarité a d'ailleurs pris un tour professionnel chez Samuel, 40 ans. Depuis la fermeture des salles de concert et l'annulation des tournées, ce guitariste-compositeur ne joue plus, ce qui a eu de lourdes conséquences sur ses rentrées d'argent. C'est ce qui l'a poussé à créer une plateforme de diffusion de contenus en continu pour rapprocher les artistes et leur public. "Cette plateforme de streaming solidaire est une réponse au problème de la crise, à l'absence de live et au coût des contenus digitaux en ligne", développe Samuel. En mettant sa plateforme gratuitement à disposition des musiciens, il veut leur permettre de se rapprocher de leurs fans et leur "redonner la possibilité de contrôler leurs revenus".
Une "bouffée d'air frais en prise avec la réalité"
Modestes, les témoins interrogés admettent tous avoir tiré profit de leur engagement solidaire, "une expérience qui nous pousse hors de nous", selon les mots de Dorothée. "Cela me fait du bien d'aider les étudiants quand même, reconnaît ainsi Robin. J'ai l'impression d'être utile et de faire ce qu'il faut là où il faut." Catarina ne pensait pas que donner un peu de son temps à des personnes âgées lui apporterait autant : "C'est une ambiance qui fait du bien à tout le monde à l'Ehpad !" De son côté, Cécile constate tous les jours les effets du groupe de voisins : dans son immeuble, l'ambiance s'est réchauffée. "A force d'entraide, il y a beaucoup d'échanges sur beaucoup de sujets différents", raconte-t-elle.
Pour Elisabeth, les appels téléphoniques constituent une véritable "bouffée d'air frais, en prise avec la réalité concrète de ce que les gens vivent." Celle qui dit avoir détesté les "apéros visio" a vécu de "meilleurs moments" avec ses coups de fil à des inconnus. Même si son métier "très prenant" lui laisse peu de temps, elle a envie de faire perdurer ces moments qui brisent la solitude, le temps d'une conversation.
Quand la vie "normale" aura repris son cours, certains pensent à transformer cette aide ponctuelle en un engagement durable. "Il paraît que quand on commence, on n'a plus envie d'arrêter", souffle Dorothée. Ainsi, Elisabeth réfléchit à se réorienter professionnellement dans le social, Marine envisage de créer une association d'entraide dédiée aux femmes et Catarina "rêve de faire des maraudes". Quant à Robin, dont le contrat se termine en juin, il ne se projette pas pour l'instant. "J'ai répondu à l'urgence et n'ai pas réfléchi à l'après." En attendant, tous espèrent que leur solidarité en inspirera d'autres.
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