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Covid-19 : faut-il se passer des vaccins à "vecteur viral" d'AstraZeneca et de Janssen ?

Ils sont associés à des risques de thromboses et boudés dans les centres de vaccination. Pourtant, il semble difficile de mener la lutte actuelle contre le Covid-19 sans eux.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des flacons vides de vaccins contre le Covid-19 dans un centre de vaccination de Rosenheim (Allemagne), le 20 avril 2021. (CHRISTOF STACHE / AFP)

Feu vert maintenu pour le vaccin de Janssen (filiale de Johnson & Johnson). Face à l'épidémie de Covid-19, les bénéfices l'emportent sur les risques, a estimé l'Agence européenne des médicaments (EMA), mardi 20 avril. L'agence admet tout de même "un lien possible avec de très rares cas de caillots sanguins inhabituels associés à des plaquettes sanguines basses". Le même phénomène a déjà été observé après des injections du vaccin d'AstraZeneca, élaboré à partir de la même technologie du "vecteur viral". Et les mêmes conclusions ont été rendues.

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Mais la défiance s'est déjà installée dans l'Hexagone vis-à-vis d'AstraZeneca et de son vaccin conçu par des chercheurs de l'université britannique d'Oxford. En témoigne l'échec d'une campagne de vaccination à Nice, où seules 50 personnes ont été vaccinées, alors que 4 000 doses étaient disponibles.

Faut-il se passer de ces deux vaccins ? Eléments de réponse.

Des vaccins associés à des thromboses graves

Les deux vaccins, longtemps attendus pour accélérer les campagnes de vaccination européennes, sont désormais associés à un risque de thrombose inhabituelle, touchant des veines du cerveau ou de l'abdomen. Des cas très rares mais très graves. Dès le 8 avril, l'Agence européenne des médicaments (en anglais) confirmait "un lien possible "entre l'injection du vaccin d'AstraZeneca et ces thromboses atypiques. Le 14 avril, le Danemark en tirait des conclusions radicales, en devenant le premier pays en Europe à renoncer définitivement à ce vaccin pour sa population. En France, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a relevé, au 16 avril, 23 cas de thromboses atypiques et d'anomalies de la coagulation, dont huit ont entraîné des décès, sur plus de 2,7 millions d'injections avec le vaccin d'AstraZeneca.

De l'autre côté de l'Atlantique, c'est le vaccin de Janssen qui attire les mêmes suspicions. Les Etats-Unis ont suspendu son utilisation. Sur les 7,5 millions de personnes vaccinées avec ces doses, sept femmes ont développé des cas graves de caillots sanguins et l'une en est morte. Toutes avaient moins de 60 ans, comme les personnes qui ont souffert de thromboses après des injections d'AstraZeneca.

Ce risque de thromboses singulières n'a en revanche pas été imputé pour l'instant aux vaccins de Pfizer-BioNTech et Moderna.

Le "vecteur viral" remis en question

Comment l'expliquer ? "On ne connaît pas le mécanisme direct qui amène ces effets indésirables", répond Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie à l'Ecole des hautes études de santé publique de Rennes. Une piste, seulement : les vaccins liés à ces thromboses reposent sur la technologie du "vecteur viral" et non sur celle de l'ARN messager. "On a zéro thrombose atypique à ce jour avec les vaccins à ARN messager", tranche Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie du CHU de Bordeaux, joint par franceinfo.

Au départ, "l'idée est la même : avoir un ARN messager qui rentre dans la cellule et qui fait fabriquer la protéine Spike à l'organisme", expose Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS à Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus. Le vecteur employé pour y parvenir est différent. "Au lieu de faire rentrer directement l'ARN messager dans la cellule, on utilise un autre vecteur, un adénovirus rendu bénin". Dans le cas d'AstraZeneca, il s'agit d'un adénovirus de chimpanzé, génétiquement modifié pour devenir inoffensif et incapable de se répliquer, quand Janssen a choisi un adénovirus humain.

"Ce vaccin à base d'adénovirus donne une très bonne immunité, constate Bruno Canard, mais aussi de rares cas de thromboses". En conséquence, poursuit-il, "à l'heure actuelle, le match entre les vaccins à vecteur viral et les vaccins à ARN messager est gagné 1 à 0 par ces derniers".

"Les vaccins à ARN messager ont une efficacité fantastique et ils sont très propres, en ayant réussi à faire rentrer directement l'ARN messager dans les cellules, sans recours à un vecteur comme l'adénovirus qui peut créer des réactions parasites."

Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

Une technologie moins souple face aux variants

Les vaccins à ARN messager passent également pour plus efficaces que celui d'AstraZeneca face au variant identifié en Afrique du Sud, selon des données gouvernementales sud-africaines relayées par la HAS. Sur le variant P.1, repéré au Brésil et déjà bien implanté en Guyane, le Conseil scientifique chargé de conseiller l'exécutif reste prudent dans son avis du 16 avril. "L'efficacité des vaccins sur le variant parait conservée, mais diminuée."D'après les tests réalisés in vitro, plus le vaccin a suscité d'anticorps, plus il garderait d'efficacité face au variant, même si celle-ci est diminuée. "Pour Pfizer, par exemple, il y a une efficacité très forte, de 95% [selon l'EMA]. Donc si on perd un peu sur ces 95% d'efficacité, il en reste encore beaucoup", considère Bruno Canard.

Le directeur de recherche du CNRS crédite surtout les vaccins à ARN messager d'une autre qualité face aux variants jugés préoccupants : "Leur processus de fabrication est très réactif. Ils sont simples à faire et à adapter rapidement aux nouvelles séquences du virus quand il mute." "C'est le mode de production le plus adaptable", surenchérit Pascal Crépey.

"Dans les vaccins à ARN messager, il suffit de changer l'ARN que l'on intègre dans le vaccin pour l'adapter aux nouveaux variants. C'est plus compliqué avec les vaccins à adénovirus où il faut recombiner les protéines."

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

Les biotechs concernées s'apprêtent, d'ailleurs, à sortir leurs nouvelles gammes. Ce qui n'a pas échappé au Conseil scientifique, qui recommande d'anticiper l'arrivée en métropole du variant P.1 "à l'été" en effectuant des "précommandes de vaccins ciblés" sur ces nouveaux variants.

Des vaccins indispensables pour le moment

La France a-t-elle vraiment les moyens de se cantonner aux vaccins à ARN messager ? Non, car il y a urgence, répond Mathieu Molimard. Or, le vaccin d'AstraZeneca a la même efficacité que celui de Pfizer contre les formes graves menant à l'hospitalisation, selon des études écossaise et britannique sur la vaccination réelle à grande échelle.

"Pour l'instant, il y a le feu, clame le pharmacologue. Tant que l'épidémie flambe avec plus de 200 morts par jour [300 en moyenne ces derniers jours], il faut prendre le risque de vacciner les plus de 55 ans avec l'AstraZeneca", juge-t-il. Le Danemark, qui a renoncé au produit, "ne joue pas dans la même cour". Le royaume déplore "un ou deux morts par jour", en moyenne, depuis début mars.

"Sur 100 000 morts, 95% ont plus de 55 ans. Prendre un risque (de thrombose) de 1 sur 100 000 face à des gens qui ont un risque de mourir du Covid-19 de 1 pour 100 ou de 1 pour 1 000, ça reste un bénéfice-risque qui est favorable."

Mathieu Molimard, pharmacologue

à franceinfo

"A l'heure actuelle, si le choix, c'est entre AstraZeneca ou pas de vaccin du tout, il faut choisir AstraZeneca si on a plus de 55 ans", abonde Pascal Crépey, qui met en balance "un risque faible de thrombose par rapport aux risques engendrés par le Covid-19".

A plus long terme, la cause semble entendue. "Si vous avez le choix entre une vaccination très efficace avec peu d'effets secondaires et une vaccination un peu moins efficace avec un risque un peu plus important d'effets graves, qu'est-ce que vous préférez ?" interroge Pascal Crépey.

Le risque mortel avec les thromboses atypiques est de 1 sur 100 000, reprend Mathieu Molimard. "Si on veut traiter toute la population, y compris les plus jeunes, qui ont un risque très faible face au Covid, ce risque-là n'est pas acceptable", tranche-t-il. Plus la vaccination sera élargie, "plus il faudra un risque infinitésimal". Pour le pharmacologue, les vaccins à adénovirus contre le Covid-19 seront, à terme, mis au placard. "On ne vaccinerait pas contre le tétanos avec un tel risque", tranche-t-il.

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