Covid-19 : ils sont hésitants, réticents ou oubliés... Comment atteindre ceux qui n'ont pas encore été vaccinés ?
Il faudrait vacciner plus de 75% de la population pour assurer l'immunité collective, selon les spécialistes. Un taux qui ne sera atteint qu'avec un effort des autorités de santé pour toucher les personnes les plus éloignées de la campagne vaccinale.
En mai, fais (presque) ce qu'il te plaît. Les terrasses se déploient, le couvre-feu est repoussé et le rythme des piqûres s'accélère. Le 19 mai, 32,25% des Français avaient ainsi reçu au moins une dose de vaccin contre le Covid-19, selon le site CovidTracker, qui exploite les données de l'agence nationale Santé publique France (SPF).
Bonne nouvelle, mais la France reste encore très éloignée d'une couverture vaccinale à hauteur de "77% à 80%" de la population. Il s'agit pourtant, selon Samuel Alizon, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des maladies infectieuses, du seuil qui serait nécessaire, avec la propagation des différents variants, pour atteindre l'immunité collective. Celle-ci permet d'enrayer la propagation d'une maladie contagieuse dans une population, à partir du moment où une large majorité d'entre elle est immunisée.
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Une fois que toutes les doses auront été livrées, comment atteindre les dernières personnes qui n'ont pas été vaccinées ? Cette part de la population dans laquelle se mêlent les réticents, les hésitants, les indifférents et les éloignés du système de santé. La question se posera forcément, alors que la campagne vaccinale sera ouverte à toute personne majeure à partir du 31 mai.
Près de 20% de personnes réfractaires
Premier outil, le baromètre des intentions de vaccination, scruté par les autorités sanitaires. Il est à la hausse : seuls 20% des Français n'auraient pas l'intention de se faire vacciner, contre 30% il y a trois mois, selon un sondage Opinionway réalisé du 3 au 11 mai et publié dans Le Monde (article payant). Il faut néanmoins ajouter 13% d'hésitants.
Même tendance relevée dans l'enquête au long cours CoviPrev publiée le 6 mai 2021 dans le point épidémiologique de Santé publique France. Selon cette étude, 60% des sondés n'avaient "probablement pas" ou "certainement pas" l'intention de se faire vacciner en décembre 2020. Quatre mois plus tard, ils n'étaient plus que 44%.
Les personnes dites réticentes invoquent la crainte d'effets indésirables (pour 69% d'entre elles, "les nouveaux vaccins ne sont pas sûrs"), le manque d'efficacité "pour empêcher la propagation de l’épidémie" (26%), ou encore le fait de ne pas pouvoir "choisir son vaccin" (20%). Mais certaines se disent prêtes à changer d'avis s’il y a "des informations qui prouvent l’efficacité et la sûreté du vaccin" (32%) ou encore pour "protéger leurs proches" (16%).
"Convaincre prend du temps"
Pour lever les doutes, le professeur Emmanuel Rusch, praticien hospitalier en santé publique à Tours et président de la Société française de santé publique, s'en tient à une règle d'or. "Quelle que soit la population à laquelle on s’adresse, il y a des principes éthiques à respecter : pas de recours à la discrimination, à la stigmatisation ou à la culpabilisation, expose-t-il à franceinfo. Il faut une information claire et loyale pour obtenir un consentement éclairé à la vaccination."
Médecin généraliste près de Limoges, Jean-Christophe Nogrette abonde : "Il y a certes un petit fond d’antivaccins et de complotistes pour lequel ce n’est pas la peine de se fatiguer. Peut-être 3 ou 4% dans ma patientèle, c’est très marginal. Il y a surtout les hésitants."
"On les convainc en leur expliquant que la vaccination est le seul moyen de sortir de cette épidémie."
Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste près de Limogesà franceinfo
"Il faut expliquer qu'un vaccin efficace stimule très fort le système immunitaire. Parfois si fort qu'il peut provoquer de graves effets, et c’est pour ça qu’il est efficace. Le vaccin d'AstraZeneca [qui a entraîné des cas de thromboses graves, avec 11 décès en France sur 4 millions d'injections, selon l'Agence nationale du médicament] n'est pas le seul dans ce cas, poursuit-il. Quand on leur explique, les gens comprennent. On peut convaincre quasiment tout le monde, mais il faut y passer du temps."
"On se protège soi-même, mais aussi les autres"
D'autant plus chronophage que les Français sont "saoulés d'informations" sur la pandémie. Et qu'ils en retiennent souvent ce qui les arrange, selon le docteur Michael Schwarzinger, de l'Unité hospitalière d'innovation en prévention du CHU de Bordeaux. "Chaque argument va conforter les intentions initiales. Pour les antivaccins, chaque information sur les effets indésirables ou sur les variants appuie leur idée de ne pas se faire vacciner", affirme le coauteur d'une étude sur l'adhésion vaccinale pour Santé publique France (en décembre 2020).
Il observe qu'à l'époque, "42% des 18-64 ans ne voulaient d'aucun vaccin, dont l'efficacité venait pourtant d'être démontrée". Selon lui, c'était particulièrement le cas des actifs de 25 à 50 ans "qui se demandaient pourquoi ils se feraient vacciner". Une tranche d'âge qui, en principe, a peu de risque de contracter une forme grave de la maladie. D'où la nécessité d'une communication spécifique à l'égard de cette partie de la population qui reste, pour l'essentiel, à vacciner. "Il faut faire passer le message que l’on se protège soi-même, mais aussi les autres", résume Emmanuel Rusch.
"La solidarité doit rester la boussole permanente. C’est un bon moteur."
Emmanuel Rusch, épidémiologisteà franceinfo
A condition d'utiliser ce levier avec finesse. Selon lui, le spot télévisé diffusé en mars, à l'attention des personnes âgées, donne l'exemple de ce qu'il faut éviter. Il mettait en scène une grand-mère se faisant vacciner pour recevoir ses petits-enfants. "Une personne âgée issue d'un milieu socio-professionnel aisé qui renvoie à des stéréotypes, commente l'épidémiologiste. Cela ne joue que sur l'émotion et sur l'injonction d'accueillir ses petits-enfants, avec un message qui peut être perçu comme culpabilisant."
Des cercles de confiance
Pour emporter l'adhésion vaccinale du plus grand nombre, le maître-mot d'Alain Fischer est plutôt "proximité". Le professeur d'immunologie, "Monsieur vaccin du gouvernement", sait qu'un fois les convaincus immunisés, il faudra travailler dans la dentelle pour faire basculer les hésitants. Et s'appuyer sur des "cercles" de confiance, synthétise-t-il pour franceinfo.
"Ce qui fonctionne le mieux, c’est la proximité : les parents pour convaincre les enfants, les amis pour convaincre leurs amis, etc. C'est le premier cercle : des gens de confiance."
Alain Fischer, président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinaleà franceinfo
Il évoque ensuite un deuxième cercle, regroupant les professionnels de santé, qu'ils soient médecins généralistes, pharmaciens ou infirmiers. Enfin, le troisième cercle est celui des "ambassadeurs" de la cause. "Des personnes connues qui peuvent s'adresser à telle ou telle communauté. Des sportifs, des rappeurs, etc." D'où, peut-être, la maladroite tentative du Premier ministre, Jean Castex, d'enrôler Sheila pour redorer le blason du vaccin d'AstraZeneca, avant que la chanteuse refuse poliment.
Tout le monde "ne s'inscrit pas sur Doctolib" !
Reste un dernier objectif – peut-être le plus complexe – dans la dernière ligne droite de cette campagne vaccinale : atteindre les personnes oubliées et les éloignées du système de santé. Des ARS aux associations de malades, des mairies aux centres d'aide sociale, des myriades d'acteurs s'activent pour aller vers ces délaissés. D'ici au mois de septembre, Médecins sans frontières (MSF) va ainsi tenter de vacciner 10 000 personnes à la rue, en hébergement d'urgence ou qui résident dans les foyers de travailleurs migrants. "Des personnes précaires qui n'avaient pas été jugées prioritaires jusque-là, hors critères d'âge", s'agace Corinne Torre, cheffe de la mission France de MSF.
Car, sur le terrain, les différents acteurs s'exaspèrent des failles du dispositif gouvernemental. "Les patients les plus éloignés du système de santé ne vont pas s'inscrire sur Doctolib ! Ils attendent qu’on vienne les vacciner à la maison", fulmine Jean-Christophe Nogrette, en incriminant le faible nombre de doses qu'il a reçues, en tant que médecin généraliste installé en Haute-Vienne.
"Parmi mes patients, plusieurs personnes très peu mobiles m'ont dit : 'Je vais attendre que vous ayez des doses pour que vous puissiez venir me vacciner à la maison.' Mais au total, j'ai reçu cinq flacons de dix doses de vaccins AstraZeneca, puisque c'est tout ce qu'on nous a donné pour l'instant."
Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste en Haute-Vienne
à franceinfo, le 18 mai
"J’ai vacciné 50 personnes en tout alors que j’aurais pu en vacciner 50 par semaine !" s'énerve Jean-Christophe Nogrette.
"Les derniers pourcentages sont difficiles à atteindre"
Lorsque la pénurie de doses sera passée, le problème se posera autrement. Les spécialistes savent déjà qu'au-delà d'un certain seuil, la campagne a tendance à ralentir. Le phénomène est déjà observé outre-Atlantique, où le tempo des injections décélère alors que 48% de la population a reçu au moins une injection. En cause, la défiance d'une partie de la population influencée par des rumeurs, notamment sur les réseaux sociaux, faisant croire, par exemple, que la vaccination rend stérile. D'où l'importance, rappelle Emmanuel Rusch, d'effectuer "un travail de longue haleine d'information sur la vaccination, à répéter sans cesse, et pas uniquement sur le Covid-19".
Mais il note aussi, parallèlement, que très peu d'objectifs de santé atteignent le niveau élevé de 75% auquel aspirent les autorités pour la couverture vaccinale contre le Covid-19. "On connaît bien cette difficulté. Les derniers pourcentages sont toujours difficiles à atteindre. C'est pareil quand on organise un dépistage contre le cancer. On ne peut arriver à des taux importants que sur des dispositifs de vaccination infantile dans lequel la population a confiance depuis longtemps, comme la vaccination contre la diphtérie, le tétanos, la polio."
Qu'importent les bémols, Alain Fischer se veut résolument optimiste : "Il n’y a pas de seuils universels qui font qu’on ne peut plus vacciner davantage, affirme-t-il à franceinfo. L’objectif, c'est toujours 100 millions de doses d’ici la fin de l’été."
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