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Covid-19 : la nouvelle stratégie vaccinale est "une obligation qui ne dit pas son nom", selon un sociologue

Pour Jocelyn Raude, la France est en train de passer vers "une stratégie d'incitation dure" à la vaccination contre le Covid-19.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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un homme est vacciné contre le Covid-19, le 23 juin 2021. Photo d'illustration. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

La nouvelle stratégie vaccinale contre le Covid-19 du gouvernement est "une obligation qui ne dit pas son nom", estime un sociologue mardi 13 juillet sur franceinfo au lendemain des annonces d'Emmanuel Macron lors de son allocution. Jocelyn Raude explique que la France est en train de passer vers "une stratégie d'incitation dure" revenant à "rendre le coût social de la vaccination tellement important que c'est très difficile d'y échapper". Pour autant, l'enseignant-chercheur en psychologie sociale ne considère pas que l'extension de l'obligation de la vaccination puisse être "génératrice de tensions dans la société française".

franceinfo : Le porte-parole du gouvernement dit que plus d'un million de rendez-vous de vaccination ont été pris depuis l'allocution du chef de l'Etat hier soir. Est-ce que vous en concluez qu'il fallait ces nouvelles contraintes pour que la campagne de vaccination reprenne de plus belle ?

Jocelyn Raude : Ce qui est clair, c'est que nous avons un changement majeur dans la stratégie vaccinale. Jusqu'à présent nous avions une stratégie d'incitation douce pour pousser la population vers la vaccination. On est en train de passer vers une stratégie d'incitation dure qui s'appelle en santé publique "l'exigibilité". Il s'agit d'une stratégie qui avait été développée notamment aux Etats-Unis pour ne pas rendre la vaccination obligatoire, mais qui consiste à rendre le coût social de la non-vaccination tellement important que la plupart des gens sont fortement incités, sinon encouragés, à se faire vacciner. Ce qu'on voit depuis quelques heures, c'est que les attentistes ou ceux qui procrastinaient ont tout d'un coup précipité la décision vaccinale. Mais ça ne veut pas dire que les opposants à la vaccination vont eux se faire vacciner.

Cette stratégie de l'exigibilité, c'est une obligation déguisée ? Peut-elle être contre-productive en démocratie ?

C'est une obligation qui ne dit pas son nom. Historiquement, c'est parce que les démocraties libérales voulaient se distinguer des États totalitaires, notamment les régimes communistes, qui avaient imposé la vaccination dans les années 1950-1960. Comme on ne souhaitait pas appliquer le même type de paternalisme médical, on a mis en place des stratégies différentes en Occident mais qui reviennent finalement à rendre le coût social de la vaccination tellement important que c'est très difficile d'y échapper.

Cette stratégie a fait ses preuves dans les dernières décennies mais historiquement, on a eu des moments, dans l'histoire de la vaccination, de tensions extrêmement fortes avec des mouvements très proches de celui des "gilets jaunes", notamment en Angleterre ou aux États-Unis : à la suite de l'obligation de se faire vacciner, notamment contre la variole, on a pu assister à des mobilisations sociales qui ont généré des émeutes urbaines avec des tensions extrêmement importantes. Il y a aussi l'épisode de la "Revolta da Vacina" (en 1904) qui est un peu l'épisode de la Commune de Rio de Janeiro avec une grande partie de la population qui s'est révoltée contre l'obligation vaccinale.

Mais ça ne s'est pas vraiment vu en France qui a longtemps été vue comme la patrie des vaccins modernes à travers la figure de Pasteur. C'était une sorte de gloire nationale pendant extrêmement longtemps. On a vu ce consensus autour de la vaccination s'effriter à partir des années 2000 avec même un renversement important à partir de 2009-2010 et la France est devenue progressivement l'un des pays les plus vaccino-sceptiques.

Cette obligation déguisée peut-elle alimenter des tensions en France au cours des semaines et des mois qui viennent ?

Il y a deux hypothèses. L'une, pessimiste, lit l'Histoire un peu ancienne et l'autre, un peu plus optimiste, regarde ce qu'il s'est passé au cours des dix dernières années. Beaucoup d'experts estimaient que l'extension de l'obligation de la vaccination, notamment chez les enfants, serait génératrice de tensions dans la société française. Ça n'a finalement pas été le cas, il y a eu très peu de mobilisation en 2016 suite à l'extension de l'obligation vaccinale pour les enfants. Il est probable que ce soit le même scénario qui se joue dans les semaines qui viennent.

Ceux qui ne sont pas vaccinés aujourd'hui ne forment pas du tout un bloc homogène ?

Ceux qu'on appelle les "hésitants" constituent en effet une population très diverse. On a évidemment les "antivax", donc des gens qui sont plutôt activistes ou militants et qui sont catégoriquement opposés à la vaccination. Mais on a aussi beaucoup de gens qui sont plutôt rationnels, notamment des jeunes qui sont très peu à risque de formes graves du Covid et qui procrastinent un peu ou sont dans l'attentisme.

Ce que l'on sait depuis le début de la pandémie, c'est que le contexte épidémiologique joue un rôle extrêmement important dans la motivation à la protection et notamment à se faire vacciner. Comme on était plutôt dans une dynamique extrêmement positive depuis plusieurs semaines, une espèce d'optimisme soufflait sur la société française et il y avait une forme de relâchement avec notamment le "syndrome du vacciné" : les gens vaccinés avaient tendance à relâcher les autres gestes de précaution. Ce souffle a probablement eu un effet un peu pervers.

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