Covid-19 : le vaccin est-il aussi efficace quand on allonge le délai entre les deux doses ?
Le protocole développé par Pfizer et BioNTech prévoyait l'administration de deux doses de vaccin à 21 jours d'intervalle. Les autorités sanitaires françaises ont élargi ce délai jusqu'à 42 jours, afin de vacciner des publics plus larges et de répondre aux tensions logistiques.
La France s'est convertie au pragmatisme britannique. D'abord réfractaires, comme l'Allemagne, à l'idée de modifier le protocole vaccinal, les autorités sanitaires ont décidé de suivre l'exemple du Royaume-Uni, du Danemark et du Québec en espaçant davantage les deux injections nécessaires du vaccin contre le Covid-19. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) considère désormais que l'administration de la seconde dose peut être envisagée entre 21 jours et 42 jours après la première, "au vu des circonstances actuelles spécifiques", selon un avis paru jeudi 7 janvier.
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Une première dose déjà efficace…
Les laboratoires Pfizer/BioNtech et Moderna ont pourtant mené la dernière phase de leurs essais cliniques avec des injections espacées respectivement de 21 et 28 jours. C'est sur cette base qu'ils ont obtenu leur autorisation conditionnelle de mise sur le marché (AMM), délivrée par la Commission européenne. En modifiant ce protocole, la France souhaite "élargir la couverture vaccinale des personnes prioritaires" et "faire face aux fluctuations d'approvisionnements".
Quelles données scientifiques permettent aux autorités de recourir à cet usage hors AMM ? L'ANSM mise avant tout sur l'efficacité de la première dose de Comirnaty, nom commercial du vaccin développé par Pfizer et BioNTech. L'agence cite les résultats des essais menés par l'alliance industrielle, avec une efficacité de 86,7% (69-95%), 10 jours après la première dose, et de 92,3% (69-98%), 14 jours après. L'effet de ces vaccins n'est pas immédiat : l'ARNm commande rapidement la synthèse de l'antigène dans les ribosomes des cellules, mais il faut encore un peu de temps pour que l'organisme produise des anticorps spécifiques.
Une autre étude parue dans le New England Journal of Medicine (en anglais), indépendante celle-ci, évalue l'efficacité du vaccin à 52% (29,5-68,4%) dans l'intervalle entre les deux doses, sans données détaillées sur les dates. L'étude souligne l'apparition d'une protection aux alentours de 10 ou 12 jours après la première injection.
Mais pour combien de temps ?
L'efficacité de la première dose semble optimale deux semaines après l'injection. Toutefois, personne ne dispose de données sur la durée de cette protection initiale, car les participants aux essais cliniques ont massivement suivi le protocole à deux doses espacées de 21 jours. Dans son avis, l'ANSM admet que "la durée de la protection clinique atteinte après une première dose de Comirnaty n'est pas connue". D'ailleurs, après l'annonce britannique de reporter la seconde injection jusqu'à douze semaines (84 jours), Pfizer, contacté par l'agence Reuters (en anglais), a remis les pendules à l'heure.
"Il n'existe pas de données permettant de démontrer que la protection offerte par la première dose est maintenue après 21 jours."
Pfizercité par l'agence Reuters
Le choix de fixer ce délai maximum à 42 jours (six semaines) en France peut donc sembler arbitraire. L'ANSM le justifie en citant le "protocole d'étude" de Pfizer, qui prévoit une fenêtre comprise entre 19 et 42 jours. Cependant, il n'est pas précisé combien de participants ont reçu la seconde dose au-delà des 21 jours et ce plafond de 42 jours apparaît davantage comme un critère d'exclusion de l'étude en cas de dépassement.
Une telle décision est difficile à prendre, mais une modification du protocole peut toutefois être envisagée si le rapport risque/bénéfice reste favorable. "On aura peut-être une petite perte d'efficacité, mais elle sera très largement compensée par le nombre de personnes qu'on va pouvoir vacciner", assure sur franceinfo l'infectiologue Odile Launay, membre du Comité scientifique vaccin Covid-19. L'émergence d'un variant du virus identifié Royaume-Uni a sans doute joué un rôle d'épouvantail. L'idée est d'anticiper la circulation de cette souche très contagieuse, tout en composant avec des stocks encore limités.
D'autres études nécessaires
Cet allongement de l'intervalle entre deux doses mérite tout de même un complément d'information. Après une seule injection, "la réponse immunitaire n'est pas complètement mature", selon le biologiste Claude-Alexandre Gustave à franceinfo. Il ajoute qu'une "immunité faiblement neutralisante" pose un risque théorique de développer une maladie aggravée par la vaccination (dite aussi VAERD). Or, "même 21 jours après la première dose, l'immunité neutralisante est peu ou pas détectable. Elle n'apparaît qu'après la seconde injection". La VAERD est également associée à un certain type de réponse immunitaire. Les données de Pfizer/BioNTech semblent rassurantes sur ce point, car les essais montrent que c'est le bon type de réponse immunitaire qui est induit, du moins avec les deux doses espacées de 21 jours.
Ces points restent donc à éclaircir, mais la principale interrogation est ailleurs. Pour protéger un individu de façon optimale, il faut battre le fer vaccinal quand il est chaud, afin d'éviter tout relâchement de la pression immunitaire. Après la première dose, la réponse immunitaire risque d'être trop faible pour neutraliser le virus, et celui-ci sera par ailleurs encouragé à s'adapter pour contourner cette immunité. Cette situation peut "favoriser la sélection de mutants capables d'échapper à cette réponse", résume Claude-Alexandre Gustave. Ces variants plus résistants seront alors dotés d'un "avantage sélectif", dans un contexte où la part de population immunisée augmente (par la vaccination mais aussi par l'infection naturelle).
"Le fait d'allonger le délai entre les deux doses est possible, à condition d'assurer la seconde dose et d'éviter l'exposition au virus entre les deux."
Claude-Alexandre Gustaveà franceinfo
Le spécialiste insiste sur le nécessaire respect des mesures barrières dans l'intervalle entre les deux injections. Par ailleurs, "cela nécessiterait des explorations complémentaires pour documenter l'effet de ces adaptations du schéma vaccinal". A ce stade, aucun des points soulevés ne paraît rédhibitoire, car les risques sont très hypothétiques. Le recours au vaccin, par ailleurs, fait l'objet d'un contrôle étroit de pharmacovigilance.
Une interrogation déontologique
Enfin, sur un plan déontologique, cette décision peut également léser les publics les plus vulnérables. Administrer cette première dose à un nombre accru de personnes "peut se faire au détriment de ceux qui devaient avoir la seconde dans les temps", expliquait à franceinfo Paul Loubet, virologue au CHU de Nîmes (Gard).
De son côté, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se montre prudente et juge possible un report de quelques semaines, "dans des circonstances exceptionnelles de contextes épidémiologiques et de contraintes d'approvisionnement".
En France, l'Académie nationale de médecine recommande de ne repousser l'administration de la seconde dose "que si les circonstances l’exigent (manque de doses disponibles) et sans excéder un dépassement de trois semaines", et de limiter cette option "aux personnes âgées de moins de 50 ans et ne présentant aucun facteur de risque de forme grave de Covid-19". Un avis qui n'a rien de contraignant pour les autorités sanitaires.
Quel que soit le délai retenu pour le rappel vaccinal, l'administration d'une seconde dose reste impérative, car elle permet de maintenir l'efficacité du sérum dans le temps. L'ANSM précise donc qu'il est hors de question de limiter la vaccination avec les produits disponibles à une seule injection. Par ailleurs, les résultats de la phase 3 des essais cliniques menés par le fabricant Johnson & Johnson sont très attendus, car le groupe développe un vaccin à vecteur viral qui nécessite une simple dose.
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