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Récit Vaccin d'AstraZeneca : comment les polémiques ont empoisonné la campagne de vaccination contre le Covid-19

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 14min
Des flacons vides de vaccin AstraZeneca dans un centre de vaccination de Brest, en Bretagne, le 12 mars 2021. (FRED TANNEAU / AFP)

Le produit développé par le groupe britannique et l'université d'Oxford a vu son utilisation suspendue pendant quelques jours dans plusieurs pays, dont la France, avant que l'Agence européenne des médicaments ne le juge finalement "sûr et efficace".

Un coup d'arrêt dans la campagne de vaccination contre le Covid-19. Lundi 15 mars, le vaccin du géant pharmaceutique britannico-suédois AstraZeneca a été suspendu dans une douzaine de pays d'Europe, dont la France, en raison des suspicions de thromboses sur des personnes vaccinées. Tous attendaient l'avis, jeudi 18 mars, de l'Agence européenne des médicaments (EMA), chargée de tirer au clair ces soupçons d'effets indésirables. Le verdict est tombé dans l'après-midi : le vaccin AstraZeneca est un vaccin "sûr, efficace" et "non associé" à un risque plus élevé de caillot sanguin, selon sa directrice exécutive, Emer Cooke.

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Les injections d'AstraZenaca vont donc reprendre. Mais l'épisode laissera-t-il des traces ? Le produit conçu en collaboration avec l'université d'Oxford fait figure de mal-aimé par rapport à ses clinquants rivaux, les vaccins américains de Pfizer-BioNtech et Moderna, qui s'appuient sur une technologie innovante dite à ARN messager. On lui reproche tour à tour une efficacité supposée moindre que celle de ses concurrents, des effets indésirables allant de fortes fièvres à la formation de caillots sanguins, des retards de livraison... Retour sur les tribulations du vaccin d'AstraZeneca.

Une image rapidement écornée

A l'automne 2020, les premiers doutes naissent de déclarations erratiques. AstraZeneca affirme d'abord que son vaccin à vecteur viral est efficace à 62%, soit nettement moins que les 94,5% revendiqués par Pfizer. Mais il se ravise fin novembre, à la suite d'une erreur de dosage : cette efficacité s'élèverait en fait à 90% pour les participants ayant reçu par erreur une demi-dose, puis une dose complète à un mois d'intervalle.

Ces tâtonnements ne jouent pas en sa faveur. Alors qu'il était parti tôt dans la course, le vaccin AstraZeneca ne sera finalement que le troisième à être autorisé dans l'Union européenne par l'Agence européenne des médicaments, le 29 janvier 2021. Soit plus d'un mois après celui de Pfizer, à qui le feu vert avait été donné le 21 décembre 2020, et trois semaines après celui de Moderna, qui l'a obtenu le 6 janvier 2021. Son image de vaccin de second choix lui colle à la peau : au vu des essais cliniques, l'EMA ne le crédite que de 60% d'efficacité contre 95% pour Pfizer-BioNTech. Pour ne rien arranger, l'Allemagne, puis la France, via un avis de la Haute Autorité de santé (HAS) le 2 février, le déconseillent pour les plus de 65 ans, faute de données jugées suffisantes.

Il lui reste cependant des atouts de taille par rapport à ses concurrents : bon marché, il se stocke et se conserve beaucoup plus aisément. Selon ses concepteurs, il peut être "conservé, transporté et manipulé dans des conditions réfrigérées classiques (entre 2 et 8 °C) pendant au moins six mois". Et il est nettement moins cher que les autres : la Belgique l'a ainsi acheté à 1,78 euro la dose, contre 12 euros pour le vaccin de Pfizer et 14,60 euros pour celui de Moderna, selon les chiffres publiés, puis effacés sur Twitter, par la secrétaire d'Etat belge au Budget, Eva de Bleeker. Cet avantage s'explique, entre autres, parce qu'il est vendu à prix coûtant tant que l'épidémie bat son plein. Ainsi l'a voulu l'université d'Oxford, conceptrice du vaccin.

Une réhabilitation tardive

Pour le réhabiliter sur le plan médical, il faudra attendre les premiers résultats, fin février, d'une étude (en prépublication) de l'université d'Edimbourg portant sur la vaccination à vaste échelle de plus de 5 millions d'Ecossais. Un mois après l'administration de la première dose, le vaccin AstraZeneca se montre, selon ces travaux, plus efficace encore que celui de Pfizer contre les formes graves du Covid-19 entraînant une hospitalisation. "A plus de 90%", synthétise le 25 février le "monsieur vaccin" du gouvernement, Alain Fischer, dans une vidéo à l'intention des médecins.

Autre bonne nouvelle, une étude (également en prépublication) menée en conditions réelles au Royaume-Uni chez les plus de 70 ans relève que le vaccin AstraZeneca est "hautement efficace" après une première dose, particulièrement sur les hospitalisations (et donc les formes graves). La Haute Autorité de santé s'appuiera sur les données écossaises et britanniques pour élargir le 2 mars sa recommandation vaccinale d'AstraZeneca aux personnes âgées de 65 à 74 ans.

Un vaccin boudé par le personnel soignant 

S'il est efficace, encore faut-il l'administrer. Or, le 1er mars, la direction générale de la santé (qui dépend du ministère de la Santé) reconnaît, lors d'un point-presse, que seul un quart des 600 000 doses distribuées aux centres de santé à l'intention des soignants a fait l'objet d'une injection. En clair, 350 000 doses dorment dans les réfrigérateurs, alors que la Haute Autorité de santé recommande depuis un mois la vaccination des médecins, infirmières et aide-soignants avec des doses du vaccin AstraZeneca.

Pour mieux emporter la conviction, le ministre de la Santé (et médecin neurologue) Olivier Véran s'était pourtant fait publiquement vacciner sous l'œil des caméras, le 8 février, dans un hôpital de Melun. Un coup de com' qui ne convainc pas pour autant le personnel soignant.

Un soupçon d'effets indésirables

Pourquoi cette défiance ? D'abord parce que la presse s'est abondamment fait l'écho d'effets indésirables ressentis par des soignants à qui le vaccin d'AstraZeneca avait été administré. Dans un hôpital de Rouen (Seine-Maritime) où 20 soignants avaient reçu une première dose, "un tiers a ressenti des symptômes grippaux" temporaires, selon France 3. "J'ai été vaccinée mercredi soir et j'ai été malade toute la nuit, j'ai eu de très gros frissons et 39,5 °C de fièvre", témoignait une infirmière.

Mais ces symptômes, relevés par l'Agence nationale du médicament (ANSM) dans son suivi hebdomadaire des potentiels effets indésirables des vaccins, n'expliquent pas tout. Une partie du personnel soignant était a priori réticente à se faire vacciner, selon une enquête (PDF) menée en janvier par le groupe d'étude sur le risque d'exposition des soignants. Et un sentiment de "lutte des classes" a pu jouer, selon le médecin et romancier Baptiste Beaulieu, généraliste à Paris, cité par France Inter

"Les infirmières avec lesquelles je travaille m'ont dit que dans certains centres où elles bossaient, elles avaient vu les médecins coopter les doses de Pfizer pour eux et qu'elles s'étaient retrouvées avec de l'AstraZeneca."

Baptiste Beaulieu, médecin généraliste

sur France Inter

Le peu d'empressement, toutefois, n'est pas général. Toujours sur France Inter, le président de la Fédération nationale des infirmiers, Daniel Guillerm, fait valoir qu'"il n'y a pas de tergiversation à avoir. Si on veut régler le problème dans un écosystème dans lequel le virus est en mutation, c'est une course contre la montre qui est engagée. On a aujourd'hui des vaccins disponibles. On a possibilité de se faire vacciner gratuitement. Il faut absolument se mobiliser."  

Un élan tardif

Pendant ce temps-là, Emmanuel Macron s'appuie sur ces doses dormantes pour justifier sa décision de ne pas reconfiner : "Vous êtes gentils, mais tant que vous avez des vaccins dans les frigos, je ne reconfinerai pas les gens", aurait-il déclaré lors du Conseil de défense sanitaire du 3 mars (dont rien, théoriquement, ne doit filtrer puisque les participants sont tenus au secret défense). Aux ministres d'écouler les stocks, afin que la part de la population vaccinée augmente vraiment. L'exécutif joue d'abord de la persuasion. Alain Fischer loue un vaccin "efficace, sûr et bien toléré", dont les symptômes grippaux sont évitables avec du paracétamol.

Autre initiative, dès le 25 février, les médecins généralistes sont autorisés à injecter des doses d'AstraZeneca à leurs patients âgés de 50 à 74 ans, en commençant par les plus vulnérables avec comorbidités. Effet visible : le vaccin commence à décoller, avec 100 000 doses administrées en deux jours, selon Guillaume Rozier, le fondateur du site CovidTracker.

Et ça marche : depuis la fin février, la majorité des premières doses injectées chaque jour sont étiquetées AstraZeneca. Le ministère de la Santé s'inspire également des méthodes de la grande distribution. Façon soldes, des "opérations flash" sont organisées le week-end du 6 et 7 mars dans des centres de vaccination de grandes villes. Mais ce bel élan est vite menacé : autorisés le 15 mars à vacciner, les pharmaciens se plaignent déjà de livraisons au compte-gouttes.

Un problème de livraisons

En effet, l'approvisionnement ne suit pas. En avril, seules 25% des 9,2 millions de doses prévues au départ seront livrées à la France, a annoncé la ministre déléguée en charge de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, sur franceinfo le 16 mars. Que sont devenues les doses promises ? Ont-elles été livrées à d'autres pays et notamment au Royaume-Uni, berceau de l'entreprise et pays qui vaccine à tour de bras ? "C'est la question que nous posons à AstraZeneca", s'est agacée la ministre, jugeant que le "patron" de la société était "sur la sellette".

"A la manœuvre" depuis janvier, la Commission européenne semble pour l'instant impuissante à débloquer la situation, malgré de multiples bras-de-fer. A l'été 2020, le vaccin d'AstraZeneca avait été le premier à faire l'objet d'une précommande de Bruxelles au nom des Vingt-Sept, avec 300 millions de doses commandées, plus une option portant sur 100 millions de doses supplémentaires. Mais fin janvier 2021, l'entreprise avait fait savoir qu'elle ne pourrait livrer qu'un tiers des 120 millions de doses promises. En cause, selon elle, un problème de "rendement" dans son usine en Belgique. Le problème, visiblement, n'affecte pas les usines du Royaume-Uni, qui ne connaît pas de retard de livraisons.

Par mesure de rétorsion, l'UE réplique en annonçant qu'il va contrôler les exportations de vaccins AstraZeneca produits sur le sol européen. Mais rien n'y fait, et la mesure semble avoir des effets boomerang. Samedi 13 mars, AstraZeneca annonce de nouveaux retards de livraison. Le groupe affirme avoir décidé de recourir à ses sites de production en dehors de l'Union européenne pour livrer les pays européens, mais "malheureusement, des restrictions d'exportations réduiront les livraisons au premier trimestre" et "vraisemblablement au second", selon un porte-parole de l'entreprise. Car nombre de pays retiennent désormais leurs précieuses doses de vaccin, à commencer par les Etats-Unis, qui refusent de donner à l'Europe 30 millions de doses AstraZeneca inutilisées.

Une psychose autour des thromboses

Nouveau coup de théâtre à la mi-mars et vent de panique en Europe. Dès le jeudi 11, le Danemark, suivi par la Norvège et l'Islande, suspend le vaccin AstraZeneca "après des rapports de cas graves de formation de caillots sanguins chez des personnes qui ont été vaccinées". Copenhague reconnaît néanmoins qu'"à l'heure actuelle, on ne peut pas conclure à l'existence d'un lien entre le vaccin et les caillots sanguins". 

Le 15 mars, d'autres pays embrayent. Parmi eux, l'Allemagne, qui s'inquiète de sept cas de thromboses veineuses cérébrales sur 1,7 million de personnes vaccinées. Emmanuel Macron est pris de court et annonce en catastrophe que la France suspend à son tour "par précaution" l'utilisation du vaccin. Pourtant, dans l'Hexagone, l'Agence nationale de sécurité du médicament n'a recensé qu'"un cas de thromboses multiples".

"Au regard des données disponibles, rien ne permet de conclure que cet effet soit en lien avec le vaccin."

L'ANSM

dans son point de situation sur les vaccins du 12 mars

Au Royaume-Uni, où 11 millions de personnes ont reçu une dose, sans augmentation du nombre de caillots sanguins, l'incompréhension est totale. Quel sera le prix à payer pour cette valse-hésitation ? "Les gens étaient très hostiles au vaccin en début d'année, mais on a réussi à remonter la pente et maintenant ils le réclament. D'un seul coup, on introduit un doute. Quelle que soit la décision qui sera prise après, ça va être la catastrophe", résumait un médecin généraliste au micro de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. A l'arrivée, l'Agence européenne des médicaments considère que "ses avantages dans la protection des personnes contre le Covid-19 l'emportent sur les risques possibles". Et la campagne de vaccination, elle, aura pris plusieurs jours de retard supplémentaires.

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