Vaccins Covid : "Nos entreprises apparaissent comme des sous-traitants de la grande industrie innovante", déplore une chercheuse
Économiste de la santé, Nathalie Coutinet plaide pour "une grande politique européenne de santé et du médicament" et des "investissements publics massifs pour redresser la barre".
"Nos entreprises apparaissent comme des sous-traitants de la grande industrie innovante", déplore la chercheuse Nathalie Coutinet, économiste de la santé, enseignante-chercheuse à l’Université Sorbonne Paris-Nord, mercredi 3 février sur franceinfo. Emmanuel Macron a annoncé mardi sur TF1 que la production de vaccins débuterait "fin février ou début mars".
franceinfo : Aucun vaccin contre le Covid-19 n’a pu être développé en France jusqu'à présent. Quels sont les ratés de la recherche hexagonale ?
Nathalie Coutinet : Le problème de la recherche française, c'est qu'elle est sous-financée par rapport à nos grands partenaires économiques comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les États-Unis. Les crédits publics consacrés à la recherche en France sont deux fois inférieurs à ceux de l'Allemagne et ils ont diminué de 28% entre 2011 et 2018, alors qu'ils ont augmenté en Allemagne et au Royaume-Uni. Il y a un déficit d'investissements publics dans la recherche pharmaceutique. On a aussi des entreprises françaises qui externalisent de plus en plus la recherche vers les États-Unis, par exemple. Il faut redynamiser la recherche en France, ce qui passe d'abord par des crédits publics, mais des crédits directs. Aujourd'hui, on finance beaucoup la recherche via le crédit-impôt recherche dont l'efficacité est pour le moins contestée dans un rapport de France Stratégie. Beaucoup de projets sur les biotechnologies telles que l’ARN messager, par exemple, sont issus d'universités. Or, l'université française est plutôt malmenée depuis un certain nombre d'années.
Les patrons de Moderna et d'AstraZeneca sont Français. La France ne sait pas retenir ses cerveaux ?
La France a du mal à retenir ses cerveaux. Les salaires des chercheurs sont beaucoup plus intéressants dans d'autres pays. Et puis aussi en termes d'équipements, l'université est souvent dégradée. Et quand on va dans les universités étrangères, on voit qu'il y a un investissement étranger dans ses capacités de recherches fondamentales qui est moins développée en France. Nos entreprises apparaissent comme des sous-traitants de la grande industrie innovante. Sanofi va mettre en flacon le vaccin de Pfizer. Ce n'est effectivement pas très glorieux pour la principale firme française, qui a été en plus beaucoup soutenue dans les années antérieures par les pouvoirs publics. C’est du gâchis, cela illustre la frilosité d’investir en France.
"On ne peut pas d'un côté développer la nécessité d'une souveraineté sanitaire qui est réelle, et en même temps, ne pas investir dans ce qui nous permettra d'avoir cette souveraineté sanitaire dans le futur."
Nathalie Coutinet, chercheuse et économiste de la santéà franceinfo
Faut-il réfléchir, investir à l'échelon européen au-delà de l'échelon national ?
Vraisemblablement c’est la bonne échelle. Il manque effectivement un grand programme de santé au niveau européen. On a une agence du médicament qui ne fait que délivrer des autorisations de mise sur les marchés, mais qui n'a pas de vision stratégique pour le futur. Et peut-être que c'est une des missions qu'il faudrait lui donner : avoir une vision stratégique au niveau européen pour la santé au sens large, c'est-à-dire pas seulement le vaccin. Une grande politique européenne de santé et du médicament serait sûrement nécessaire avec des investissements publics massifs pour redresser la barre.
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