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Vrai ou faux Covid-19 : Monaco est-il responsable du taux d'incidence élevé des Alpes-Maritimes ?

Christian Estrosi et Valérie Pécresse accusent la politique sanitaire de Monaco d'avoir favorisé la progression de la pandémie dans les Alpes-Maritimes. Pourtant, les données scientifiques manquent pour étayer cette théorie.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Temps de lecture : 8min
Le Prince Albert II de Monaco avait contracté le Covid-19 mi-mars, mais n'avait souffert que de légers symptômes. (VALERY HACHE / AFP)

Un taux d'incidence de nouveau élevé dans les Alpes-Maritimes. Avec 358,3 personnes contaminées par le virus du Covid-19 pour 100 000 habitants, entre le 29 décembre et le 4 janvier, le département affiche le pire score national actuel. Une situation à laquelle la principauté voisine de Monaco ne serait pas étrangère, a accusé le maire de Nice, Christian Estrosi, le 6 janvier, dans Libération : "Vous avez, à 20 kilomètres de Nice, un Etat dont les commerces et les restaurants sont ouverts et les gens se disent : on va aller prendre du bon temps." La présidente LR de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, interrogée le lendemain sur franceinfo, a repris l'accusation à son compte : "A Nice, ce sont les transferts entre Monaco et Nice qui sont source de contamination." Est-ce vraiment le cas ?

Pendant les fêtes, le Rocher est en effet devenu une destination privilégiée. Les restaurants y sont ouverts, comme les casinos et les salles de spectacle. Une aubaine, alors que ces lieux restent fermés en France jusqu'à la fin du mois de janvier au moins.

Un tour de vis à Monaco

Outre un contrôle renforcé des établissements, un protocole sanitaire a été mis en place par le gouvernement monégasque depuis le 1er novembre pour encadrer leur activité : distance de 1,5 mètre entre chaque table, limite de six convives, mange-debout et canapés supprimés et musique interdite au sein des établissements pour limiter l'aérosolisation. Pas de quoi décourager les Français, venus en nombre passer le Nouvel An sur le Rocher moyennant une réservation d'hôtel obligatoire, rapporte France 3 Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Néanmoins, la principauté a opéré un tour de vis sanitaire à l'orée de l'année 2021. Depuis le 2 janvier, l'accès des restaurants monégasques est réservé aux seules personnes qui résident ou travaillent à Monaco. Une décision que la Principauté justifie par "l'évolution défavorable de la situation sanitaire dans les Alpes-Maritimes" et l'"augmentation" du nombre de cas positifs au Covid-19 sur le Rocher. Le 8 janvier, ce sont 23 nouveaux cas qui ont été comptabilisés parmi la population monégasque, portant à 1 041 le nombre de personnes infectées durant la pandémie.

Pourquoi ne pas avoir restreint plus tôt l'accès aux restaurants ? "Parce que nous n'observions pas d'accroissement du taux d'incidence", se défend le ministre de la Santé monégasque Didier Gamerdinger contacté par franceinfo, "et donc nous considérions que l'épidémie était relativement sous contrôle et ne justifiait pas de mesures plus sévères". C'est "vers le 12 ou le 15 décembre" que Monaco aurait commencé à connaître "une fréquentation qui dépassait" les seuils habituels avec "des personnes originaires de Nice, du Var ou de Marseille". "C'est ce qui nous a conduit, après les fêtes de fin d'année, à la limiter l'accès des restaurants, explique Didier Gamerdinger.

"Nous avions un taux d'incidence qui était en-dessous de celui de nos voisins avec un accroissement décalé dans le temps, plus tardif", se défend le conseiller du gouvernement monégasque face aux accusations de Christian Estrosi et Valérie Pécresse."Nous avons le sentiment que c'est plutôt l'inverse qui s'est passé." 

Le prince Albert II a lui aussi renvoyé la balle à Christian Estrosi, dans les pages de Nice Matin. "Nous avons eu une hausse des cas avec l'afflux de visiteurs supplémentaires pendant les fêtes."

"C'est un peu facile de la part de nos amis français de dire que Monaco est responsable de la hausse des cas chez eux."

Albert II

à Nice Matin

Le médecin du CHU de Nice Michel Carles, qui avait lui aussi pointé du doigt "les mouvements de personnes entre Nice et Monaco, qui n'applique pas les mêmes mesures sanitaires que chez nous", avait lui-même souligné l'impact des fêtes et des flux de voyageurs passés par la commune. "Il y a aussi des échanges avec l'Italie, et l'aéroport de Nice est le deuxième de France : on a reçu beaucoup de vacanciers pendant les fêtes avec un niveau de contrôle de ces mouvements probablement imparfait", avançait le 29 décembre le chef du service infectiologie du CHU de Nice.

Une chaîne de contamination difficile à remonter

Un coup d'œil aux types de "clusters" de contamination listés par Santé publique France peut sembler utile pour déterminer le rôle de l'ouverture des restaurants dans la progression de la pandémie. Depuis le mois de mai, dans les Alpes-Maritimes, 40,6% de ces groupes d'au moins trois cas reliés et détectés en moins de sept jours ont émergé dans les entreprises du département, contre 2,7% lors d'"événements publics ou privés".

"On n'a pas pu déterminer de cluster dans les restaurants", a rapporté quant à lui le ministre de la Santé de Monaco à franceinfo, "mais on a constaté qu'il y avait un afflux de clientèle, des files d'attente à l'extérieur et beaucoup de monde à l'intérieur. Il y avait un fort brassage de la population, d'où la mesure que nous avons décidée [de restreindre l'accès des restaurants le 2 janvier]", se défend Didier Gamerdinger.

"Etudier les clusters, ça ne sert à rien du tout", tonne cependant l'épidémiologiste Catherine Hill, contactée par franceinfo. Seulement 10% des cas connus seraient rattachés à un cluster, avançait en octobre Santé publique France. Dans les "restaurants", comme dans les "magasins" ou les "transports en commun", de nombreuses personnes circulent en un temps réduit et sans se connaître : "difficile" dans ce cas de remonter la chaîne de contamination, défend l'épidémiologiste. Il est donc précipité de tenir Monaco pour responsable.

"Les clusters, on ne les trouve que là où il est facile de faire le lien."

Catherine Hill, épidémiologiste

à franceinfo

Un indicateur sujet à caution

En outre, "ce que les autorités appellent le taux d'incidence n'est pas un bon indicateur, car il dépend du nombre de personnes testées", corrige Catherine Hill. Avec 4 452,5 tests pour 100 000 habitants réalisés dans la semaine du 1er janvier, les Alpes-Maritimes détiennent en effet le 5e taux de dépistage le plus élevé de France, juste derrière la capitale, ce qui accroît mécaniquement son taux d'incidence – aujourd'hui le plus élevé de France – alors que 12 départements dépassent le territoire au classement national des taux de positivité.

Les Alpes-Maritimes connaissent malgré tout une forte pression hospitalière, avec un taux d'occupation des lits de réanimation qui atteignait 79,1% le 7 janvier (PDF). Un taux qui monte même à 87,2% pour l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Le premier des quatre centres prévus de vaccination a ouvert le 7 janvier, à Nice, rapporte France Bleu. L'objectif : vacciner 50 000 personnes par semaine jusqu'à la fin du mois, avec l'espoir de ralentir la pandémie. Côté monégasque, "750 personnes ont pu être vaccinées" sur les 38 000 résidents du Rocher, et "le couvre-feu va être avancé à 19h", a annoncé le ministre de la Santé de Monaco à franceinfo en amont d'une déclaration à la presse. "Les restaurants ne pourront plus effectuer de service du soir, et ce sera la même chose pour le casino", a détaillé Didier Gamerdinger.

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