Au centre d'appels Ebola, petites angoisses et vraies questions
Pour faire face aux inquiétudes liées à cette maladie, le ministère de la Santé a mis en place, samedi, un numéro vert. Francetv info s'est rendu auprès des conseillers qui répondent tous les jours aux craintes du grand public.
"Sie-rra Le-one, Li-be-ria." D'une voix grave et posée, Laurent appuie sur toutes les syllabes des noms des pays d'Afrique de l'Ouest touchés par le virus Ebola. "Donc, oui Madame, vous pouvez vous rendre au Sénégal. Je vous souhaite bon voyage Madame", confirme-t-il, les yeux rivés sur les indications disponibles sur le site du ministère des Affaires étrangères. Avec trois autres collègues, jeudi 16 octobre, il répond aux appels, plus ou moins inquiets, qui atterrissent sur le 0800 13 00 00, le numéro vert mis en place par le gouvernement, samedi 11 octobre, pour rassurer le grand public, sept jours sur sept, de 9 heures à 21 heures.
"Mon fils policier se fait cracher dessus"
Scotché sur la vitre de séparation entre chaque poste de ce centre d'appels de Romainville (Seine-Saint-Denis), le b.a.-ba sur Ebola : symptômes et modes de transmission. Des informations répétées en boucle pour calmer, par exemple, cette mère d'un policier "amené à faire des contrôles sur tout un tas de gens..." à Paris.
- "Le virus Ebola se transmet par les fluides corporels, le sang, les vomissements, les selles, la salive, le sperme..."
- "Oui, mais justement, parfois, lors des contrôles, il se fait cracher dessus..."
Trois appels plus tard, c'est de sueur dont il est question. Elle fait craindre une contamination à un prof de sport de Genève (Suisse), qui travaille dans une salle au "public cosmopolite". Il souhaite, du coup, que son employeur mette en place un protocole de protection. A chaque fois, en l'absence de risque immédiat, Cédric rappelle quels sont les premiers symptômes et répète les règles d'hygiène de base, comme se laver les mains régulièrement, avec une solution hydro-alcoolique si besoin.
Comme en canon, ce sont les mêmes réflexes du quotidien que détaille Rozenn, assise sur la chaise voisine, à une femme du Bas-Rhin. Elle s'apprête à recevoir son beau-père venu de République démocratique du Congo (RDC). "Il va être contrôlé au départ et à l'atterrissage, une brochure d'informations lui sera distribuée", liste la conseillère, qui incite quand même le beau-père en question à "prendre sa température deux fois par jours pendant 21 jours". Autre réflexe, relever les coordonnées complètes des cas suspects, comme indiqué en majuscules sur le grand tableau blanc placardé en plein centre des bureaux.
Cependant, "on ne peut rien faire à la place des gens", regrette Rozenn, qui vient d'avoir, pour la deuxième fois en 48 heures, "un monsieur qui travaille dans l'aviation et qui a été en contact avec du sang d'oiseau à Conakry (Guinée). Comme il affirme avoir de la fièvre, je lui ai dit de ne pas sortir de chez lui et d'appeler le 15. Mais, visiblement, il ne l'a pas fait."
"Ils veulent 'la vraie information'"
Habituellement employés sur d'autres plateformes dédiées à des numéros "santé", comme tabac info service, les opérateurs mobilisés ne sont pas médecins, mais ils sont aguerris aux centres d'appels de crise. Beaucoup étaient déjà au bout du fil lors de l'épidémie de Sras en mai 2003 et de la grippe aviaire l'année suivante. Et ils ne sortent jamais du cadre donné par les "éléments de langages du ministère", explique Cécile Hennebert, détachée du ministère de la Santé pour gérer la plateforme. Les équipes ne cessent de renvoyer vers le site internet de la Santé. "C'est important que les gens voient la même information partout", assure-t-elle.
"Souvent, ils connaissent déjà la réponse, mais les gens appellent parce qu'ils veulent 'la vraie information', ils ont l'impression 'de lire tout et n'importe quoi'", abonde Rozenn. Premiers angoissés, les voyageurs qui doivent se rendre en Afrique. Avec quelques cas particuliers, comme celui d'une mère qui a remué "ciel et mer" pour empêcher le départ de son fils, soldat, en Guinée, l'un des pays les plus touchés par le virus. Son cas a été remonté, par mail, au ministère de la Santé, qui la rappellera directement si besoin.
Des inquiétudes à La Poste et chez les taxis
Remontées aussi les angoisses de Marcel*. Ce septuagénaire de Calais (Pas-de-Calais) s'inquiète de ne voir aucun contrôle médical sur les nombreux migrants clandestins présents en ville. "Si un cas se déclare, ils n'iront pas à l'hôpital, de peur de se faire expulser", avertit-il redoutant une "catastrophe".
Remontée, enfin, l'épineuse question sur la durée de vie du virus sur les objets contaminés, soulevée notamment du côté de La Poste, où certains employés se retrouvent confrontés à des colis en provenance des pays à risque. Une question qui taraude aussi les taxis, qui se demandent s'ils peuvent porter, sans risque, les bagages de passagers en provenance d'Afrique de l'Ouest. "Quand on ne sait pas, on le dit simplement et on prend les coordonnées pour rappeler avec la réponse", lance Cédric. Mais dans ce cas précis, "on n'aura jamais vraiment la réponse puisque, scientifiquement, il faudrait tester la durée de vie du virus sur chaque type de supports", ajoute Cécile Hennebert.
"Quelques hypocondriaques"
Avec pas loin de 2 000 appels depuis samedi, "on ne peut pas vraiment dire que les gens sont inquiets", analyse-t-elle. Et de rappeler qu'actuellement, seul le niveau 2 est déclenché sur une échelle qui en compte 11, permettant, en cas de vraie panique, de recevoir jusqu'à 80 000 appels par jour sur plusieurs centres en France. Pour l'instant, quelques personnels de santé s'interrogent sur les protocoles à suivre, comme cette infirmière de Seine-Saint-Denis, qui travaille dans une association recevant des adolescents majoritairement africains. Ils sont redirigés vers la page du site du ministère qui leur est dédiée, et vers les Agences régionales de santé (ARS).
"A part quelques hypocondriaques", le centre fait face plutôt à des inquiétudes raisonnées, résume la responsable, qui se souvient d'un appel avec un scénario "délirant", lors de l'épidémie de grippe aviaire : "Si un pigeon malade tombe dans un lac, que mon chien boit l'eau du lac et fait un câlin à mon enfant, mon enfant peut-il attraper la maladie ?" "Avec Ebola, on n'en est pas là", sourit-elle.
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