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Pourquoi il est faux de dire que l'épidémie de grippe saisonnière est “cachée” pour cause de Covid-19

Si les Français n’entendent pas parler de grippe saisonnière, ce n’est pas parce que la crise sanitaire prend le dessus, mais bien parce que le temps de l’épidémie grippale n’est pas encore venu. Et ne viendra peut-être pas cette année.

Article rédigé par franceinfo - Elsa de la Roche Saint André
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Campagne pour la vaccination saisonnière contre la grippe. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Le Covid a tout éradiqué.” Depuis plusieurs jours, des messages sur les réseaux sociaux s’étonnent de n’entendre plus parler que de l’épidémie de Covid-19, aux dépends des maladies habituellement au cœur des préoccupations à ce stade de l’année. Notamment celui de Silvano Trotta, un YouTubeur qui a acquis une large audience ces derniers mois en critiquant la parole des scientifiques et qui figure au casting des intervenants dans le documentaire complotiste "Hold-up".

Selon les auteurs de ces publications, l’attention portée à la crise sanitaire masquerait la circulation des virus saisonniers. Notamment celui de la grippe, dont on avait beaucoup parlé ces dernières semaines en raison de la pénurie de vaccins, après le lancement en octobre de la campagne officielle de vaccination contre cette maladie. La Cellule Vrai du Faux de franceinfo vous explique pourquoi l’affirmation selon laquelle le Covid-19 prendrait le pas sur la grippe saisonnière est infondée.

Parce que la "saison" de la grippe n’a pas réellement démarré

Dans son dossier sur la grippe saisonnière, dont la dernière mise à jour remonte à mai 2019, Santé publique France note que "en France métropolitaine, l’épidémie survient chaque année, généralement entre les mois de novembre et avril, avec un démarrage le plus souvent fin décembre-début janvier." N’étant actuellement qu’à la fin du mois de novembre, le pays ne se situe pas dans l’intervalle habituel de déclenchement de l’épidémie de grippe saisonnière. 

D’après les données collectées par le réseau Sentinelles, qui surveille l’incidence des symptômes grippaux depuis 1984 , le pic épidémique intervient généralement aux mois de janvier et février. Sauf exception, comme ce fut le cas lors de la saison 2009-2010, où l’épidémie grippale avait atteint son pic au tout début du mois de décembre. À l’inverse, en 2016, le pic avait été atteint au cœur du mois de mars.

La survenance de l’épidémie varie donc chaque année, de même que sa durée – huit semaines en 2018-2019, le double en 2017-2018 – et son intensité. Il n’est donc pas étonnant qu’à ce jour, les médecins de ville et hôpitaux ne fassent pas remonter une progression des cas de grippe saisonnière.

Parce que les données des autorités sanitaires attestent d’une circulation de la grippe très limitée

Le bulletin épidémiologique à propos de la grippe publié le 25 novembre par Santé publique France, portant sur la deuxième semaine de novembre, signale qu’à ce stade, il n’y a "pas de circulation de virus grippaux identifiée par les réseaux de surveillance dédiés". Seulement six cas ont été détectés en milieu hospitalier dans des régions différentes, dont au moins deux chez des patients qui revenaient d’un voyage à l’étranger.

Ceci dit, dans le contexte de crise sanitaire, Santé publique France prévient que "la surveillance de la grippe repose uniquement sur les diagnostics confirmés de grippe : données virologiques, cas graves de grippe admis en réanimation et les signalements d’épisodes d’infections respiratoires aigües liés à la grippe dans les collectivités de personnes âgées".

La même semaine – sachant que la surveillance a été lancée, comme habituellement, fin septembre-début octobre – aucun cas de grippe n’avait été identifié dans les Ehpad, ni parmi les patients admis en réanimation. Parmi tous les passages aux urgences, moins de 0,1% sont intervenus en raison d’un syndrome grippal, selon les données de la plateforme Géodes.

"L’épidémie peut être un peu plus tardive, cela ne veut pas dire qu’elle n’arrivera pas, décrypte Alexandre Bleibtreu, médecin-infectiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Mais il faut regarder ce qui s’est passé dans l’hémisphère sud, en particulier en Australie : sur la période de l’hiver austral, il n’y a pas eu cette année d’épidémie grippale ou de circulation importante de virus grippaux. En France, si la situation suit la même trajectoire, il y aura soit très peu, soit pas de cas de grippe."

Parce que les mesures sanitaires pourraient empêcher toute épidémie de grippe

Les mesures imposées par la lutte contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 pourraient fortement ralentir la progression de celle de grippe. Confinés, les Français entrent moins en contact les uns avec les autres et ne se regroupent pas à l’occasion de grands rassemblements. Le port du masque généralisé limite la transmission de virus par voie de gouttelettes ou par voie aérienne. 

Quant aux gestes barrière contre le Covid-19, Alexandre Bleibtreu relève qu'ils sont "pour beaucoup ceux que l’on préconise chaque année pour la grippe : se moucher avec des mouchoirs à usage unique et les jeter dans une poubelle, se laver les mains, rester à distance des plus fragiles… "

En pleine crise sanitaire, les pouvoirs publics ont également mis l’accent sur la vaccination contre la grippe. "Toutes les mesures qu’on essaye de diffuser dans la société, depuis des années et des années, sont déjà en place", se réjouit le médecin-infectiologue de la Pitié-Salpêtrière. Même si "le SARS-CoV-2 et les virus grippaux n’ont pas exactement les mêmes modes de transmission", la lutte contre l’un est efficace contre les autres, et inversement. "Si on fait l’addition entre les données épidémiologiques de l’Asie, une adhésion un peu plus forte au vaccin antigrippal cette année, ainsi que le maintien des gestes barrière et l’instauration de périodes de confinement, il est fort probable qu’on n’ait pas de pic épidémique saisonnier cette année", conclut Alexandre Bleibtreu.

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