"La cause, c'est l'argent" : un pharmacologue pointe du doigt l'industrie pharmaceutique dans la pénurie de médicaments
Interrogé jeudi sur franceinfo, le pharmacologue Alain Astier dénonce la délocalisation de la "fabrication des médicaments et des matières premières hors de l'Europe".
Afin de faire face à la pénurie de certains médicaments, le Premier ministre Edouard Philippe reçoit jeudi 19 septembre en fin d'après-midi les entreprises du secteur. Selon Alain Astier, pharmacologue, membre de l’Académie nationale de pharmacie, cette pénurie s'explique par la volonté de l'industrie pharmaceutique "d'optimiser les rendements et les profits". Le docteur Astier indique que "80% des matières premières et donc des principes actifs des médicaments consommés en Europe ne sont plus fabriqués en Europe". Le pharmacologue plaide pour la création d'une "structure publique à but non lucratif" qui permettrait notamment de fabriquer les médicaments dont les patients ont besoin.
franceinfo : Les pénuries de médicaments se sont-elles aggravées ces dernières années ?
Alain Astier : Absolument. En 10 ans, entre 2008 et 2018, le nombre de ruptures de stocks de médicaments considérés comme essentiels a été multiplié par 20. C'est une augmentation exponentielle. Avant, cela touchait essentiellement l'hôpital, mais maintenant cela touche également la médecine de ville. Beaucoup de médicaments sont touchés. Mais ce que l'on trouve communément, ce sont en général les médicaments anciens, génériques, injectables, limités dans leur utilisation à une petite partie de la population. Parmi ces médicaments on trouve des anticancéreux, des produits d'anesthésie, des produits du système nerveux central, des antibiotiques, etc. Leur point commun étant qu'ils ne rapportent plus assez à l'industrie pharmaceutique.
Est-ce qu'il y a toujours un produit de substitution ?
En général on arrive à trouver des produits de substitution mais ils ne sont, sauf cas particuliers, jamais aussi bons que les produits de référence. Le produit de remplacement sera peut-être moins actif ou aura des effets indésirables pour le patient. Par exemple, dans certains cancers, on a donné des médicaments de substitution à des patients et cet autre produit était moins efficace et avait moins d'action sur la guérison de leur cancer que le médicament prescrit à l’origine.
Certains patients sont-ils donc tentés de se fournir sur internet ?
Evidemment, le risque est là. Il est de se fournir de manière extérieure. En sachant que sur internet, plus de la moitié des médicaments sont des produits trafiqués qui ne contiennent pas le bon dosage ou qui sont des mélanges avec des impuretés. Il est donc extrêmement dangereux de se procurer ces produits par une voie détournée, sur internet notamment.
Les laboratoires ont donc, selon vous, leur responsabilité dans cette pénurie de médicaments...
Ce sont essentiellement les laboratoires qui sont en cause. Ce sont eux qui fabriquent les médicaments. La cause primaire, c'est l'argent. Pour optimiser les rendements et les profits, l'industrie pharmaceutique a eu recours à un certain nombre de techniques que l'on retrouve ailleurs dans d'autres types d'industries. Il s'agit par exemple d'avoir des stocks minimums. Et au moindre problème, on n’a donc plus de produits. Il s'agit également pour l'industrie pharmaceutique de délocaliser la fabrication des médicaments et notamment des matières premières hors de l'Europe. 80% des matières premières, et donc des principes actifs des médicaments consommés en Europe, ne sont plus fabriqués en Europe. Tout ça pour faire des économies et parce que fabriquer en Europe est considéré comme trop cher.
Quelle est la solution pour résorber cette pénurie de médicaments ?
Une des solutions envisagées et qui émerge aux Etats-Unis serait la création d'une structure publique à but non lucratif, peut-être à l'échelle européenne. Cela permettrait d'acheter des médicaments en quantité, de les stocker, voire de les fabriquer. Un médicament est un produit stratégique.
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