: Témoignages "J'ai appelé tous les numéros à 30 km à la ronde" : démunis face au manque de pédopsychiatres, des parents se confient
"Nous investirons fortement sur la santé physique et mentale de nos enfants, car c'est ainsi que nous préparons au mieux l'avenir." Si la promesse du ministre de la Santé, François Braun, lors de ses vœux, lundi 30 janvier, concerne aussi la santé mentale des plus jeunes, ce n'est pas un hasard. Les professionnels n'ont de cesse d'alerter sur la situation alarmante de la pédopsychiatrie, plus particulièrement depuis la pandémie de Covid-19. A l'instar de la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a signalé, dans un rapport publié en novembre 2021, le manque de moyens matériels et humains. "En ville, plus d'une dizaine de départements sont totalement dépourvus de pédopsychiatres libéraux", a-t-elle souligné.
Et quand des pédopsychiatres sont présents, ils sont parfois débordés. Or, des milliers d'enfants et d'adolescents ont besoin d'un accompagnement régulier et de traitements pour soigner leur dépression, leur hyperactivité ou encore leurs troubles du comportement alimentaire. Chaque jour, des familles tentent, comme elles le peuvent, de surmonter ces lacunes. Franceinfo a recueilli six témoignages, alors que les travaux préparatoires des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant ont été lancés mi-janvier par le ministre et que leurs conclusions sont attendues au printemps.
Véronique, à Lyon : "Face aux ados qui tentent de se suicider, ma fille n'est pas un cas prioritaire"
Les nuits de Solène* s'étirent, au point de ne plus être synonymes de repos, mais d'inquiétude. Depuis novembre 2020, l'adolescente de 15 ans et demi peut dormir jusqu'à 20 heures sur 24, témoigne sa mère, Véronique. Un état préoccupant, qui l'a conduite à être hospitalisée plusieurs jours à Lyon. Une hypersomnie a été identifiée. "Le médecin qui a dressé ce diagnostic a recommandé qu'elle soit suivie par un pédopsychiatre, rappelle la maman, car sa pathologie est connue et peut être soignée."
Mais aucun des 40 spécialistes contactés par Véronique n'a pu recevoir sa fille. "Ils me répondent tous que face aux ados qui tentent de se suicider, ma fille n'est pas un cas prioritaire, se désole-t-elle. Et en même temps, je comprends, je me mets à la place des autres parents…" La mère de famille a constitué un dossier, qui accompagne chaque nouvelle tentative de prise de rendez-vous.
Lyonnaise, elle a même étendu ses recherches jusqu'à Paris, à plus de 450 km. Mais elle n'arrive toujours pas à trouver un médecin pour sa fille. "Elle se sent comme un zombie, s'inquiète Véronique. Sa situation s'est arrangée, parce que ma fille a pris sur elle, mais elle a très peur de rechuter." Pour le moment, l'adolescente est prise en charge par une psychologue en libéral, "la première disponible sur Doctolib". Mais cette dernière n'est pas spécialisée dans le suivi des enfants, ni dans la pathologie de Solène. "Elle l'écoute, mais là où ça pèche, d'après les médecins qu'elle a vus, c'est qu'il faudrait un traitement médicamenteux", souligne Véronique. Or, contrairement à un pédopsychiatre, un psychologue ne peut pas prescrire de médicament. En attendant, Solène se bat tous les jours pour écourter ses nuits.
Lisa, dans le Loiret : "Ça va être très difficile de monter très régulièrement à Paris"
Lisa n'oubliera jamais ce jour de décembre 2022 où Lucas*, son fils de 5 ans, a commencé à parler de l'agression sexuelle qu'il avait subie de la part d'un voisin, âgé de 9 ans, alors qu'il jouait dans sa chambre avec son petit frère, Matéo, 3 ans. Depuis, relate la mère de famille, les petits garçons ne sont plus les mêmes. Agité, Lucas raconte ce qui lui est arrivé à qui veut l'entendre. A l'inverse, Matéo se mure dans le silence.
Dès que Lisa a su, elle a tenté d'agir. "J'ai appelé un numéro vert dédié pour ce genre de situation, raconte-t-elle. La personne au bout du fil m'a dit que c'était grave et qu'il fallait un suivi pour les petits." Elle appelle donc un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) du Loiret, pour que ses fils soient pris en charge au plus vite. Mais la liste d'attente est longue.
Pour l'instant, Lucas "va bien, mais on sent que ça déstabilise la cellule familiale", se désole Lisa, qui laisse son fils parler "autant qu'il le souhaite", pour ne pas "brider sa parole". "C'est pour ça que j'aimerais que ce soit un professionnel qui le prenne en charge", par "peur" d'une maladresse et consciente qu'elle ne peut pas cumuler les deux rôles : mère et psy. En attendant, Lisa a réussi à trouver un rendez-vous au sein d'une association à Paris qu'on lui a recommandée. Mais, elle le sait, "ça va être très difficile de monter très régulièrement à Paris".
Lucie, dans les Yvelines : "On a obtenu une prise en charge après deux ans d'attente"
C'est le début de la fin d'une longue attente pour Lucie* et sa fille Nina*, 8 ans. Lucie confie avoir subi pendant des années les violences physiques et psychiques de son ex-mari. Malgré leur séparation en 2019, Nina doit toujours voir son père un week-end sur deux et la moitié des vacances. La mère de la fillette redoute que son ex-conjoint se montre brutal envers son enfant et que celle-ci le dissimule. Depuis la séparation, la petite est mutique, affirme sa mère, rongée d'inquiétude.
Moins Nina parle, plus Lucie angoisse. Durant des mois, elle dit avoir attendu un rendez-vous en CMPP, tout en étant soutenue par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) dans ses démarches. "J'ai laissé des messages sur des répondeurs de pédopsychiatres libéraux, en attendant une réponse du CMPP, mais comme ça coïncidait avec le confinement, ce n'était pas le meilleur moment pour essayer de faire suivre un enfant", se souvient la Francilienne.
"On a finalement obtenu une prise en charge en septembre 2022, après deux ans", affirme Lucie, soulagée. "Pendant cette attente, c'était très difficile. Tout en faisant une thérapie de mon côté, j'ai dû tout gérer, soupire-t-elle. On n'est pas très aidé." Sa fille voit désormais un pédopsychiatre une fois toutes les trois semaines. "Durant les premières séances, elle se recroquevillait sur sa chaise et ne parlait pas du tout", se souvient Lucie. Quatre mois plus tard, c'est encore "le tout début", mais Nina commence à se livrer.
Philippe, dans l'Oise : "S'il faut faire de la route, nous la ferons"
Cela fait un an que Philippe et sa famille se sentent apaisés. Une année que Noé, 8 ans, diagnostiqué haut potentiel intellectuel (HPI), avec un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et un trouble oppositionnel avec provocation (TOP), est devenu calme, grâce à un traitement, relate son père. Un traitement lourd, quotidien, qui demande un suivi pédopsychiatrique ou neuropédiatrique.
Philippe a un temps trouvé un pédopsychiatre dans l'Oise. "J'ai mis trois mois à l'avoir au téléphone, et finalement, à force d'appeler, il m'a proposé un rendez-vous", se remémore le père de famille. Le médecin a pu prescrire un médicament adapté à Noé. "Depuis qu'il est sous traitement, Noé n'est plus le même enfant. Avant le début de son traitement, il était violent, n'avait aucun copain. On a accueilli son premier copain la semaine dernière. Avant, il nous disait : 'Je ne ferai rien de ma vie, je suis un psychopathe.' La semaine dernière, il nous a dit qu'il rêvait d'être astronaute."
Mais le suivi a pris fin brutalement, au grand dam de Philippe, qui, malgré d'innombrables tentatives, ne parvient toujours pas à trouver un nouveau praticien pour son fils. "Il y a urgence, insiste-t-il, car Noé est très difficile à gérer sans son traitement." Commence alors une chasse au trésor. Cet infirmier libéral active son réseau professionnel à la recherche d'un pédopsychiatre. Il finit par dénicher le contact d'un neuropédiatre à Paris. "S'il faut faire de la route, nous la ferons."
Laurence, dans le Morbihan : "On parle de mon fils, pas d'un dossier"
Laurence est démunie. Depuis fin septembre 2022, son fils Guillaume*, 16 ans, en est à sa quatrième tentative de suicide, glisse-t-elle. Faute de place disponible dans une structure spécialisée de son département, il ne peut pas être hospitalisé. "Il ne fait rien de ses journées, il est déscolarisé. Il a un traitement très lourd, c'est devenu un zombie", se désole la mère de famille.
Le jour de ses 16 ans, l'adolescent a été pris en charge dans un hôpital pour adultes, relate sa mère. "Des patients hurlaient, c'était très impressionnant pour lui, se souvient Laurence. J'ai le sentiment qu'il est trop jeune pour être hospitalisé avec les adultes, mais trop vieux pour l'être avec les ados. Avant, il existait une cellule d'hospitalisation pour les 16-25 ans, mais elle n'existe plus."
Depuis début décembre, Laurence est sans nouvelles de la structure d'accueil qui avait promis une place pour Guillaume en hospitalisation de jour. En janvier, l'adolescent a appelé les urgences, parce qu'il avait des idées noires et se sentait en danger. Il a été hospitalisé pendant une semaine aux urgences pédiatriques, avant d'être renvoyé chez lui, sans solution pérenne, déplore sa mère. En attendant, Laurence relance inlassablement la structure pour que Guillaume soit pris en charge. "J'ai appelé la deuxième semaine de janvier, mais on m'a dit qu'il y avait des entrées plus urgentes, s'agace-t-elle. On parle de mon fils, pas d'un dossier."
Laure, près de Toulouse : "Je suis passée à temps partiel pour m'occuper de Lina"
La fille de Laure a bientôt 14 ans. Au printemps 2021, dans un contexte familial difficile, Lina* perd l'appétit et beaucoup de poids. Sa mère la prévient : si ça ne va pas mieux, elles iront chez le médecin. La jeune fille mange à nouveau, jusqu'à l'été 2022, lorsque Laure quitte son mari. Depuis, Lina ne s'alimente pratiquement plus et pratique du sport à outrance, témoigne sa mère. Au plus fort de sa maladie, elle pèse 33 kg pour 1,59 m. "J'ai appelé plusieurs spécialistes en libéral, mais aucun ne prenait de nouveaux patients, se rappelle Laure. Alors j'ai pris l'annuaire et j'ai appelé tous les numéros à 30 km à la ronde."
Laure a obtenu un suivi pour sa fille dans une structure toulousaine. L'adolescente voit un pédopsychiatre toutes les semaines et réalise des examens médicaux tous les 15 jours, pour vérifier que ses organes vitaux fonctionnent. Son rythme cardiaque est toujours faible, tout comme sa tension, et elle n'a plus ses règles. Le spécialiste qui la suit préconise une hospitalisation pendant un mois, au minimum, mais il n'y a plus de lits disponibles, explique Laure.
Cette prise en charge à temps complet serait un soulagement pour la maman. "Je suis passée à temps partiel pour m'occuper de Lina, car cela demande du temps et de l'énergie", détaille l'opticienne. "Quand elle fait ses crises, je la prends dans mes bras, je la couche avec une bouillotte sur le ventre en la rassurant", à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. "C'est très compliqué à gérer. En plus, il ne faut pas délaisser sa grande sœur. Mais clairement, je fais ce que je peux." Aujourd'hui, Lina pèse 37 kg.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés ou de leurs parents.
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