Apprendre la chirurgie sur des cadavres qui respirent
Jusqu'à présent, les étudiants en médecine et pharmacie apprenaient leur métier sur des corps inertes ou, au mieux, des mannequins interactifs.
"[Mais] on se rendait bien compte que les dissections classiques ne répondaient plus aux attentes", explique le Pr Jean-Pierre Richer, responsable du Centre de simulation de la faculté de Poitiers, inauguré fin janvier 2016. "Il fallait évoluer alors que dans le même temps, la formation pratique de l'interne a beaucoup diminué [...] On n'apprend plus au bloc, à côté du chirurgien et d'un vrai patient. Les nouvelles directives nationales disent bien « jamais sur le patient la première fois »", souligne le chirurgien.
Cyril Brèque, spécialiste en biomécanique au laboratoire d'anatomie de la Faculté de médecine de Poitiers, a ainsi eu l'idée de créer Simlife, un système qui redonne à des corps légués à la médecine l'apparence de la vie.
Des cadavres animés
Pendant que, dans une vaste salle, une trentaine d'étudiants s'exercent encore à la suture sur des pieds de cochon, dans un bloc opératoire voisin, une étudiante assiste à une double ablation des reins sur un cadavre qui présente toutes les apparences du vivant.
L'abdomen à la peau rosée se soulève régulièrement, le pouls est stable lorsque les deux chirurgiens incisent le corps du plexus au nombril pour faire apparaître les viscères. Seule l'odeur forte et une couleur verdâtre trahissent le fait qu'il s'agit d'une dépouille, décongelée avec soin pour passer en seulement quelques jours de -22°C à +37°C. Mais le sang artificiel qui circule redonne rapidement leur couleur naturelle aux organes et aux tissus. "Tu vois, là, la veine cave, elle est vraiment comme ça dans la réalité, rosée et bleutée", explique le Pr Jean-Pierre Faure, co-responsable de l'école de chirurgie de l'Université de Poitiers.
Les intestins sont sortis en douceur et enveloppés pour ne pas entraver la suite de l'opération. "Un tour de main comme ça, l'interne ne va pas y penser. Il peut perdre une heure, gêné par des intestins qui glissent et qu'il risque d'abîmer", insiste le Pr Faure.
Après une heure de travail, un rein est prélevé, mais une hémorragie survient, rapidement résorbée par une équipe dont la tension est palpable.
"Vous voyez, nous avons deux professionnels mais ils sont complètement absorbés par leur travail, ils ont oublié que c'est une simulation. C'est la vraie vie dans un bloc avec tous ses aléas. Ce qui est irremplaçable pour un chirurgien, c'est d'avoir le toucher. Si on simule la respiration sur ces corps, c'est aussi pour gêner le travail du chirurgien", commente le Pr Richer.
Médecins bricoleurs
Derrière le champ opératoire qui dissimule le visage du "patient" se cache aussi la machinerie du Simlife : deux chariots à roulettes surmontés d'un simple moniteur.
"Là, c'est la partie pneumatique pour la respiration, et là, la partie hydraulique pour la circulation sanguine", détaille Cyril Brèque, autant médecin que bricoleur. Tournevis en main, il adapte sur une valve la pression d'injection du faux sang. "Un peu de peinture, un additif pour approcher la viscosité du vrai sang. Tout le matériel provient de magasins de bricolage et de jardinerie", sourit-il. Des tuyaux d'arrosage, des valves de système d'arrosage... Au total, quatre Simlife ont été conçus pour seulement 20.000 euros.
"À terme, tout cela sera miniaturisé et piloté en wifi depuis une tablette. Nous sommes en train de travailler sur un logiciel qui permettra d'intégrer à l'avance un certain nombre de scenarii. Ce qui rend notre système unique, c'est qu'il est adaptatif", assure le Pr Richer.
Après la phase de test, une vingtaine d'internes en fin de cursus s'exerceront à la chirurgie sur Simlife dès la rentrée universitaire 2016-2017.
AFP
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