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Cœur artificiel : "Nous sommes dans la même problématique que la conquête spatiale"

Le deuxième patient porteur d'un cœur artificiel Carmat est mort après un problème lié au fonctionnement de la prothèse. Faut-il continuer le protocole ? Comment améliorer les chances de survie ? Le docteur Eric Perchicot répond à francetv info.

Article rédigé par Tatiana Lissitzky - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Un des cœurs artificiels de la société Carmat, le 24 septembre 2009, à Vélizy (Yvelines). (FRANCK FIFE / AFP)

Peu avant son décès, il menait une vie quasi normale. Le deuxième patient porteur d'un cœur artificiel conçu par la société Carmat est mort, le 2 mai, après un problème lié au fonctionnement de cette prothèse, a annoncé l'entreprise, lundi 4 mai. L'homme de 69 ans avait été greffé il y a neuf mois au CHU de Nantes (Loire-Atlantique). Un premier patient implanté en décembre 2013, Claude Dany, avait déjà succombé, soixante-quatorze jours plus tard, à la suite de l'arrêt inopiné de la machine. Il y a un mois, un troisième patient a été greffé avec succès. 

Alors que le cœur Carmat est toujours dans la première des deux phases d’essais prévues avant son homologation et son éventuelle commercialisation dans l’Union européenne, ces deux échecs peuvent-ils remettre en cause le protocole ? Francetvinfo a interrogé le docteur Eric Perchicot, président du Syndicat national des spécialistes des maladies du cœur et des vaisseaux.

Francetv info : Après la mort d'un deuxième patient implanté, ne faut-il pas remettre en cause le protocole des cœurs Carmat ?

Dr Eric Perchicot : Non, car nous sommes dans un cadre très particulier. Aujourd'hui, ce type de cœur artificiel implanté ne s'adresse qu'à des patients qui, de toute façon, sont en fin de vie à cause d'une insuffisance cardiaque, pour laquelle nous n'avons aucune autre alternative thérapeutique. Ce sont des protocoles où le patient est parfaitement informé de la gravité de sa maladie, et où il sait qu'il ne lui reste que quelques semaines ou quelques mois à vivre. Nous lui proposons donc une alternative à son cœur naturel, pour essayer de le faire vivre plus longtemps, mais aussi pour faire avancer la connaissance dans les cœurs artificiels implantés. 

Nous sommes dans un domaine à la fois technique, psychologique et humain. Carmat, c'est un espoir, lorsqu'il n'y a pas d'autres solutions. C'est de l'expérimentation dans la vraie vie, mais en sachant que les patients sont condamnés à court terme, si l'on ne fait rien. 

Que peut-on modifier ou améliorer dans l'état actuel des choses ?

Nous sommes, aujourd'hui, toujours dans la phase expérimentale, où la technique n'est pas diffusée et où elle n'est adressée qu'à des gens en sursis. Ce qui est sûr, c'est que, à partir du moment où l'on enlève le cœur, et que l'on met à la place une machine, la fiabilité de la machine devient capitale. S'il y a le moindre dysfonctionnement technique, le malade est mort. Mais il n'existe pas d'autres protocoles possibles. L'expérimentation du professeur Alain Carpentier dure depuis des années, et ce n'est jamais de gaieté de cœur que l'on implante un produit sans avoir la certitude que cela va fonctionner.

Nous sommes dans la même problématique que la conquête spatiale. Lorsque des vaisseaux inhabités sont envoyés dans l'espace, on accepte une fiabilité de 95%. Mais, lorsqu'ils sont habités, il faudrait une fiabilité de 100%. Or, ce n'est pas possible. Il y a eu des drames dans la conquête spatiale. Pour le cœur Carmat, l'objectif est bien sûr d'arriver à une fiabilité de 100%, mais il faut pour cela des expérimentations. Et je rappelle que même nos cœurs naturels ne sont pas fiables à 100%, car il y a régulièrement des morts subites de personnes jeunes. 

Faut-il pour autant poursuivre l'essai avec Carmat ? N'existe-t-il pas d'autres cœurs artificiels susceptibles d'arriver sur le marché ?

Nous ne savons pas pour l'instant les causes de la panne technique. Ce n'est que l'analyse des résultats qui dira aux enquêteurs si nous pouvons continuer ou s'il faut mettre le protocole en pause et refaire encore des études de durabilité avant de procéder à une quatrième implantation, puisque la troisième a déjà eu lieu.

Aujourd'hui, seul Carmat en est à la phase d'implantation chez l'homme. Le côté révolutionnaire de Carmat, c'est que les prothèses sont totalement implantées, avec un espoir d'autonomie complète pour le patient. Tous les autres cœurs artificiels sont des systèmes extérieurs. Le patient est donc relié à une machine. Il ne peut pas vivre normalement et n'a aucune autonomie. La fiabilité des cœurs Carmat mérite probablement d'être encore travaillée, mais, même si c'est difficile à dire, nous ne pouvons pas nous passer de l'expérimentation humaine si nous voulons progresser.

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